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Non, pas un sanctuaire, en fait. Rien qu’un bref sas entre une crise et la suivante.

Quatre

Desjani resta coite plusieurs minutes après la fermeture de l’écoutille. « Ton adresse à la flotte signifie-t-elle officiellement que l’Indomptable reste ton vaisseau amiral ? » demanda-t-elle finalement en regardant droit devant elle plutôt que de fixer Geary.

Oups ! « J’imagine. Avant de participer à cette réunion, je ne savais même pas quel commandement on me confierait ni si l’Indomptable en ferait partie.

— Tu l’as annoncé à la flotte à ta sortie. Avant même de m’en faire part. »

Geary ne put s’empêcher de tiquer. « Tu m’as dit que je devais transmettre le plus tôt possible un message à la flotte. »

Elle lui jeta un regard en biais. « De quoi exactement l’Indomptable sera-t-il le vaisseau amiral ?

— De la Première Flotte.

— Impressionnant, à t’entendre.

— Ça l’est, lui affirma-t-il. La plupart des vaisseaux qui nous ont accompagnés jusque-là seront de la fête.

— Pourtant, quelque chose te turlupine sincèrement, fit-elle remarquer en se tournant vers lui. Où est le piège ? »

Geary activa les champs d’intimité autour de leurs sièges. Les pilotes n’étaient pas censés écouter, et ces champs n’auraient sans doute pas raison de systèmes d’espionnage sophistiqués, mais il n’allait strictement rien lui dire qu’il ne confierait pas bientôt à ses autres commandants. Il lui fit part de son affectation et lui expliqua leur mission pendant qu’elle poussait de temps à autre des grognements d’exaspération.

Lorsqu’il eut terminé, elle secoua la tête. « Je n’aurais jamais cru que même les politiciens de l’Alliance pourraient rassembler autant d’ordres contradictoires dans une seule instruction. Comment es-tu censé t’engouffrer sans déclencher des hostilités dans un territoire appartenant à une espèce qui a donné la preuve de ses mauvaises intentions ? Comment comptes-tu établir avec elle des communications tout en respectant sa conception de l’intimité ? Et comment pourras-tu te débrouiller pour conclure un accord avec ces extraterrestres sans compromettre nos propres décisions futures ?

— Ça me dépasse, avoua Geary. Crois-tu que les hommes d’équipage vont nous poser de gros problèmes ? On les envoie remplir une telle mission alors qu’ils s’attendaient à bon droit à une longue permission chez eux.

— Des problèmes ? lâcha Desjani, manifestement agacée. Le gouvernement est conscient que tu es le seul chef qu’ils accepteraient de suivre parce qu’ils se fient à toi pour les ramener chez eux. S’il nommait quelqu’un d’autre à leur tête, alors là, oui, il y aurait de gros problèmes. »

Geary ne s’en sentit que plus mal. « Ils vont me suivre dans ce bourbier parce qu’ils se fient à moi.

— Amiral. » Le ton de Desjani contraignit Geary à la regarder droit dans les yeux. « Vous allez devoir mener votre barque dans les rapides. Sans vous, la flotte serait en train de ravager Varandal.

— Sans moi, le problème n’aurait même pas été soulevé.

— Oh, veuillez me pardonner, amiral. Sans vous, la flotte aurait été anéantie voilà plusieurs mois dans le système central syndic, et les Syndics seraient en train de ravager Varandal et tous les systèmes de l’Alliance qui leur tomberaient sous la main.

— Pourquoi est-ce insuffisant ? demanda Geary. Pourquoi le sort de l’Alliance dépend-il encore de moi ?

— Je t’ai dit que les vivantes étoiles n’en avaient pas encore fini avec toi, répondit Desjani. Quant à savoir pourquoi, nous poserons la question à tes ancêtres, mais je sais au moins une chose. En l’occurrence, on a confié ces responsabilités à quelqu’un qui pouvait les endosser.

— Tanya. » Il se voila les yeux de la main. « Comment suis-je censé soutenir à la fois le gouvernement et la flotte quand chacune des parties s’imagine que l’autre est décidée à la détruire ? »

La main de Desjani se posa sur la sienne. « Tâche de les empêcher toutes les deux de faire une sottise, l’entendit-il déclarer d’une voix lugubre.

— C’est tout ? » Il sentit naître en lui un rire incrédule et il le libéra, en emplissant tout le compartiment l’espace d’un instant. « Comment peut-on empêcher les gens de faire une sottise ? Les hommes sont doués pour ça. C’est même un de nos plus grands talents et nous l’exerçons fréquemment. »

Elle ne répondit pas aussitôt. « Quand on cesse de pratiquer un talent, on finit par se rouiller, affirma-t-elle finalement. Nous le cultivons donc en faisant de fréquentes sottises. Imagine un instant que les hommes soient nuls en matière de stupidité. Nous mettrions des siècles à nous faire tout le mal que nous pouvons désormais nous infliger en quelques mois. »

Geary rouvrit les yeux, fixa son visage grave puis remarqua qu’un coin de sa bouche frémissait comme si elle s’efforçait de réprimer un sourire. « Depuis quand es-tu investie de ce sens tordu de l’humour, Tanya ?

— Ce n’est qu’une partie de mes efforts pour rester saine d’esprit. Et, puisqu’on parle de fous, pouvons-nous aborder le sujet des événements qui se sont déroulés pendant la quasi-révolution de tout à l’heure ? Un petit rappel ne te ferait pas de mal avant que tu t’adresses à tout le monde. »

Geary garda un instant sa main dans la sienne puis la relâcha. « Je vais peut-être devoir bien mener ma barque, mais c’est grâce à toi que je garde le cap. Tu as raison. Je n’ai pu entendre aucun des messages qui ont dû filtrer par les portes de derrière. J’ai vu une mise à jour, donc je connais certains des vaisseaux impliqués. Dont l’Illustre, bien entendu. »

Elle montra ses dents. « Badaya n’a pas cessé de semer la zizanie. C’était le plus intraitable de tous ; il persistait à dire que le gouvernement cherchait à se débarrasser de toi et de tous tes partisans dans la flotte, en me traitant quasiment de veuve. Si nous nous étions trouvés dans le même compartiment, je lui aurais volontiers vidé un barillet dessus.

— Ça l’aurait certainement fait taire, convint Geary.

— Ouais. Eh bien, ça aurait eu au moins cet avantage. »

Préférant laisser de côté pour l’instant le problème de Badaya, Geary parcourut mentalement la longue liste des vaisseaux présents à Varandal. « L’Intrépide ?

— Oui. » Desjani parut fugacement mal à l’aise puis haussa les épaules. « Tu avais besoin d’aide, a-t-elle insisté.

— Même après que tu as transmis mon ordre ?

— En effet. Jane Geary était assez agressive et tenait à affronter le gouvernement, et elle a entraîné plus d’un vaisseau dans son sillage, comme tu as pu t’en rendre compte. »

C’était absurde. « Elle ne faisait pas partie des officiers accusés ou relevés de leurs fonctions par ce message. L’Intrépide n’appartenait même pas à la flotte avant la bataille de Varandal. Et Jane s’est retrouvée à la tête d’un cuirassé plutôt que d’un croiseur de combat parce qu’on ne la jugeait pas assez énergique. Qu’est-ce qui a bien pu lui faire lâcher les manettes ?

— Je n’en sais franchement rien. Mais des gens ont remarqué qu’elle incitait tout le monde à faire ce à quoi je m’opposais. Sur les canaux privés, on a beaucoup chuchoté qu’elle ne me soutenait pas. Note que je ne l’ai pas pris personnellement, se donna-t-elle la peine d’ajouter. Mais, professionnellement, j’étais sérieusement déstabilisée. Je te suggère de t’entretenir avec elle.