— Vingt et un. Tous des civils. Dont quatorze docteurs émérites.
— J’attends encore votre bonne nouvelle. Où suis-je censé caser vingt et un experts civils des espèces intelligentes non humaines qui n’ont jamais entendu parler ni rencontré de représentants d’une espèce intelligente non humaine. Ni même rien lu à leur sujet ? »
Timbal eut un geste d’excuse. « Ce sont les meilleurs dont dispose l’humanité dans ce domaine. Si je puis vous faire une suggestion, un de vos transports d’assaut serait l’idéal. Il devrait vous rester un tas de cabines disponibles sur au moins l’un d’entre eux et, si jamais vos professeurs et vos docteurs s’ennuient, ils pourront toujours étudier les fusiliers.
— Ils devraient parvenir à d’intéressantes conclusions, lâcha Geary. Merci de l’avertissement. Je vais ordonner au général Carabali de les prendre en main et de décider du transport auquel les affecter. »
Une semaine plus tard, il relevait la tête, alarmé. Les coups frappés à l’écoutille de sa cabine étaient si violents qu’ils évoquaient la vision de mitraille heurtant la cuirasse d’un vaisseau à une vélocité de plusieurs milliers de kilomètres par seconde. Lorsque les tremblements suscités par le dernier martèlement s’apaisèrent, l’écoutille s’ouvrit à la volée et Tanya Desjani entra en trombe dans la cabine, l’air suffisamment échauffée pour cracher elle-même du plasma. « Qu’est-ce que cette bonne femme fait encore sur mon vaisseau ? »
Six
Geary était conscient d’afficher une mine sidérée, puisqu’elle correspondait parfaitement à ce qu’il éprouvait. Une seule femme pouvait déclencher une telle réaction chez Tanya. « Rione ? Victoria Rione ? »
Les yeux de Desjani le transpercèrent, brasillant de fureur. « Tu l’ignorais ?
— Elle est sur l’Indomptable ? Depuis quand ? Comment ? »
Toujours morte de rage mais légèrement radoucie par la surprise que manifestait Geary à cette nouvelle, Desjani hocha la tête avec raideur. « Elle est arrivée par la navette quotidienne régulière. Je ne l’ai appris que quand elle en est descendue, voilà quelques minutes. » Elle lui jeta un regard aigre sans cesser d’arpenter la cabine de long en large. « Tu peux t’estimer heureux d’être un aussi piètre menteur. Il est visible que tu ignorais son arrivée. Si jamais tu en avais été informé et que tu me l’avais caché…
— Je ne suis pas idiot à ce point, Tanya. Que diable vient-elle faire à bord de l’Indomptable ?
— Tu vas devoir le lui demander, puisque tu es incapable de me le dire. »
Qu’avait-il bien pu faire pour inciter les vivantes étoiles à lui jouer un tel tour ? Geary hocha la tête, geste qu’il espérait apaisant. « Où est-elle ?
— En ce moment ? Connaissant cette femme, elle va sans doute se rendre directement dans ta cabine. »
Desjani n’avait pas achevé sa phrase que l’alerte de l’écoutille carillonnait. Desjani croisa les bras et resta plantée là, visiblement résolue à n’en pas bouger. Geary rassembla tout son courage et appuya sur la touche d’ouverture de l’écoutille.
Tout espoir qu’il pût s’agir d’un homonyme s’évanouit dès qu’il vit Victoria Rione s’encadrer dans l’écoutille, son masque affichant un intérêt poli. « Je ne dérange pas, au moins ? »
Déjà écarlate, le visage de Desjani s’empourpra encore, virant au violet, en même temps qu’elle crispait les mâchoires et le poing gauche où brillait ostensiblement son alliance. Elle parvint néanmoins à répondre d’une voix égale : « On ne m’avait pas prévenue que vous veniez visiter mon vaisseau.
— C’est une affectation de dernière minute décidée par le gouvernement, déclara Rione, répondant à la question de Desjani tout en donnant l’impression de s’adresser à Geary.
— La République de Callas ne va pas vous regretter ? s’enquit Geary.
— Non, malheureusement. » Les premiers frémissements d’une émotion sincère effritèrent fugacement le masque de Rione, trop vite pour qu’on pût les déchiffrer. « Élections spéciales. Vous en avez peut-être entendu parler. Les électeurs m’ont jugée trop impliquée dans l’Alliance et pas suffisamment dans les problèmes concernant directement la République de Callas. »
Il finit par comprendre. « Vous n’êtes plus coprésidente de la République de Callas ?
— Ni coprésidente ni sénatrice de l’Alliance. » Le ton de Rione restait léger, mais ses yeux flamboyaient, trahissant d’autres émotions. « Quelqu’un qu’on regarde comme plus loyal à l’Alliance qu’à la République ne ferait qu’un bien piètre représentant de Callas, s’agissant de déterminer si elle doit ou non se retirer de l’Alliance maintenant que la guerre est finie, ne trouvez-vous pas ? Après tout, la République ne s’est unie à l’Alliance que pour affronter la menace syndic. Profitant de mon actuelle disponibilité, l’Alliance m’a engagée en tant qu’émissaire du Grand Conseil.
« Émissaire du Grand Conseil ? s’étonna Geary. Qu’est-ce que ça peut bien signifier, bon sang ?
— Ce que le Grand Conseil et moi voulons que ça signifie. »
Ça l’amuse, s’aperçut-il.
Desjani était manifestement parvenue à la même conclusion et s’efforçait de maîtriser sa colère. « J’imagine que vous tenez à régler vos affaires avec l’amiral avant le départ de la navette, si bien que…
— Je reste, la coupa Rione, s’adressant de nouveau à Geary. Le Grand Conseil voudrait que je partage le vaisseau de l’amiral pendant toute la durée de sa prochaine mission. »
Craignant de voir Desjani exploser sur place, Geary fixa Rione en fronçant les sourcils. « Vous repartirez quand nous regagnerons l’espace de l’Alliance ? »
Laissa-t-elle transparaître autre chose sur le moment ? Quelque chose de trop intense pour qu’on pût le cacher, mais pourtant si bien dissimulé qu’il n’était même pas certain de l’avoir vu. « Tout dépend des ordres que je recevrai du Grand Conseil », répondit Rione.
Que les ancêtres nous préservent. De nouveau coincé sur le même vaisseau que Desjani et Rione. À faire le tampon entre ces deux femmes. « Je vais envoyer un message…
— Ne prenez pas cette peine. Le Grand Conseil tient absolument à ma présence à bord. Ce serait une perte de temps. L’autre émissaire désigné par le Grand Conseil devrait arriver incessamment. » Rione finit par admettre la présence de Desjani et lui décocha un sourire glacial. « Mais je manque à tous mes devoirs. Félicitations à tous les deux. Quel bonheur que tout se soit passé au mieux quand la flotte a regagné Varandal. »
Desjani se raidit derechef ; son regard se reporta un instant sur Geary qui, de son côté, s’efforçait de ne rien laisser paraître. Si d’aventure Desjani apprenait que Rione l’avait aidé ce jour-là à la rattraper, ça risquait de lui coûter cher. Et Rione le sait. Alors pourquoi lui met-elle la puce à l’oreille ? Qu’est-ce qu’elle a donc en tête ? « Quel rôle êtes-vous censée jouer ? s’enquit-il.
— Je représente le gouvernement », répondit-elle en jetant un regard vers Desjani.
Tanya capta le message et se tourna vers Geary, furibonde. « Avec votre permission, amiral, je vais retourner à mes responsabilités.
— Merci, Tanya. » Il avait tenté d’insuffler un double sens à ces dernières paroles et y était peut-être parvenu car elle parut se calmer légèrement.
L’écoutille ne s’était pas refermée sur Desjani que Rione se laissait tomber dans un fauteuil, le visage décomposé. « Je suis sincèrement désolée qu’on ne vous ait pas prévenu de mon arrivée.