— Inutile de me le rappeler.
— Je sais que vous aurez bien peu de chances de tomber sur un autre camp de prisonniers puisque vous ne traverserez que quelques systèmes syndics, mais gardez l’œil ouvert, ne serait-ce que pour Michael. Bonne chance, grand-oncle. »
Geary mit fin à la communication et fixa son écran avec morosité. Douze croiseurs de combat. Deux divisions de croiseurs lourds. Trois escadrons de croiseurs légers. Quatre de destroyers. « Ça ne me semble pas suffisant. »
Desjani poussa un grognement. « Ça ne l’est pas. Mais en embarquer davantage n’avancerait à rien. Au moins aurons-nous cette fois l’Inébranlable avec nous.
— L’Inébranlable ? » Geary était conscient de sa mine interloquée. « L’Inébranlable aurait-il une valeur particulière ?
— Bien sûr, voyons ! Il incarne l’esprit même de la flotte. Il doit toujours y avoir un Inébranlable. C’est bien pourquoi le dernier a été si vite remplacé après sa destruction à Héradao. »
Geary se souvenait en effet qu’un Inébranlable flambant neuf était réapparu aussi vite que le nouvel Invulnérable, mais il avait alors tant d’autres problèmes sur les bras qu’il n’y avait pas spécialement pris garde. « Depuis quand ? À quel moment l’Inébranlable a-t-il commencé à incarner l’esprit de la flotte ?
— Ça n’a pas toujours été ainsi ? s’étonna Desjani.
— Non. » Il y avait forcément eu une bataille, au cours du dernier siècle, où un premier Inébranlable s’était comporté avec une vaillance remarquable, s’était si bien battu, au point peut-être de se sacrifier, que son nom avait revêtu une signification particulière. Il y avait déjà un Inébranlable un siècle plus tôt, se souvenait-il. Il s’agissait peut-être de ce vaisseau précis, qui aurait contribué à repousser les premières attaques syndics et mérité ce faisant qu’une telle gloire auréolât son nom. « Pourquoi la perte du premier Inébranlable ne vous a-t-elle pas vraiment affectée ?
— Parce que l’Inébranlable revient toujours, expliqua-t-elle. Pas de manière funeste comme l’Invulnérable, mais favorable au contraire.
— Il me reste encore beaucoup à apprendre sur le monde d’aujourd’hui, reconnut Geary. Allons-y, maintenant. » Il tapa sur quelques touches de com. « À toutes les unités du détachement des Danseurs, ici l’amiral Geary. Commencez à adopter la formation Delta en vous guidant sur le vaisseau pivot Indomptable. Exécution immédiate. »
Il fit un signe de tête à Desjani. « Cap sur le point de saut pour Atalia, commandant.
— À vos ordres, amiral. » Répondant à ses ordres, l’Indomptable se retourna et entreprit lentement d’accélérer, en laissant aux autres vaisseaux tout le temps de prendre position autour de lui. Ils commencèrent à se glisser vers lui de toutes les directions pour former trois cubes disposés selon un V encore hésitant. Celui dont le centre était occupé par l’Indomptable prit la tête avec les bâtiments de sa division, dont le Risque-tout, le Victorieux et l’Adroit, qui remplaçait l’Intempérant. Un escadron de croiseurs légers et deux de destroyers vinrent se joindre à eux.
Sur bâbord, en arrière et un peu au-dessus, le Léviathan du capitaine Tulev prit position dans son propre cube, entouré par le Dragon, l’Inébranlable et le Vaillant, tandis qu’une division de croiseurs lourds, un escadron de croiseurs légers et un de destroyers formaient une seconde couche.
Sur tribord, également en arrière mais cette fois légèrement en dessous, l’Illustre du capitaine Badaya vint à son tour se placer dans son cube, en même temps que l’Incroyable, le Formidable et l’Implacable. Autour d’eux, une division de croiseurs lourds, un escadron de croiseurs légers et un de destroyers adoptèrent la formation.
« Belle allure, approuva Geary.
— Duellos va vous faire vivre un enfer à son retour, quand il apprendra qu’il a raté ça, le prévint Desjani.
— Si je l’avais de nouveau embarqué jusqu’aux confins de l’espace humain, son épouse l’aurait sûrement contraint à rester chez lui et il ne serait jamais revenu. » Geary attendit que le dernier vaisseau eût pris position et que les trois cubes se fussent orientés comme une tête de flèche vers le point de saut pour donner de nouvelles instructions. « À toutes les unités, accélérez à 0,1 c. Exécution immédiate. »
Le général Charban s’était de nouveau transféré du Diamant sur l’Indomptable avec son matériel de transmission. Il n’était pas sur la passerelle mais dans le compartiment réservé aux communications avec les Danseurs. Il appela Geary. « Les Danseurs ont signalé avoir compris que nous partions et qu’ils devaient se rapprocher de vous afin que vous puissiez sauter ensemble.
— Comment vous en sortez-vous avec le lieutenant Jamenson ? demanda Geary en espérant que les extraterrestres s’exécuteraient.
— C’est la plus chouette de tous les officiers aux cheveux verts avec qui j’aie servi, répondit Charban avant de sourire. Et j’ai effectivement servi avec deux autres. Pas compliqué de repérer les originaires du système stellaire d’Eire. Elle a émis le désir de passer quelque temps avec les gens du service du renseignement une fois que nous serons entrés dans l’espace du saut, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Du moment qu’elle se familiarise suffisamment avec les communications des Danseurs… » Cet échange lui rappela qu’il devait passer un autre appel. « Lieutenant Iger, si jamais nous disposons avant le saut d’une réactualisation de nos données sur la situation à Atalia et dans l’espace syndic, j’aimerais en être informé le plus tôt possible. »
L’officier du renseignement opina prestement. « À vos ordres, amiral. Pour l’heure, mes dernières informations sur Atalia me proviennent d’un rapport émis par un vaisseau estafette à l’occasion de sa dernière tournée. Il n’y a pas grand changement.
— Espérons que ça va durer. Le lieutenant Jamenson est autorisée à visiter le compartiment du renseignement pendant le saut. Ça ne vous pose aucun problème, j’imagine ?
— Le lieutenant Jamenson, amiral ? Non, non, amiral. Aucun. »
Lorsque Geary coupa la communication, Desjani souriait. « Espérons aussi que le lieutenant Jamenson ne distraira pas trop le lieutenant Iger. »
Geary coula un regard discret vers le fond de la passerelle. « À propos de lieutenants et de relations intimes, comment se portent nos deux officiers sortis de quarantaine ? » demanda-t-il à voix basse.
Desjani lui décocha un regard en biais. « Les lieutenants Yuon et Castries sont des professionnels. Ils assument leurs responsabilités sans aucune considération pour les émotions engendrées par de récents événements.
— Vraiment ?
— Vraiment. Bien entendu, je les ai aussi avertis en tête à tête que, si d’aventure un drame prenait place sur la passerelle, je leur cognerais la tête si fort qu’ils se retrouveraient de nouveau à l’infirmerie. Mais j’ai l’impression qu’ils s’entendent bien maintenant que c’est terminé. Dites, puis-je vous emprunter votre lieutenant aux cheveux verts durant le saut ? J’aimerais qu’elle jette un coup d’œil aux registres du chef Gioninni concernant ma division.