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— Allez au diable, répondit Desjani sans aucune véhémence.

— Qui est plus ancien que Tulev ? s’enquit Geary.

— Badaya arrive en second et le premier est… Vente, de l’Invulnérable.

— Nos ancêtres nous préservent. » Une migraine familière menaçait à nouveau de poindre.

Duellos se massa le menton. « Badaya n’accepterait tout bonnement pas Vente. Il tenterait d’obtenir des commandants de la flotte qu’ils soutiennent sa nomination au poste de commandant en chef. Ce qui, s’il y parvenait, pourrait poser un problème. Et il y réussirait sûrement dans la mesure où Vente est nouveau et doit se créer des appuis.

— Mais comment convaincre Badaya de ne pas s’opposer à la nomination de Tulev au poste de commandant en second et de commandant en chef si je disparais ? » Le silence qui suivit confirma son inquiétude. « Je n’ai même pas commencé à organiser la flotte et je me heurte déjà à un problème majeur.

— Contentez-vous d’attendre que le QG vous envoie un organigramme, conseilla Desjani d’une voix enjouée. Il spécifiera très précisément la place de chacun, de chaque vaisseau et de chaque chose. »

La migraine s’était décidément installée. « Et en quoi exactement trouvez-vous cela drôle, capitaine Desjani ?

— En ce que le QG envoie toujours un organigramme détaillé que les commandants d’active s’empressent d’ignorer, lui expliqua Duellos. Qu’un individu qui se trouve à des vingtaines d’années-lumière veuille décider quels vaisseaux entrent dans tel ou tel escadron ou division, de combien de bâtiments devront se composer ces divisions et escadrons, comment répartir les équipages, quel vaisseau, service ou cabine seront affectés au lieutenant Untel dont le vaisseau d’origine vient d’être détruit, ce n’est pas franchement commode, mais ça n’a jamais empêché le QG d’essayer.

— Il envoie donc un message extrêmement détaillé, ajouta Desjani. Avec des mises à jour périodiques, des corrections, additions et addenda…

— Sans même parler des appendices et autres annexes, renchérit Duellos.

— … et le QG se persuade alors que chaque particule de l’univers est alignée au carré, tout comme il l’a ordonné. Ça fait sa joie. Nous ignorons son message, ce qui nous permet de fonctionner correctement et fait notre bonheur.

— Pas étonnant que la guerre ait duré un siècle, soupira Geary.

— Le QG en est en grande partie responsable, assurément, convint Duellos. Obtenir que Tulev soit accepté comme votre successeur en cas de malheur est effectivement un gros problème. D’un autre côté, essayons de trouver un moyen de nous assurer que Badaya réagira de manière responsable. Sincèrement, c’est probablement la meilleure solution car tenter de l’évincer serait très difficile. Ce sont là effectivement de réels sujets d’inquiétude. Mais, quand l’organigramme arrivera, vous pourrez toujours le lire en diagonale puis appuyer sur le bouton “Effacer”, tout content de savoir que vous n’aurez strictement rien à faire de ce qu’il exige.

— Génial. Merci de m’avoir aidé à maintenir l’ordre quand ce fichu message de mise en accusation est arrivé du QG. »

Duellos hocha encore la tête, mais il s’était départi de toute gaieté. « C’était vraiment une énorme boulette. Quelqu’un jouissant de plus d’ancienneté que de matière grise a failli causer des dommages irréparables. » Il se leva et haussa les épaules. « Pourquoi est-ce que ça devrait me surprendre ? Mes félicitations aussi à tous les deux. Puissent les vivantes étoiles briller sur votre union. »

Desjani se leva en soupirant après son départ. « Nous ne devrions pas rester tout seuls ici plus longtemps qu’il n’est nécessaire, j’imagine. Il me semble que tu t’es assez bien débrouillé. Te serviras-tu de ce compartiment pour débattre en tête à tête d’un éventuel suivi avec certains officiers ? »

Geary hésita. « J’envisageais de le faire depuis ma cabine…

— Depuis ce compartiment, ce serait déjà en soi envoyer un message, conseilla-t-elle. Du moins si tu entends marquer en privé ta désapprobation des agissements récents de certaines personnes. Surtout si elles te sont apparentées.

— Pourquoi fais-je semblant de croire que tu ne sais pas ce que je fais ? » demanda Geary.

Tanya se contenta de sourire avant de sortir.

Prenant son courage à deux mains, il appela le commandant de l’Intrépide. Je dois m’entretenir en privé avec vous. »

L’image de Jane Geary ne mit qu’une ou deux minutes à apparaître. « Oui, amiral ? » s’enquit-elle sans trahir aucun embarras.

Il ne la pria pas de s’asseoir. Cela aussi serait un signe, comme le choix de ce compartiment. « Capitaine, après avoir parcouru les enregistrements des communications, je me suis inquiété de vos récents agissements. » Il avait choisi ce biais pour éviter d’impliquer Desjani, interdire à Jane de s’imaginer qu’il se basait sur ses rapports. « Pour être plus précis, je ne comprends pas ce qui vous a poussée à vous conduire ainsi. »

Tant la voix que l’expression de Jane Geary étaient réservées. « J’ai cru agir au mieux, amiral.

— Tous les vaisseaux avaient reçu de ma part l’ordre de rester en position. Non seulement l’Invincible a quitté son orbite assignée, mais vous avez encore incité les autres bâtiments à faire de même.

— Compte tenu des circonstances, j’ai trouvé avisé de faire pression sur ceux qui avaient déclenché cette crise.

— Même si mes ordres allaient à l’encontre de cette décision ? » Lui-même percevait l’incrédulité qui perçait dans sa voix ; il était conscient que sa colère transparaissait et ne cherchait même pas à la cacher.

« On peut truquer les communications, amiral.

— Vous étiez en ligne avec le capitaine Desjani, qui transmettait les ordres que je lui avais donnés en personne.

— Ses communications auraient aussi pu être déformées en chemin, expliqua Jane Geary. Vous étiez tous les deux aux mains de forces extérieures à la flotte. »

Il lui était arrivé quelque chose. Mais quoi ? Geary se rassit, la laissant plantée devant lui. « Capitaine Geary, lâcha-t-il, se servant de son grade officiel pour mieux accentuer ses paroles, je m’entretenais avec des membres du gouvernement de l’Alliance. Il n’y avait pas de “forces extérieures”. J’aimerais me montrer très clair sur les raisons de mon mécontentement. Je ne suis pas seulement contrarié parce qu’on a désobéi à mes ordres, mais en raison de votre conduite personnelle. Depuis la première fois où je vous ai vue en action, quand vous avez défendu Varandal, votre pénétration et votre réserve m’ont toujours impressionné. Vous n’agissiez ni témérairement ni impulsivement. »

Ces derniers mots suscitèrent une réaction : un éclair scintilla dans les yeux de Jane Geary et ses lèvres se crispèrent légèrement. « J’ai pris les décisions qui me semblaient requises par la situation, déclara-t-elle. Exactement comme vous l’avez toujours fait vous-même, amiral. On m’a choisie pour commander un cuirassé, pas un croiseur de combat, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il me manque le courage des Geary. »

Il ne put s’interdire un léger froncement de sourcils intrigué. « Nul ne l’a jamais mis en doute. »

Elle soutint son regard. « Et pourtant si, amiral. »

Le passé s’abattit de nouveau entre eux comme un couperet, pareil à un mur invisible qui séparerait à jamais John Geary de ses parents survivants. Dites-lui que je ne vous hais plus. Les derniers mots que lui avait adressés Michael Geary. Aux yeux de ses descendants, Black Jack Geary avait toujours été celui qu’on ne pouvait égaler et auquel on ne pouvait se soustraire. Tous étaient voués à servir dans la flotte en grandissant, à l’imitation de ce soi-disant héros emblématique, de cet ancêtre qu’on croyait mort. « Jane, je vous ai déjà dit que je voyais en vous l’un des meilleurs commandants de la flotte, ceux des croiseurs de combat inclus. Vous êtes l’une des meilleures.