— Black Jack ! » Une autre fenêtre de com venait de s’ouvrir, montrant la meneuse Araya et, à l’arrière-plan, la commandante des forces blindées locales qui s’était entretenue un peu plus tôt avec Geary. « Merci ! Naxos avait raison. Vous êtes une copie papier. Mais ce combat est maintenant le nôtre !
— Bonne chance », laissa tomber Geary.
Une fois toutes les navettes récupérées, il ordonna à son détachement de s’éloigner de la planète. Mais, en chemin, les émissions qu’ils interceptaient leur montrèrent la foule, à présent soutenue par les forces militaires substantielles qui avaient rallié la rébellion, envahissant le palais gouvernemental en scandant et psalmodiant des slogans appelant à la liberté.
« La liberté ! leur fit écho Duellos en regardant les bulletins en provenance de la planète. L’obtiendront-ils vraiment ?
— Ça ne dépend que d’eux », répondit Geary.
Il relâcha les ex-cargos de réfugiés, dont les équipages exigeaient d’assez exaspérante façon d’être dédommagés de leur longue corvée (héberger et trimballer tous ces réfugiés). Cela étant, quand on leur proposa de plaider leur cause devant le gouvernement d’un quelconque système stellaire voisin, ils préférèrent se mettre en quête d’activités plus lucratives. Les cargos affrétés acheminant les deux régiments des forces terrestres (celui de Kim renforcé de celui de Voston) furent envoyés avec une forte escorte vers le point de saut pour Yokaï, d’où ils regagneraient Adriana, tandis que Geary conduirait la flotte vers celui menant à Tiyannak.
« Est-ce bien couvert par vos ordres ? s’enquit Duellos.
— Tanya ne me poserait pas la question. Elle se satisferait de la conviction que j’ai pris cette décision nécessaire dans le cadre de la résolution définitive du problème des réfugiés. Ce qui est exact. »
Sauter vers Tiyannak, s’assurer que les croiseurs lourds, croiseurs légers et avisos qui avaient survécu à Batara fuyaient encore à toutes jambes, puis larguer une masse de projectiles cinétiques sur les anciens chantiers spatiaux et autres bassins de radoub syndics, où quelques autres vaisseaux de guerre stationnaient encore à divers stades de réparation, puis revenir à Batara pour annoncer que Tiyannak ne serait plus désormais en état de mener des opérations offensives contre ses voisins, tout cela prit encore deux semaines.
L’escadrille à laquelle appartenaient Sorcière nocturne, Siesta et Rôdeur de nuit avait commencé à s’installer dans l’installation partiellement réactivée de Yokaï. Geary y déposa les trois pilotes et leurs AAR, les remercia très sincèrement pour leur soutien puis reprit le chemin d’Adriana.
Alors qu’il s’apprêtait à quitter la passerelle de l’Inspiré et que la base des AAR s’éloignait graduellement derrière eux, Geary fit halte pour écouter Duellos. Celui-ci s’adressait à une fenêtre virtuelle où s’encadrait un de ses sous-offs.
« Apportez-leur toute l’aide que vous pouvez, était-il en train de dire, l’air anormalement énervé. Et, quand les nôtres seront complètement d’équerre, faites-le-moi savoir.
— Un problème ? demanda Geary.
— Mise à jour de logiciels », répondit Duellos sur le même ton de martyr persécuté dont avait usé le colonel Galland quelques semaines plus tôt. Il ferma la fenêtre virtuelle et désigna la proue. « Les techniciens informatiques de la base d’AAR ont frappé à ma porte de derrière pour demander de l’aide à mes singes de la programmation parce qu’ils rencontraient de très gros problèmes dans la gestion des réactualisations accumulées dans le matériel mis en veille.
— Des techniciens de l’aérospatiale implorant le secours de ceux de la flotte ? s’étonna Geary. Volontairement ?
— Étonnant, non ? Tous les programmateurs tendent à s’entraider mutuellement en dépit des rivalités de corps. On m’a dit qu’ils appelaient ça le Code des Singes, mais on s’est peut-être payé ma tête. »
Geary coula un regard inquiet vers l’image de la base d’AAR qui flottait sereinement dans le vide. On voyait briller quelques lumières de plus là où les forces de l’aérospatiale avaient réactivé un nombre suffisant de compartiments et d’équipements pour les héberger. « Quel est leur problème ? Une de ces cochonneries qui ont infesté les AAR à Adriana ?
— Non. Les coucous n’ont pas l’air touchés. Ils avaient été remis à jour avant leur déploiement à Batara. Cette fois, ça affecte les logiciels du senseur et des systèmes de combat de la base. » Duellos eut un grand geste du bras. « Le chef de mes singes affirme que les réactualisations de la base d’AAR, soi-disant “Nouvelles ! Améliorées ! Intuitives !”, déclenchent des conflits entre ses sous-programmes. »
Geary secoua la tête, non sans se demander ce que la découverte de problèmes dans la remise à jour des logiciels avait de bien surprenant. « L’Inspiré connaît-il des bogues identiques ?
— Rien d’aussi méchant, mais certaines remises à jour n’ont pas l’air de s’entendre comme il le faudrait avec les autres. » Duellos décocha à Geary un sourire en biais. « Les systèmes de la base d’AAR souffraient même de contaminations par le logiciel des simulations d’entraînement.
— Des contaminations ?
— De temps à autre, les simulations d’entraînement au repos affichaient de réelles détections en activité avant que ces informations ne disparaissent complètement, leurs systèmes s’en apercevant, pour réapparaître ailleurs puis disparaître de nouveau, presque aussi vite que les systèmes purgeaient les données fallacieuses.
— Et eux sont sûrs qu’il ne s’agit pas de détections réelles ? insista Geary. Nous avons eu parfois affaire à des capacités furtives exceptionnelles. Chez les Danseurs, par exemple. »
Duellos sourit derechef. « Les prétendus repérages concernaient un croiseur de combat et deux croiseurs. Il me semble que nous aurions vu un tel escadron. Mes gens ont inspecté nos systèmes à deux reprises et confirmé que nous n’avions rien distingué durant le fugace passage de ces vaisseaux. Si une technologie était capable de dissimuler des bâtiments de cette taille et que leur capacité furtive n’ait vacillé qu’une ou deux secondes, nous les aurions repérés malgré tout.
— Vous avez raison, et le meilleur équipement furtif ne saurait camoufler un objet de la dimension d’un croiseur de combat. Ce ne serait pas le premier jeu de mises à jour à planter. Sommes-nous certains qu’il s’agit bien de cela ? Pas trace de logiciels malveillants ?
— Aucune, amiral. Mes gens se sont empressés de le vérifier aussitôt. Nul signe de sabotage, à moins que, comme le colonel Galland, vous ne regardiez les mises à jour comme autant d’actes de sabotage visant les utilisateurs de logiciels.
— Par expérience, j’éprouve une profonde sympathie pour l’opinion du colonel Galland à cet égard, dit Geary. Devons-nous nous attarder près de cette base pour assister les techniciens de l’aérospatiale ?
— Non, amiral. Si le problème s’était posé, je vous en aurais fait part. Mes gens pourront leur fournir toute l’aide nécessaire à distance.
— Parfait. Je veux savoir quand ce sera réglé. Cette seule escadrille d’AAR peut tout juste assurer la sécurité ici. Nous ne pouvons pas lui permettre de se lancer dans une chasse aux fantômes informatiques quand nous avons déjà à nous inquiéter de tant de problèmes concrets. »
Quelques heures plus tard, Duellos rapportait à Geary que, si le logiciel des systèmes de l’installation des AAR n’était pas encore entièrement pacifié, au moins n’était-il plus activement engagé dans des hostilités avec ses propres sous-programmes.
Geary profita du temps consacré à la traversée de Yokaï puis au saut vers Adriana pour rédiger son rapport au QG de la flotte. Il eut le plus grand mal à décrire la perte du Flèche sans se servir de termes ou de formulations faisant porter la responsabilité de sa destruction aux décisions des huiles du QG, qui s’étaient traduites par l’expédition à Batara. Autant il en était convaincu, autant ça n’avait pas sa place dans le sec langage administratif d’un rapport.