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— Mes vaisseaux rentreront chez eux entre deux missions.

— Bien sûr. » Ni signe d’assentiment ni émotion dans sa voix.

« Je vais renvoyer ces bâtiments chez eux, affirma Geary. De ma propre autorité. Je leur ordonnerai de regagner la République de Callas et de…

— J’apporte effectivement un ordre de la République à cet égard, mais il leur commande de rester avec la flotte. Il implique, sans le spécifier directement, que le service qu’ils poursuivent ici est temporaire. » Elle fixait toujours un angle du compartiment en évitant de croiser son regard. « Comprenez bien. Vous ne pouvez pas modifier cet ordre sans contrecarrer les autorités politiques, et, à l’entendre, le nouveau gouvernement de la République a de nombreuses et excellentes raisons de laisser ces vaisseaux entre vos mains.

— Je ne comprends pas. » La colère sourde qui vibrait dans la voix de Geary la contraignit à se retourner. « Nul ne se fie à moi dans le gouvernement, mais il tient à laisser tous ces bâtiments sous mon autorité. Celui de la République de Callas cherche à relâcher ses liens avec l’Alliance, mais elle veut aussi maintenir la majorité de ses unités de guerre sous mon contrôle. Seraient-ils tous devenus fous, ou bien est-ce moi ? »

Elle referma brièvement les yeux. « Vous garderez ces vaisseaux. D’autres amiraux y verraient un cadeau du ciel.

— Où est le piège ? »

Le silence s’éternisa, tant et si bien que Geary finit par se persuader qu’elle n’allait pas répondre, mais elle se décida brusquement : « Ne vous attendez pas à recevoir beaucoup de subsides de la République de Callas pour ces bâtiments. Les équipages seront payés, mais les réparations et les coûts des opérations ne seront défrayés que parcimonieusement, lentement et à contrecœur, et les pertes en hommes ne seront pas remplacées, de sorte que les équipages s’affaibliront peu à peu. »

Geary mit un moment à comprendre. « Vous voulez dire qu’on les laissera partir à vau-l’eau ? Jusqu’à ce qu’ils soient détruits au combat ou qu’ils ne valent plus la peine qu’on s’échine à les faire fonctionner, tandis qu’on rapatriera ce qui restera de leurs équipages, désormais privés de leurs vaisseaux menaçants et réduits à un nombre inoffensif. »

Cette fois, Rione ne répondit pas.

« Qu’en est-il des unités et équipages de la Fédération du Rift ? s’enquit Geary.

— Je suis de la République de Callas.

— Je ne vous ai pas demandé d’où vous veniez. Connaissez-vous les intentions de son gouvernement à leur égard ? »

Les yeux de Rione brasillèrent de fureur. « Des sources raisonnablement fiables m’affirment que la Fédération du Rift adoptera la même politique que la République de Callas relativement aux quelques vaisseaux qu’elle maintient dans la flotte.

— Diable ! » Geary voyait mal ce qu’il aurait pu dire d’autre. Il ressentit une vive douleur dans la main et, en baissant les yeux, constata qu’il l’avait serrée si fort qu’elle ne formait plus qu’une boule de chair et d’os. « Comment les gouvernements de la République et de la Fédération comptent-ils expliquer à leurs citoyens que leurs vaisseaux ne rentreront pas ?

— Tout d’abord, amiral, il n’en reste plus tant que ça. Avant que vous n’assumiez le commandement, la République et la Fédération en avaient déjà perdu un fort contingent. D’autres ont été détruits lors de combats ultérieurs. Il ne s’agit donc pas de rapatrier d’énormes masses d’hommes et de femmes, mais les quelques rescapés. Et, par rapport à la population de leurs planètes natales, ces rescapés seront en nombre infime. »

La colère de Geary semblait s’être éteinte, cédant la place à une braise dépourvue de toute chaleur. « Comme pour la flotte de l’Alliance avant la guerre. La plupart des gens n’avaient que rarement des parents proches dans l’armée.

— Oui. Vous comprenez donc le raisonnement. Les deux gouvernements tiendront en échec la menace posée par ces vaisseaux et leurs équipages en les envoyant au loin, et rares seront ceux qui s’en plaindront puisque rares seront aussi ceux à qui leur absence pèsera personnellement. Mais, en revanche, la présence de ces bâtiments dans votre flotte leur permettra de se targuer fièrement d’apporter encore leur soutien à ce grand héros qu’est Black Jack.

— À cela aussi je suis habitué.

— En effet. Comment allez-vous réagir ?

— Je pourrais donner ma démission. »

La colère brilla de nouveau dans les yeux de Rione. « Qui mieux que vous pourrait les maintenir en vie, amiral ? Démissionnez et ils se retrouveront entre les mains d’un imbécile comme l’amiral Otropa. Vous voulez donc qu’ils meurent ?

— C’est parfaitement injuste.

— Vous croyez à la “justice” ? demanda Rione.

— Oui, bizarrement. » Mais elle avait dit vrai. Leur propre peuple les rejette. Quelqu’un doit veiller sur eux. Et ce sera moi tant que je n’aurai pas trouvé quelqu’un d’autre. « Je remplirai ma mission au mieux de mes capacités.

— Vous vous plierez à vos ordres ? s’enquit Rione, la voix radoucie mais vibrante.

— Oui. » Geary montra les dents. « Tels que je les conçois. Autrement dit, je ferai tout ce que je peux légalement pour les gens qui sont sous mon autorité.

— Et les Énigmas ?

— Vous avez vos instructions et j’ai les miennes. Les miennes exigent non seulement de moi que je résolve les problèmes et les menaces à court terme, mais encore que je me débrouille pour que le statu quo perdure à longue échéance. Si cela pose un problème au gouvernement ou à ses émissaires, ils devront trouver un autre homme pour jouer au soldat de plomb. »

Bien qu’elle parût vieillie et fatiguée, Rione se fendit d’un lent sourire. « Tout le monde vous sous-estime. Sauf moi.

— Et Tanya.

— Oh, mais elle vous idolâtre aussi. Ce n’est pas mon cas. » Elle se remit péniblement debout. « J’ai besoin de repos. Charban ne devrait pas se montrer avant demain au plus tôt. Tenez-vous pour débarrassé des politiciens durant un petit moment.

— Je suis certain que votre cabine est prête. » Il l’examina en se demandant pourquoi elle lui semblait différente de celle qu’elle était à leur dernière rencontre. « Vous allez bien ?

— Très bien. » Elle sourit derechef. La mimique était cette fois aussi dépourvue d’émotion authentique que le sourire d’un commandant syndic ; son regard ne laissait rien transparaître.

Rione partie, Geary resta assis un long moment à réfléchir à leur conversation. Certains de ses propos, comme son allusion, devant Tanya, à l’aide qu’elle avait apportée à leurs retrouvailles, témoignaient d’une témérité qui ne lui ressemblait guère. Mais elle lui avait aussi donné l’impression de jouer plus subtilement que par le passé, même lorsqu’elle semblait faire preuve de candeur. Pour quelle raison exacte as-tu rejoint la flotte, Victoria ? Dans quelle mesure restes-tu mon alliée, dans quelle mesure te plies-tu à la ligne d’action du gouvernement et dans quelle mesure travailles-tu à réaliser tes propres objectifs, quels qu’ils soient ?

Et que m’as-tu caché derrière tout ce que tu m’as dit ?

Beaucoup plus tard le même jour, il croisa de nouveau Tanya dans les coursives. « Avez-vous eu l’occasion de jeter un coup d’œil à ces ordres spéciaux du Grand Conseil ? » Ceux que Rione lui avait transmis, libellés « Rien que pour vos yeux ». Au diable ! J’ai besoin d’autres avis !

Desjani fit la grimace. « Oui. Pénible.

— Ouais. Un tas de directives du genre “Faites ceci à moins que ce ne soit déconseillé et ne faites pas cela sauf si vous vous y sentez contraint”. »