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— Point tant d’ailleurs que nous en voulions, ni que nous tenions à le garder », répondit Geary en s’efforçant de réprimer sa propre exaltation.

Le boulot n’était pas encore terminé.

Tous les vaisseaux de Geary et les satellites espions qu’ils avaient largués étaient reliés entre eux en un seul réseau de surveillance par des systèmes automatisés. À bord des vaisseaux, tout un chacun pouvait voir ce qu’ils repéraient exactement comme si on l’avait sous les yeux. Pour l’heure, assis à la passerelle de l’Inspiré, Geary regardait sur son écran des navettes chargées d’autres réfugiés plonger dans l’atmosphère. Le débarquement lui semblait déjà durer depuis une éternité, et on n’avait encore vidé que la moitié des cargos.

L’ensemble des vaisseaux de l’Alliance et des cargos orbitaient autour de la planète habitée. Les défenses anti-orbitales de Batara avaient opté pour la discrétion au détriment d’un absurde héroïsme, de sorte qu’elles gardaient le silence tandis que les bâtiments de Geary poursuivaient leur chemin à la limite de l’atmosphère.

L’image d’un porte-parole du gouvernement de Batara s’encadrait dans une fenêtre virtuelle près du fauteuil de Geary. « Nous nous devons de protester contre cette violation continuelle de la souveraineté de Batara », répéta-t-il pour la sixième fois peut-être depuis le début du débarquement et le largage du régiment du colonel Voston sur une vaste place centrale de la capitale.

Le régiment avait établi un large périmètre de sécurité et dégagé une grande partie de la place pour permettre aux navettes d’atterrir et à tous les réfugiés de s’y tenir une fois déposés. Les trois AAR avaient aussi été larguées, et leurs sveltes silhouettes de raie manta sillonnaient nonchalamment l’atmosphère, quand elles ne se relevaient pas l’une l’autre, en vol stationnaire, au-dessus de la zone de débarquement ou ne parcouraient pas le périmètre de manière ostensiblement menaçante. Si Batara détenait encore des AAR, ne tenant certainement pas à se frotter aux coucous de l’Alliance, ceux-là étaient restés prudemment planqués.

« Nous vous ramenons vos concitoyens, répondit Geary au porte-parole sur un ton laissant clairement entendre qu’il ne céderait pas. Nous avons d’ores et déjà sauvé votre précieuse souveraineté en détruisant les vaisseaux de Tiyannak qui sévissaient à Batara. Nous ne tolérerons aucune interférence dans notre mission. C’est tout. »

Il mit fin à la communication. « Capitaine Duellos, ordonnez à vos gens des trans de filtrer tous les appels en provenance de cette source. Sauf s’ils ont quelque chose de neuf ou d’important à nous dire, je ne veux plus perdre mon temps avec eux. »

Comme répondant à un signal, une autre alerte se fit entendre. Geary se retrouva en face d’une autre fenêtre virtuelle qui venait d’apparaître à l’instant, montrant cette fois le colonel Voston en cuirasse intégrale. « Nous avons un problème sur les bras, amiral. Mon peloton de bidouilleurs a planté sa tente ici dès notre atterrissage et, depuis, il surveille tous les réseaux et toutes les communications. Le gouvernement local s’est servi de mots de code pour composer sa réponse à notre intention. »

Il pivota lentement, permettant à Geary de voir par la visière de son casque : des rangées d’immeubles communs, aussi insipides qu’indescriptibles, coupées par les ouvertures de rues ou de ruelles toutes noires de monde. « Voici ce qui se passe au-delà de notre périmètre.

— J’avais observé des rassemblements de là-haut, déclara Geary. Les citoyens manifestaient déjà dans la rue avant notre émergence.

— C’est plutôt ce qui passe au travers de ces foules qui pose problème, répondit Voston. Ils se sont infiltrés pour former un écran entre nos soldats et elles. Un genre de forces terrestres, des gens qui ressemblent à des policiers et beaucoup de milices populaires.

— Ça ne donne pas l’impression qu’on s’apprête à vous attaquer, hasarda Geary.

— Non, en effet. Et ils ne sont pas là non plus pour nous protéger du public. On capte un tas de communications et d’échanges, et, pour la plupart, ce n’est pas joli joli. Ces racailles vont attendre notre départ pour massacrer tous les hommes, femmes et enfants que nous venons de ramener. » Le dégoût que lui inspiraient les futurs agresseurs des réfugiés transparaissait clairement en dépit de tous les efforts que faisait Voston pour rester impassible. « Je me suis dit que vous voudriez le savoir.

— Que pouvons-nous faire ?

— Contre ces malfrats, voulez-vous dire ? Rien ne nous force à attendre qu’ils entrent en action. Ils sont déjà menaçants. Donnez-nous le feu vert et, si vous y tenez, nous les éliminerons, tous autant qu’ils sont.

— Vous ne disposez que d’un seul régiment à la surface, fit remarquer Geary, épouvanté tout autant par la situation que par la solution expéditive que suggérait le colonel avec une telle désinvolture. Si vous vous mettiez à canarder, la foule pourrait bien se retourner contre vous et vous seriez submergés.

— Nous continuerions à tirer.

— Colonel, je n’ai pas débarqué votre régiment pour qu’il se suicide dans un embrasement de gloire et le feu des combats ! Entre les réfugiés que nous larguons et les foules qui se sont rassemblées autour du site du débarquement, il doit y avoir pas loin de cinquante mille civils dont vous devrez vous inquiéter.

— Syndics, corrigea Voston.

— Civils, insista Geary. À combien s’élèvent les effectifs de ces milices populaires, forces de police et forces terrestres locales ?

— Hmmm… Les senseurs de nos cuirasses, comme d’ailleurs mes pirates, estiment leur nombre à quelques compagnies de forces terrestres, une centaine de flics et environ deux mille miliciens. Parions qu’on laissera la sale besogne aux miliciens, tandis que les types en uniforme feindront de garantir la sécurité tout en faisant barrage aux foules qui chercheraient à porter secours aux réfugiés.

— Le gouvernement local ne dispose dans cette ville que de quelques compagnies des forces terrestres, protesta Geary.

— Certes, amiral, mais elles se composent de loyalistes, de soldats des forces terrestres qui feront tout ce que leurs responsables leur demanderont. Les autres ne sont probablement pas aussi disposées à participer au massacre de leurs concitoyens. »

Geary étudia encore un instant les images de la foule. Je n’ai qu’un seul régiment de fantassins pour gérer cette situation, puisque l’autre est éparpillé et bloqué sur tous les vaisseaux de réfugiés. Plus trois AAR qui font merveille pour intimider les locaux. Je ne peux pas retenir indéfiniment les hommes de Voston à la surface, ni non plus me servir de mes vaisseaux, sauf à bombarder la cité.

Une petite minute ! Il se focalisa de nouveau sur la foule, les paroles prononcées par les deux meneurs de réfugiés au cours de leur dernière conversation lui revenant. « Colonel Kim, où se trouvent Araya et Naxos pour le moment ? »

Kim répondit aussitôt : « En route vers la planète, amiral. Je les ai vus embarquer sur une navette il y a une demi-heure et ils ne devraient plus tarder à atterrir.

— Excellent. Colonel Voston, je veux que votre peloton de pirates informatiques récupère deux meneurs de réfugiés, du nom de Naxos et Araya, dès leur atterrissage qui devrait être imminent. Donnez-leur libre accès à votre matériel afin qu’ils puissent s’infiltrer dans tous les réseaux et systèmes de com disponibles, et commencez à ébruiter la situation. Demandez à Naxos et Araya d’identifier parmi les réfugiés d’autres meneurs susceptibles de les assister dans cette tâche.

— Leur expliquer ce qui se passe pour qu’ils le répètent ensuite à toute la planète ? s’étonna Voston. Je suis censé informer des Syndics ?