Le propos de la présentation d’Iger était aisément déchiffrable. « Il semblerait qu’Indras en soit le plus souvent le centre.
— En effet, amiral. Nous ne pouvons pas rattacher spécifiquement le CECH Yamada à tout ce qui s’y passe. Il n’est peut-être même pas au courant personnellement de certaines des activités du gouvernement central, mais il doit en connaître au moins une partie. La coordination d’un bon nombre de ces opérations clandestines passe par Indras. »
Geary se pencha légèrement, les coudes en appui sur la table, pour étudier les interconnexions et les activités qu’on lui mettait sous les yeux. « Y puis-je quelque chose ? Suis-je censé régler ce problème ?
— Non, amiral, répondit Iger en secouant la tête comme s’il le regrettait. Mon rapport n’a vocation que de vous informer. Nous sommes en paix avec les Syndics. Les forces militaires de l’Alliance ne peuvent lancer ouvertement une attaque en se fondant sur de telles preuves, qu’on ne pourrait même pas montrer à l’homme de la rue. Quant à d’autres options, nous ne disposons pas non plus de preuves recevables par un tribunal, et aucun tribunal, d’ailleurs, ne voudrait statuer sur un différend entre l’Alliance et les Mondes syndiqués.
— Quelqu’un d’autre s’en charge ? »
Iger hésita une seconde puis reprit lentement : « Je ne peux rien dire, amiral.
— Parce que, que vous le sachiez ou non, je n’ai pas le niveau d’accréditation requis ? » Geary s’efforçait de ne pas avoir l’air furieux ni accusateur. Si l’affaire échappait à Iger, ce n’était pas sa faute et il ne devait pas l’en tenir personnellement responsable.
« Honnêtement, je ne sais rigoureusement rien, amiral, protesta le lieutenant. J’ai appris par des bruits de couloir que des contre-mesures étaient en cours, mais rien de précis ni d’officiel.
— Des contre-mesures ? Dirigées contre ce qui se passe ici ?
— De vagues rumeurs, amiral. Sans plus.
— J’espère que ça s’arrête là, déclara Geary. Parce que, si quelque chose éclatait dans ce système stellaire pendant notre séjour ou juste après notre départ, ça paraîtrait louche à tout le monde. » Il aurait aimé ajouter que nul n’irait ourdir (du moins sans l’en avoir préalablement informé) des actions clandestines qui, par le choix de leur timing ou leur localisation, risquaient d’impliquer ses propres vaisseaux, mais ses récentes expériences relatives au goût maniaque du secret au sein du gouvernement lui soufflaient de ne pas trop compter là-dessus. « Si jamais il se présente autre chose qui s’y rapporte, faites-le-moi savoir. »
Il attendit encore un jour entier, le temps que les vaisseaux de l’Alliance et ceux des Danseurs eussent presque atteint le portail, pour afficher de nouveau le message du CECH syndic et appuyer sur la touche RÉPONDRE : « CECH Yamada, ici l’amiral Geary. Les clauses du traité de paix avec les Mondes syndiqués nous autorisent à transiter par l’espace du Syndicat pour gagner le système de Midway ou en revenir, comme à emprunter pour ce faire l’hypernet syndic. Nous continuerons à agir en conformité avec les droits que nous octroit ce traité. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé.
— Ils savaient probablement déjà que nous nous rendions à Midway, dit Desjani.
— Plus longtemps nous les tenons en haleine, mieux ça vaut. Quittons Indras avant que les Danseurs ne décident d’aller jouer les touristes. » Ou que ça n’explose quelque part, ajouta Geary en son for intérieur.
À son grand soulagement, la clef de l’hypernet subtilisée aux Syndics composa sans problème la destination de Midway et, un instant plus tard, ils étaient de nouveau en sécurité dans la grisaille infinie.
L’hypernet permit aux vaisseaux de Geary de franchir en quelques semaines la distance les séparant de Midway, voyage qui aurait duré plusieurs mois s’ils s’étaient déplacés d’étoile en étoile par sauts successifs. Assez bizarrement, bien qu’on n’y souffrît pas des désagréments de l’espace du saut, Geary fit à deux reprises le même rêve, qui s’achevait toujours d’aussi frustrante façon. Que son subconscient ou autre chose cherchât à lui transmettre un message, il n’en saisissait pas la signification.
Alors que les vaisseaux de l’Alliance quittaient enfin l’hypernet, les étoiles réapparurent autour d’eux et les écrans se mirent à réactualiser les données. « On dirait qu’on s’est drôlement activé par ici, rapporta le lieutenant Iger. Les échanges de communications sont pléthoriques. Officielles ou officieuses.
— Rien de menaçant ? s’enquit Geary. Il y a un croiseur de combat. À qui appartient-il ?
— On cherche encore à l’identifier, amiral. Une minute ! On capte des références à Pelé.
— C’est le plus proche système stellaire en direction du territoire Énigma, laissa tomber Geary, en affichant plus de patience qu’il n’en éprouvait.
— Non, amiral. Euh… oui, amiral, je veux dire, se corrigea précipitamment l’officier du renseignement. Ce Pelé-là est un vaisseau. Ce nom correspond apparemment au croiseur de combat.
— Les Syndics ne donnent pas de nom à leurs vaisseaux, lâcha Desjani.
— Mais les gens de Midway oui, répondit Geary. Pour bien souligner, justement, qu’ils ne sont plus des Syndics. Où ont-ils déniché ce croiseur de combat ?
— Aucune idée, amiral, dit Iger. Il semble qu’il se produise de graves troubles de l’ordre public sur la principale planète habitée. Des émeutes de civils. Le gouvernement s’efforce de les réprimer.
— De quelle manière ? » demanda Geary d’une voix plate. Les Syndics avaient une façon bien à eux de gérer les émeutes et les émeutiers, et les dirigeants de Midway étaient encore des Syndics il n’y avait pas si longtemps.
« Je ne peux pas le préciser, amiral.
— Hé ! » L’exclamation de Tanya attira l’attention de Geary. « Les Danseurs viennent de décrocher. »
C’était un euphémisme. Les vaisseaux extraterrestres s’étaient écartés en trombe de la formation de l’Alliance, à leur plus haut taux d’accélération, avec lequel les croiseurs de combat eux-mêmes n’auraient su rivaliser. « Ils piquent sur le point de saut pour Pelé. Général Charban !
— Voilà, amiral », répondit Charban depuis le compartiment où Iger et lui-même étaient à nouveau assis devant leur matériel de trans. « Je viens de recevoir un message des Danseurs. Observez. Les Nombreuses. Étoiles.
— Les nombreuses étoiles ? Qu’est-ce que ça… ? Pardonnez-moi. » Pour une fois, Geary évita de poser une question dont il savait que Charban ignorait la réponse. Il marqua une pause pour réfléchir, tout en regardant s’éclipser les Danseurs. « Ils rentrent chez eux aussi vite qu’ils le peuvent, j’imagine.
— Je suis du même avis, dit Charban. Je vais tâcher d’en apprendre plus avant qu’ils ne disparaissent définitivement.
— Merci. Si…
— Nous recevons un autre message des Danseurs, le coupa Charban, l’air interloqué. Ça dit : À la prochaine fois, on se reverra, au revoir pour l’instant. »
Tanya arqua les sourcils. « Ils ne prennent pas le risque d’une méprise, cette fois.
— Non, en effet. Ils tiennent à ce que nous sachions qu’ils reviendront.
— Espèrent-ils que nous allons les attendre ici ? demanda Geary, exaspéré.