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Les cuirassés vinrent se glisser en position parmi les croiseurs de combat et les escorteurs puis ouvrirent à leur tour le feu de leur formidable armement. Geary sentit ses lèvres se crisper en une grimace involontaire : l’énergie qui saturait l’espace alentour scintillait désormais au point de devenir visible ; les vagues de tête des appareils ennemis rescapés s’évaporaient sous le torrent de feu vomi par les cuirassés.

« Ça va être serré, déclara Desjani comme si elle discutait d’un plan de table. Ils sont beaucoup trop nombreux et ils continuent de se rapprocher. Nos batteries de proue se sont assez refroidies pour tirer plusieurs autres salves, mais, dès que nous pivoterons de nouveau, ces extraterrestres nous tomberont sur le poil.

— Compris. » Les manœuvres préétablies ne menaient pas plus loin. Il incomberait donc à Geary d’évaluer au mieux l’instant T où il passerait à l’étape finale chaotique de la bataille. Il regarda les extraterrestres se rapprocher encore, les tirs des cuirassés commençant à faiblir à leur tour. Ils sont si proches à présent. Mais je dois permettre à leurs survivants de se rapprocher encore un peu plus, afin de leur laisser moins de temps pour réagir à notre manœuvre suivante. À quelle distance des unités les plus éloignées de ma formation ? Tenons compte du temps qu’elles mettront à recevoir mes ordres. Fort heureusement, les assaillants continuent d’en viser le centre, si bien qu’une réaction légèrement retardée des flancs de notre formation ne nuira pas à ces vaisseaux. On y est presque.

« Amiral ? » demanda Desjani sur un ton relativement dégagé. Cela dit, le seul fait qu’elle posât la question trahissait, assez rare témoignage, la tension qu’elle cherchait si efficacement à dissimuler.

« Pas encore. » Il leva la main, l’agita lentement plusieurs fois comme pour compter puis appuya sur sa touche. « À toutes les unités. Effectuez une manœuvre d’évitement indépendante au maximum de votre capacité pour vous soustraire aux vaisseaux ennemis tout en continuant de les mitrailler avec toutes vos armes à courte portée. Exécution immédiate. »

Il sentit la pression le secouer en dépit des tampons d’inertie, Desjani venant d’engager l’Indomptable dans un virage serré à sa vélocité maximale ; le croiseur de combat décrivit un grand arc de cercle dans l’espace avant de pivoter pour engager aussitôt le combat. « Tirez la mitraille en même temps que les canons se verrouillent sur leurs cibles ! ordonna-t-elle. Que toutes les lances de l’enfer se déchaînent et s’activent jusqu’à la disparition du dernier assaillant ! »

Des alarmes de collision hurlèrent des mises en garde, des centaines de vaisseaux adoptant en même temps une nouvelle trajectoire. L’écran de Geary passa au rouge tant ces alertes le recouvraient. Heureusement, les manœuvres initiales, alors que les vaisseaux de l’Alliance restaient encore très proches les uns des autres, étaient relativement prévisibles par les systèmes, puisque à peu près tous les vaisseaux se retournaient pour affronter le plus proche appareil ennemi. Ce facteur, s’ajoutant peut-être à l’assistance providentielle qu’avait implorée Geary, prévint toute catastrophe.

Les appareils extraterrestres étaient là, pratiquement sur les vaisseaux de l’Alliance, quand la mitraille vomie par plus de deux cents bâtiments les cingla à une vitesse relative de milliers de kilomètres par seconde. Des centaines d’extraterrestres survivants disparurent, anéantis par une vague de destruction, puis les lances de l’enfer se déchaînèrent avec une fureur renouvelée, les armes de proue trouvant de nouvelles cibles.

Geary n’aurait su dire combien il restait d’appareils ennemis dans ce carnage tant les nuages de débris et les décharges d’énergie saturaient l’espace, tandis que les vaisseaux de l’Alliance s’éparpillaient comme si leur formation avait explosé en centaines d’éléments indépendants. Même les auxiliaires et les transports faisaient maintenant feu ; leurs modestes défenses s’efforçaient de repousser les assaillants survivants, parmi lesquels beaucoup semblaient provisoirement désemparés par la dispersion de la flotte. Mais d’autres, probablement verrouillés aux cibles qu’ils avaient élues, traversaient le corps principal de la flotte, visant les auxiliaires, son talon d’Achille, et les transports, proies manifestement vulnérables.

Sa trajectoire s’incurvant légèrement vers le bas, l’Indomptable roula pour esquiver un appareil extraterrestre qui venait de virer de bord pour l’intercepter, mais qui, touché par des frappes de lances de l’enfer provenant de multiples directions différentes, explosa près du croiseur de combat, le faisant tanguer. Deux destroyers et un croiseur léger le frôlèrent, piquant vers le haut alors que lui-même plongeait sous eux, puis un cuirassé pirouetta en surplomb, si près que Desjani elle-même parut un instant désarçonnée. Elle se reprit très vite, jura et accorda la priorité à deux autres cibles. Elle appuya sur sa commande de tir au moment précis où un adversaire passait devant elle, piquant sur le Titan, l’élimina puis en abattit un second, assez proche de l’Indomptable pour que son explosion secoue le croiseur de combat.

Mais son élan le vouait à poursuivre sa course sur la même trajectoire, lui interdisant de se retourner assez vite pour affronter ceux des agresseurs qui réussissaient à le dépasser. Geary ne put qu’assister, impuissant et pris d’un mauvais pressentiment, à l’irruption de nouveaux appareils ennemis lancés sur un vecteur les menant droit sur le Titan et le Tanuki. Puis, miraculeusement, l’Orion apparut, surgissant de plus bas. Le cuirassé descendit un premier appareil ennemi près du Titan et fit voler le second en éclats, quasiment à bout touchant, alors qu’il frisait déjà la poupe du Tanuki. L’explosion fut assez violente pour le déporter légèrement en dépit de sa masse.

Un autre assaillant fondait sur le transport Mistral quand les croiseurs lourds Diamant, Gantelet et Buckler réussirent à le cerner d’assez près pour lâcher une salve de lances de l’enfer sur l’arrière du vaisseau/missile et le fracasser à deux doigts de sa cible.

Aucun ennemi n’avait survécu assez longtemps pour atteindre les transports et les auxiliaires. Geary reporta le regard sur le tableau général de la bataille et s’efforça de distinguer les symboles des appareils ennemis rescapés de la masse des débris et du tourbillon confus des vaisseaux de l’Alliance, qui cherchaient non seulement des cibles mais s’efforçaient en même temps de s’éviter les uns les autres et d’esquiver les plus grosses carcasses.

Rien. Les seuls symboles rouges qui clignotaient sur l’écran étaient ceux des dizaines d’alertes de collision, qui continuaient de proliférer puis s’éteignaient tout aussi vite à mesure que les systèmes de manœuvre de la flotte contactaient ses vaisseaux, prenaient en une milliseconde les décisions nécessaires et coordonnaient les corrections de trajectoire permettant d’éviter les télescopages. Le dernier appareil ennemi était détruit, et il ne restait plus qu’à compter ses plaies. Pour l’instant, Geary pouvait tout juste affirmer que les dommages infligés à la flotte n’avaient rien du carnage auquel on aurait pu s’attendre, loin s’en fallait. « À toutes les unités, reprenez la formation Delta dès que vous pourrez regagner votre position en toute sécurité. Vélocité de la formation réduite à 0,05 c. » D’abord ralentir tout son monde, en continuant de fondre vers la forteresse orbitale et en ramenant la formation à un simple cube, aussi élémentaire que possible, pendant qu’il s’efforcerait de faire le tri.