Les cargos de réfugiés et leurs escorteurs de la formation Écho avaient continué de progresser vers l’intérieur du système pendant que les croiseurs de combat plongeaient latéralement et légèrement vers le bas pour leur interception du cuirassé. Geary ordonna à l’Implacable et au Formidable de faire machine arrière et les deux commandants ne cherchèrent pas à dissimuler leur désappointement à la perspective d’avorter leur traque. Ils s’exécutèrent néanmoins, témoignage d’une obéissance que le récent exemple du Flèche avait interdit à Geary de tenir pour acquise.
L’Inspiré ne pouvait plus que claudiquer de conserve avec les deux croiseurs de combat qui l’avaient rejoint pour regagner la formation de l’Alliance en adoptant une trajectoire oblique à travers le système. À moins d’une heure-lumière, les croiseurs légers et les avisos qui composaient la Flottille Un piquaient toujours sur les vaisseaux de réfugiés, encore inconscients de la disparition du cuirassé sur lequel ils comptaient.
Mais, pour l’heure, Geary prêtait davantage d’attention aux croiseurs lourds et aux avisos qui avaient accompagné le cuirassé détruit. Dès qu’il était devenu flagrant que les croiseurs de combat de l’Alliance ne les pourchassaient plus, les vaisseaux ennemis avaient décéléré et s’étaient retournés. Ils campaient à présent sur leurs positions. « Ils sont très disciplinés, fit-il remarquer à Duellos.
— Qui ça ? Cette bande ? » Duellos fixa son écran en fronçant les sourcils. « Très disciplinés. Qu’allons-nous en faire ? Même après la destruction de son cuirassé, les atouts que détient encore Tiyannak lui suffiront à s’emparer de ce système et probablement aussi de quelques autres après notre départ.
— Voyons jusqu’où va leur sens de la discipline, et ce que nous pourrions découvrir d’autre à leur sujet. » Geary appela le capitaine Pajari, qui se trouvait encore à quatorze minutes-lumière. « Je vous ramène l’Inspiré, commandant. J’aimerais que vous détachiez les destroyers du neuvième escadron avec l’ordre d’intercepter quelques-unes des capsules de survie éjectées du cuirassé. Qu’ils recueillent autant de prisonniers que possible. Je vous envoie le Formidable et l’Implacable pour protéger les opérations et embarquer à leur bord les prisonniers ramassés. Geary, terminé. »
Duellos semblait plus renfrogné que jamais, mais il donna son approbation d’un signe de tête. « L’Inspiré ne ferait que les ralentir. Le Neuvième est le plus petit escadron de destroyers et Pajari n’a plus à s’inquiéter de la menace que faisait peser cette flottille sur le convoi. Vous voudriez savoir si les croiseurs lourds se précipiteront à la rescousse de leurs camarades quand nous commencerons à recueillir les capsules de survie, n’est-ce pas ?
— Et, s’ils le font, nos croiseurs de combat auront peut-être une chance de les épingler, déclara Geary. Je sais que Savik, le commandant du Formidable, est compétent, mais je n’ai guère eu l’occasion de voir ce dont était capable Ekrhi, celui de l’Implacable.
— Elle est douée, à mon avis. Autant que Savik. Chacun d’eux est capable de commander la force de protection des opérations. Mais Savik est plus ancien dans son grade. »
Geary appela ce dernier sur le Formidable. « Je vous détache, vous et l’Implacable, en tant que formation Bêta. Vous la commanderez. Votre mission sera de rester assez près des destroyers pour les protéger de ces deux croiseurs lourds et de ces avisos si d’aventure ils cherchaient à nous empêcher de faire prisonniers les rescapés du cuirassé. Si vous réussissiez à les attirer, ce serait d’autant mieux, mais je ne veux perdre aucun destroyer, aussi ne vous en approchez pas trop. »
Savik acquiesça de la tête, souriant. « Entendu, amiral. Combien de prisonniers voulons-nous faire ? Des modules de survie se sont échappés en grand nombre du cuirassé avant son explosion.
— Je tiens à ce que l’opération dure assez longtemps pour que les croiseurs lourds la voient et qu’ils y réagissent, si du moins ils le font. Mais arrêtez dès que leur nombre menacera d’excéder votre capacité d’accueil.
— Vu, amiral. Qu’allons-nous en faire ? Ce sont des Syndics, n’est-ce pas ?
— Techniquement parlant ? Je ne crois pas. Interrogez-les pour tenter de découvrir ce qu’ils savent de la situation qui règne ici et à Tiyannak, et cherchez à apprendre le nombre des vaisseaux dont dispose ce dernier système. » Geary pointa l’étoile de l’index. « Quand nous atteindrons la principale planète habitée, je les larguerai avec les réfugiés. Je ne m’attends certes pas à ce que ça plaise à Batara, mais je ne tiens pas non plus à ce que le QG de la flotte et le gouvernement m’infligent une volée de bois vert pour avoir ramené des prisonniers de guerre qu’il leur faudrait nourrir, enfermer, et dont ils devraient prendre soin. »
Après avoir dépêché les deux croiseurs de combat, Geary contempla encore son écran un bon moment. Maintenant qu’il avait déjoué d’assez sévère manière l’embuscade qu’on avait tendue à ses forces, il était plus que temps d’appeler les autorités de Batara. « Il me faut un canal de transmission vers la principale planète habitée. »
L’officier des trans tapota sur son écran. « C’est prêt, amiral.
— Merci. » Geary marqua une pause pour réfléchir puis toucha la commande. « Aux actuels dirigeants de Batara, ici l’amiral Geary de la flotte de l’Alliance. Mes vaisseaux ont été attaqués sans préavis par des bâtiments hostiles opérant ouvertement dans votre système. J’exige de votre part, séance tenante, un message m’informant du statut, autonome ou assujetti à un gouvernement extérieur, de votre système stellaire, et m’exposant celui de tous des vaisseaux de guerre présents à Batara et n’appartenant pas à l’Alliance. Je défendrai par tous les moyens nécessaires ceux qui sont placés sous mon commandement et la protection de l’Alliance. Nous reconduisons des cargos remplis de citoyens de Batara jusqu’à sa principale planète habitée. Ils y seront déposés, ainsi qu’un régiment des forces terrestres de l’Alliance qui veillera à ce que rien ne vienne perturber leur retour. Toute tentative pour intervenir dans notre opération se heurtera à l’intégralité des forces qui sont à ma disposition, ainsi que toute agression du personnel militaire de l’Alliance ou des civils placés sous sa protection. Dans l’attente de votre réponse et de vos explications. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé.
— Tanya approuverait, affirma Duellos.
— Tanya me presserait déjà de soumettre ce système et celui de Tiyannak à un bombardement dévastateur.
— Et elle se plaindrait férocement de ce machin qui encombre la soute de mes navettes. Tiens, quand on parle du loup… Voilà le lieutenant Nuit.
— Sorcière nocturne », corrigea Popova. Mais son sourire était empreint de gravité. « Amiral, je suis montée sur la passerelle parce qu’aucun canal interne automatisé ne me permet de vous transmettre le statut de mon coucou. Il n’a subi aucun dommage. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ? »
En guise de réponse à sa proposition bénévole, Duellos, qui, pendant qu’il inspectait les dommages infligés à son vaisseau, avait de nouveau paru d’humeur acariâtre, lui décocha un sourire cauteleux, puis : « Sauf si vous tenez à faire une sortie avec votre AAR pour prendre l’Inspiré en remorque.