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Deux minutes et demie après avoir plongé à la poursuite de l’aviso, le Flèche se désintégrait sous leurs coups de boutoir. Aucune capsule de survie ne le quitta. Aucun spatial n’avait eu le loisir de les atteindre et de les lancer.

Le flux de données s’interrompit après la volatilisation du croiseur léger.

Le Flèche et tout son équipage étaient morts depuis un quart d’heure.

Geary se rendit compte peu à peu qu’un silence mortel régnait sur la passerelle de l’Inspiré.

Silence que vint finalement rompre un unique mot d’un jeune officier, articulé d’une voix plaintive : « Pourquoi ?

— Pourquoi ? répéta Geary, non sans se demander comment il pouvait se faire distinctement entendre de toute la passerelle alors qu’il parlait si bas. Parce que le commandant du Flèche a oublié qu’il n’était pas seul. Qu’il ne s’agissait pas de sa gloire personnelle. Il a oublié ses ordres, perdu de vue ses responsabilités, son entraînement et son devoir. En conséquence, il a gaspillé les vies de tout son équipage. Ne faites jamais rien de tout cela. »

Il prit une profonde inspiration, se redressa dans son siège puis reprit d’une voix ferme : « Deux croiseurs lourds et un cuirassé au moins ont surgi de derrière la géante gazeuse et nous les verrons incessamment ! Faites votre devoir, battez-vous aussi courageusement qu’intelligemment et le Flèche sera le seul vaisseau que nous perdrons aujourd’hui ! »

Il leur fallut encore quinze minutes pour constater que le cuirassé, escorté de deux croiseurs lourds et de quatre avisos, s’était hissé au-dessus de la planète géante et accélérait sur un vecteur d’interception de l’amas des vaisseaux de réfugiés.

« Nous avons déréglé leur minutage, déclara Geary à Duellos. Le Flèche aura au moins eu ce mérite. Dans une demi-heure, nous devrions voir arriver aussi sur nous les croiseurs légers et les avisos qui stationnaient près de la planète habitée. »

Duellos fouillait son écran du regard. « Les réfugiés n’ont-ils pas dit que Tiyannak disposait de quatre croiseurs légers ?

— De quatre au minimum.

— Les deux autres doivent se planquer derrière cette planète », avança le commandant de l’Inspiré en montrant un monde glacé et désolé, gros comme une fois et demie la Terre mais manquant cruellement d’eau et d’atmosphère. Il orbitait à trente minutes-lumière de l’étoile et croiserait la route des vaisseaux de l’Alliance et des cargos de réfugiés quelques heures avant qu’ils n’atteignent ce secteur de l’espace. « Tous les autres objets célestes derrière lesquels on pourrait s’abriter sont en trop mauvaise position sur leur orbite.

— Je vais devoir laisser aux croiseurs légers et aux destroyers le soin de protéger les cargos de réfugiés pendant que je mène les croiseurs de combat à l’assaut de la flottille du cuirassé, décida Geary.

— C’est probablement la meilleure solution qui s’offre à vous, convint Duellos. Si on leur en laissait le temps, mes croiseurs de combat viendraient sans doute à bout du cuirassé. Mais le temps nous est compté. Comment entendez-vous l’arrêter avant qu’il ne s’approche assez des cargos pour les éparpiller, ce qui en ferait des proies faciles ?

— Je trouverai bien un moyen. »

Douze

Vue sous un certain angle, la mission était relativement simple : il devait amener ses vaisseaux et les cargos jusqu’à la principale planète habitée, débarquer les réfugiés et, chemin faisant, éliminer les menaces posées par les bâtiments de guerre, lesquels venaient certainement de Tiyannak. Si simple qu’elle tenait en une seule phrase.

Cela étant, comme l’a enseigné à peu près l’ancien et sage stratège, à la guerre, tout ce qui est simple finit par se compliquer.

Geary se tourna vers Duellos. « Que savez-vous du capitaine de frégate Pajari ?

— Pas grand-chose, reconnut le commandant de l’Inspiré. Il me semble qu’elle a pris le commandement de l’Éperon il y a environ un an. »

Dans le courant de l’année, comme au demeurant depuis son réveil, Pajari n’avait manifestement rien fait d’assez louable ou stupide pour attirer l’attention de Geary sur sa personne. Mais c’était aussi vrai de nombreux commandants de la flotte, puisqu’elle comptait près de deux cent cinquante croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers. En raison de leur ancienneté et de leur poids, ceux des cuirassés et croiseurs de combat tendaient à prendre la parole pendant les réunions stratégiques, mais les commandants des vaisseaux plus petits gardaient le silence, sauf à exprimer unanimement leur approbation ou désapprobation. Un des regrets les plus vivaces de Geary était de n’avoir jamais eu le temps de connaître personnellement chacun de ces officiers.

Il consulta les états de service de Pajari et apprit qu’elle n’avait reçu son commandement que quatre ans plus tôt et avait servi sur trois vaisseaux (dont deux avaient été détruits au combat) avant de prendre celui de l’Éperon. À l’instar de nombreux officiers de la flotte, elle était sans doute très jeune pour son grade et ses responsabilités, mais elle avait une expérience du combat bien plus grande que celle de Geary aux mêmes âge et grade.

« Je compte lui confier le commandement de l’escorte du convoi de réfugiés, déclara-t-il. Pajari devra désamorcer les menaces le visant avec les croiseurs légers et tous les destroyers, pendant que je conduirai les croiseurs de combat à l’assaut du cuirassé. »

Duellos arqua les sourcils. « Vous ne prendrez aucun destroyer pour nous accompagner ?

— Compte tenu de la taille de notre troupeau de cargos et des trois flottilles qui fondent sur eux d’au moins trois directions différentes, Pajari aura l’usage de tous nos escorteurs. » Geary grossit l’image du cuirassé qui filait sur une interception des cargos : il accélérait de manière pondérée mais régulière, tel un énorme animal blindé prenant de la vitesse sans que rien ne puisse l’arrêter. En dépit des millions de kilomètres qui les séparaient encore des vaisseaux ennemis, l’image qui leur en parvenait était d’une clarté adamantine : malgré leur grande et croissante vélocité, ils avaient l’air parfaitement immobiles sur fond d’espace infini. Les deux croiseurs lourds et les deux avisos qui accompagnaient le cuirassé n’étaient pas déployés, et, au lieu de se comporter comme les escorteurs d’une formation typique, en restaient extrêmement proches. « Nous ne parviendrons pas aisément à séparer ses escorteurs du cuirassé.

— Non. C’est une formation bien peu conventionnelle et qu’on aura du mal à contrecarrer, convint Duellos. Toute passe de tir visant ses escorteurs nous conduirait assurément à portée de ses armes. D’un autre côté, leurs systèmes de manœuvre doivent être asservis au cuirassé. Ils s’en trouvent si près que la seule manière d’éviter d’infimes variations ou hésitations lors d’une manœuvre pourrait se solder par une très méchante collision. »

Geary opina. « Comment retourner cela à notre avantage ?

— Je m’efforce encore de trouver une réponse à cette question, amiral. »

À sa propre surprise, Geary se fendit d’un sourire torve. « Aucune suggestion quant à la manière de nous en prendre au cuirassé ? »

Duellos montra le fond de la passerelle d’un geste. « Mes gens procèdent à des simulations en quête de solutions.

— Qu’ont-ils trouvé jusque-là ?