— Pourquoi ?
— Parce que j’ai envoyé des troupes à la surface de votre planète pour y assurer le retour sans dommage de vos concitoyens. Nous partirons dès que cette opération sera achevée. Je ne veux pas qu’on nuise à mes soldats, ni d’ailleurs à ces citoyens.
— Vous êtes de l’Alliance ! cracha la femme. Vous n’avez pas à… » Elle fixa soudain Geary en plissant les yeux. « Mon équipement vient de vous identifier. Vous êtes Black Jack ?
— Je suis l’amiral Geary, en effet. »
Ses yeux s’écarquillèrent puis elle hocha la tête. « Nous n’engagerons pas les hostilités, sauf si vos forces cherchent à rester sur place après le rapatriement. Nous ne sommes pas une menace pour notre population.
— Vous vous dirigez vers le site du débarquement des réfugiés.
— Il y a là-bas d’autres individus dont nous devons nous occuper. Affaires intérieures. »
Une alarme attira le regard de Geary sur son écran. « Deux drones s’en approchent également.
— Ils ne nous appartiennent pas.
— Je peux donc les abattre ?
— Libre à vous.
— Lieutenant Popova, descendez-moi ces deux drones ! ordonna Geary avant de s’adresser de nouveau à la commandante des troupes blindées. Retenez vos gens jusqu’à ce que nous ayons décollé. »
La femme le dévisagea longuement puis hocha la tête. « Nous n’avons aucun intérêt à engager le combat avec vous », répéta-t-elle.
La fenêtre se referma et Geary tourna la tête pour concentrer à nouveau son attention sur le colonel Voston. « Les forces militaires locales qui progressent vers votre position comptent s’en prendre à d’autres autochtones. Elles ne vous veulent pas de mal.
— Je ne me fierais pas à la parole d’un Syndic, amiral !
— Vous n’aurez pas à le faire. Nous allons vous tirer de là. » Geary consacra quelques secondes à parcourir le plan d’exfiltration concocté par l’équipe de Duellos. « Préparez-vous à décoller. Ordonnez à vos pirates informatiques de prévenir ces deux meneurs des réfugiés, Naxos et Araya, une ou deux minutes avant de plier bagage, afin de leur laisser le temps de diffuser quelques derniers messages.
— Affirmatif. L’amiral est-il conscient du danger que nous courrons entre les décollages ? Je n’aurai plus que la moitié de mon régiment contre une foule hostile qui ne cesse de grossir.
— Je comprends, colonel. Nous ferons le plus vite possible. Lieutenant Popova, feu à volonté si vous voyez quelque chose menacer les forces terrestres ou les navettes, ajouta-t-il, sachant que Voston entendrait lui aussi.
— À vos ordres, amiral, répondit Popova, l’air toute contente. On garde vos arrières, colonel. »
Les minutes semblaient s’étirer indéfiniment en dépit de toute cette effervescence : les navettes atterrissaient, peinant à trouver une place où se poser sur une aire de débarquement désormais bondée, les forces militaires locales qui avaient quitté leurs garnisons se rapprochaient de la frange extérieure de la foule compacte qui entourait le régiment de Voston, tandis que les troupes locales et les nervis du gouvernement, faisant fi de la menace des AAR qui les survolaient, accentuaient encore leur pression sur le périmètre de l’Alliance.
« Les nombres pairs, giclez ! » ordonna le colonel Voston. Tous les autres soldats du périmètre s’effacèrent à reculons pour former de petits groupes qui gagnaient les navettes les plus proches au pas de gymnastique. « Repos ! » cria Voston pour ceux qui restaient sur place.
Geary voyait Voston éclairé en surbrillance dans l’image prise d’en haut. Le colonel ne prenait pas le premier vol, mais, au contraire, arpentait le périmètre d’un pas vif. Les majors, capitaines et lieutenants de son régiment l’imitaient, et, quand Geary afficha les informations, il se rendit compte que tous les sous-offs restaient aussi en position. Voston n’avait expédié la première fournée qu’avec les caporaux, et il avait gardé toute sa chaîne de commandement à la surface pour assurer la stabilité de sa moitié de régiment, laquelle érigeait encore une barrière fragile entre les réfugiés et les forces gouvernementales locales.
« Reculez ! Ouste ! Tout de suite ! » Un sergent et plusieurs soldats de l’Alliance venaient de braquer leurs armes sur des gros bras du cru qui s’en trouvaient presque au contact.
Quelques-uns avaient blêmi et tentaient sans succès de reculer pour se fondre dans la foule. Ils avaient l’habitude de rudoyer les citoyens, pas celle d’affronter des soldats armés et cuirassés.
Geary cherchait encore un moyen de désamorcer cette situation explosive quand il aperçut un sergent qui fendait la foule comme un coin à la tête d’un gros groupe de réfugiés, en direction du lieu de la confrontation. « Ils vont se charger de la sécurité ici ! cria le sergent. Reculez ! »
Les gros bras ne disposèrent que de quelques secondes pour se détendre et sourire d’un air narquois avant que, les soldats s’écartant, la masse des réfugiés les charge et ne submerge leurs premiers rangs, avec force moulinets d’armes improvisées et volées de coups de poing.
Partout le long du périmètre, les réfugiés se portaient à présent en avant, à mesure que les soldats de Voston reculaient et refluaient vers l’endroit où se poserait la seconde vague de navettes. Les nervis du gouvernement se retrouvèrent coincés entre les réfugiés et la foule des manifestants antigouvernementaux qui se pressait derrière et s’étaient joints à la mêlée dès que la violence avait enfin explosé.
Geary vérifia hâtivement la situation des quelques unités militaires qui avaient soutenu les miliciens et constata qu’elles se débandaient sans combattre, tandis que d’autres forces locales, prenant parti pour les manifestants, déboulaient en masse. Les policiers locaux qui protégeaient jusque-là les nervis avaient complètement disparu : soit les manifestants les avaient rattrapés, soit ils cherchaient à s’abriter partout où ils le pouvaient.
Les soldats de Voston embarquèrent dans les navettes. Les derniers brandissaient encore triomphalement leurs armes en encourageant les réfugiés de la voix lorsque les rampes d’accès se rétractèrent.
Quand elles décollèrent enfin, poursuivies par un seul tir de lance-roquette, Geary n’eut pas le temps d’ordonner une riposte, mais, de toute façon, il n’en aurait pas eu besoin. L’AAR de Rôdeur de nuit vira sur l’aile, louvoya entre le projectile et les navettes qui s’élevaient en crachant des fusées, des leurres et d’autres contremesures qui firent zigzaguer le missile en tous sens avant de se verrouiller sur un leurre et d’exploser loin des navettes.
Pendant que Rôdeur de nuit se chargeait de la roquette, Sorcière nocturne s’occupait de son lanceur. Geary vit un unique tir frapper un petit groupe de malfrats amassés sur la terrasse d’un immeuble, les éparpiller et percer un trou dans le toit, laissant sur le carreau trois gorilles qui n’eurent pas le temps de regretter leur erreur.
Les trois AAR exécutèrent des loopings de victoire au-dessus de la masse moutonnante des réfugiés et autres civils présents sur la place, puis grimpèrent à leur tour vers le ciel dans le sillage des navettes.
« Les pilotes ! marmonna Duellos. Faut toujours qu’ils friment ?
— J’ai l’impression, répondit Geary. Ils étaient pareils il y a un siècle. Ils ne peuvent pas se contenter d’être doués ; ils doivent s’assurer que tout le monde le sait.