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— Vous n’aviez pas besoin de provoquer ainsi Tanya.

— Non, mais je suis une garce et je dois m’exercer sans arrêt. Quant à cette absence d’avertissement, elle n’est pas de mon fait. Le Grand Conseil agit assez précipitamment ces temps-ci. Mon collègue devrait arriver dans les deux jours.

— Il ferait bien, parce que nous partons dans une semaine. Est-ce que je le connais ? demanda Geary en s’asseyant en face d’elle.

— J’en doute. Hyser Charban, un général à la retraite. » Rione eut un rire sarcastique. « Il ne cherche pas à s’octroyer le pouvoir par la force mais à l’ancienne mode, en accumulant les faveurs de puissants politiciens avant de jouer son va-tout.

— Général ? Un fusilier ?

— Non. Forces terrestres. Je ne le connais pas non plus personnellement. Les rapports que j’ai pu lire le décrivent comme “une colombe, un homme pragmatique que son expérience des limitations de la force de frappe s’agissant d’obtenir des résultats décisifs a rendu plus instruit et avisé”. » Rione avait imprimé à ses derniers mots un accent ironique.

« Il n’y a pas de mal à reconnaître les limitations de la force de frappe, fit remarquer Geary.

— Pas quand on y croit sincèrement.

— Dans quel but exactement accompagnez-vous la flotte, tous les deux ? »

Elle marqua une pause, comme pour peser ses mots. « Notre mission consiste à représenter le gouvernement.

— Vous l’avez déjà dit. Ça ne m’apprend rien.

— Vous faites des progrès. Disons cela autrement. Dans la mesure où ni Charban ni moi-même n’occupons un poste soumis à une élection, on ne peut pas nous retirer notre mandat par un scrutin pendant le voyage, ce qui, si cela se produisait, jetterait un doute sur la légitimité de notre fonction de représentants.

— Dites-moi pourquoi vous accompagnez la flotte, Victoria. »

Elle fixa un angle de la cabine, le visage fermé. « Peut-être devriez-vous plutôt me demander ce que le gouvernement attend réellement de cette mission. »

Geary prit son temps pour répondre et veilla à formuler soigneusement sa phrase. « J’avais cru comprendre que je devais en apprendre davantage sur les Énigmas, notamment sur leur technologie et leur puissance, et tenter d’établir avec eux des relations pacifiques.

— Plus ou moins. » Rione ferma les yeux, affichant de nouveau sa lassitude. « Ce qu’il espère réellement, c’est qu’on trouve la solution la plus simple et la moins chère possible à un problème complexe et probablement ruineux. Ça devrait sans doute dire : palabrer avec les extraterrestres et interdire tout conflit. Mais peut-être pas. Ils demanderont certainement quelque chose en contrepartie. Il faudra peut-être faire pression sur eux. Ma tâche, et celle de Charban, sera de nous assurer que vous prendrez bien cette direction au moindre coût, et avec le moins de risques possibles. »

Geary laissa échapper un ricanement de dérision. « Et qu’en est-il des coûts et des risques à longue échéance ?

— On affrontera les problèmes à long terme quand ils se poseront, répondit-elle sans que, de nouveau, sa voix trahît rien de ses sentiments. En y opposant d’autres solutions faciles et peu coûteuses qui les repousseront à plus tard, laissant ainsi à d’autres le soin de les régler. C’est ainsi que raisonnent les politiques. Il me semblait que vous deviez le savoir maintenant.

— Vous êtes une politique.

— Évincée de son poste par voie de scrutin. » Elle eut un sourire sans gaieté. « Le gouvernement… tous les gouvernements de l’Alliance sont désormais passés en mode de survie. Ils ont peur de vous, mais ils ont aussi besoin de vous. De sorte qu’on vous envoie là-bas pour jouer les héros, très, très loin de toute possibilité de créer des problèmes.

— Je le savais déjà. Un peu comme pendant ma mort annoncée. Le gouvernement tirait avantage de l’auréole dont il me parait, mais il n’avait pas à s’inquiéter de mes agissements.

— Oui, ça y ressemble, n’est-ce pas ? Mais vous êtes vivant et capable de beaucoup. Le général Charban et moi-même sommes là pour guider judicieusement vos choix dans un sens profitable au gouvernement. »

Peut-être avait-il passé trop de temps avec Rione, car il saisit immédiatement la signification de ses dernières paroles. « Profitable au gouvernement. Plutôt qu’à l’Alliance ?

— Mais n’est-ce pas du pareil au même ? répondit-elle d’une voix suave, confirmant ainsi implicitement l’observation de Geary. Vous savez à présent où j’en suis et où vous en êtes.

— Je sais ce que sont vos ordres selon vous », rectifia Geary.

Nouveau sourire, qui pouvait signifier n’importe quoi. « Oui.

— Pourquoi diable êtes-vous ici, Victoria ? Vous saviez comment réagirait Tanya.

— J’avais mes raisons et je tiens mes ordres du Grand Conseil. » Elle fit d’une main le geste de jeter quelque chose.

« Étant disponible, je pouvais difficilement refuser son offre.

— Je n’arrive toujours pas à croire qu’on vous ait destituée.

— Le peuple est versatile. Sa gratitude ne dure guère. » L’amertume perçait dans sa voix. « Je m’apprêtais à énoncer des vérités désagréables. Malheureusement, j’avais été influencée dans cette voie par certaine relique d’une époque révolue, un homme notoirement connu sous le nom de “Black Jack”. » Elle riva sur lui ce regard glacé dont il ne se souvenait que trop bien. « Mon adversaire était prêt à promettre tout ce qu’ils voulaient aux électeurs, en leur jurant qu’ils n’auraient aucun sacrifice à faire pour l’obtenir. La majorité a trouvé l’idée merveilleuse. »

Geary soutint fermement son regard. « Vous avez donc perdu l’élection parce que vous teniez à rester intègre.

— Ironique, n’est-ce pas ?

— Comme vous vous êtes donné la peine de me le faire remarquer à une certaine occasion, certains des vaisseaux de la flotte viennent de la République de Callas. Leurs équipages, comme ceux de la Fédération du Rift, attendent l’ordre de rentrer chez eux. Ils ne l’ont toujours pas reçu, et je n’ai pas encore décidé si je les laissais à Varandal. »

Rione détourna les yeux en secouant la tête. « Ils l’attendront longtemps. Le gouvernement de la République ne les rappellera pas. Ne vous attendez pas à ce que je l’annonce publiquement, ni non plus à ce que la République et la Fédération le confirment officiellement. »

Il se remémora les visages pleins d’espoir de ces commandants qui croyaient regagner très bientôt l’espace de leur patrie. « Ça n’a aucun sens. Si elles tiennent tant à desserrer les liens avec l’Alliance, pourquoi maintiendraient-elles la majeure partie de leurs vaisseaux sous son contrôle ?

— Parce qu’elles les craignent. » Rione se retourna pour le regarder, le visage sombre. « Le nouveau gouvernement soupçonne fortement ces équipages d’être plus fidèles à Black Jack Geary qu’à la République de Callas. Il a probablement raison. »

Geary sentit la moutarde lui remonter au nez ; toute la colère qu’il avait refoulée durant son entrevue avec le Grand Conseil refaisait surface. « Ces soupçons ne sont pas une excuse au mauvais traitement qu’il inflige à des spatiaux qui ont fait preuve de tant de bravoure et d’esprit de sacrifice ! Comment peut-on traiter des gens ainsi ? Qu’ils se méfient de moi, je peux encore comprendre ! Je m’y suis habitué. Mais je ne permettrai pas qu’on bannisse ces vaisseaux de chez eux au vague prétexte que je pourrais un jour faire je ne sais quoi ! »

Elle subit sa colère sans sourciller, se contenta de le regarder fixement puis de hocher lentement la tête. « Vous allez pourtant bien laisser l’Alliance faire de même avec ses propres vaisseaux, n’est-ce pas, amiral ?