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« Les terminaux de distribution d’énergie des vaisseaux les plus anciens semblent poser des problèmes », lui annonça Geary.

Smyth poussa un gros soupir. « Par “plus anciens”, vous entendez tous ceux dont le lancement remonte à plus de deux ans, si je ne m’abuse, amiral ?

— Ça n’a pas l’air de vous étonner.

— Je me suis penché sur le problème et je suis parvenu ce matin, quand les rapports les plus récents concernant les pannes à bord de l’Indomptable et de l’Écume de Guerre sont arrivés, à une conclusion plutôt désagréable. Je ne me sentais pas tout à fait prêt à vous en faire part, mais, maintenant que vous m’en parlez, je dispose de résultats assez complets pour vous informer. » Smyth baissa les yeux alors que ses lèvres s’activaient encore puis les releva vers Geary. « Votre dernier vaisseau, le Merlon, quelle était la durée prévue pour son armement ? »

Geary dut se concentrer. Il lui semblait qu’une éternité s’était passée depuis qu’il avait arpenté pour la dernière fois les coursives du Merlon, mais, même s’il avait passé depuis un siècle en hibernation, ses souvenirs restaient vivaces. « Il devait déjà avoir une trentaine d’années d’existence quand j’en ai pris le commandement. L’espérance de vie de sa coque tournait autour d’une centaine d’années. C’était le chiffre prévu pour les bâtiments de sa classe. On aurait certes pu prolonger sa durée de vie si besoin, mais permettre à un de ces croiseurs lourds de survivre après cette date butoir d’un siècle aurait exigé une révision complète et des réparations très onéreuses. »

La plus totale incrédulité se lisait sur les traits de Desjani. « Cent ans ? On construisait réellement des vaisseaux dont on espérait qu’ils dureraient si longtemps ?

— Mais ils duraient effectivement si longtemps, affirma Geary. Du moins jusqu’au début de la guerre. Nous devions sans cesse remettre les systèmes à niveau pour les maintenir à la pointe de la technique, bien entendu.

— Sidérant, marmotta Smyth. J’aurais aimé voir ce vaisseau. La conception devait en être d’une qualité exceptionnelle. » Il secoua la tête en souriant tristement. « Savez-vous quelle est l’obsolescence intégrée des nôtres, amiral ? »

Les souvenirs que gardait Geary de ses premières impressions ne s’étaient pas effacés. « Lignes grossières, soudures bâclées. Ils sont construits à la va-vite. J’ai entendu dire qu’on ne s’attendait pas à ce qu’ils durent. »

Smyth hocha la tête. « Leur espérance de vie au combat n’excédait pas quelques mois. Deux ans tout au plus. Très peu de coques ont survécu plus de trois ans avant leur destruction. Cinq ? Aucun n’a tenu aussi longtemps. Absolument aucun. » Il embrassa l’Indomptable d’un grand geste. « Que son commandant et son équipage veuillent bien me pardonner, mais, compte tenu des critères qui ont présidé à sa conception, l’Indomptable est un très vieux monsieur. »

Sans doute parce que cette idée restait encore étrangère à Geary, Desjani saisit la première le sous-entendu. « L’Indomptable n’a pas été construit pour connaître une aussi longue carrière. Ses systèmes sont au bout du rouleau.

— Exactement, convint Smyth. Ils meurent de vieillesse, pour recourir à une comparaison biologique. Ces pannes des terminaux de distribution d’énergie survenues à son bord et celui d’autres bâtiments aussi vétustes sont l’équivalent des canaris qu’on installait dans les galeries de mines : les premiers composants qui flanchent parce qu’ils n’ont pas été conçus pour durer aussi longtemps. Regardez ça. » Une fenêtre s’ouvrit près de lui et il pointa une des informations qui s’y affichaient. « Les terminaux qui ont cédé sur l’Indomptable au cours des derniers mois sont précisément ceux qui n’ont été ni endommagés ni détruits au combat. Ils appartiennent à l’équipement d’origine et ils ont dépassé leur durée de vie prévue. Il en va de même des autres vaisseaux les plus anciens de la flotte. »

Geary fit la grimace en songeant à l’échelle des réparations impliquées. « Nous allons devoir remplacer la plupart de leurs systèmes de distribution d’énergie ?

— Non, amiral. » Smyth montra les paumes comme pour s’excuser. « Tout sur ces vaisseaux a été construit en se basant sur une durée de vie prévue de quelques années.

— Que nos ancêtres nous préservent !

— Je m’en suis ouvert aux miens, déclara Smyth. Hélas, je doute qu’ils soient en mesure de faire pleuvoir sur nous des équipements neufs et de nous aider à les installer. »

Desjani le fixait, horrifiée. « Si tous les bâtiments les plus vétustes présentent ces problèmes…

— … alors tous les bâtiments de la flotte devraient être touchés au cours des prochaines années, en effet. » Smyth soupira de nouveau. « C’est la mauvaise nouvelle.

— Il y en a une bonne ? s’enquit Geary en se demandant en quelle manière cette nouvelle donne allait affecter ses projets pour le départ.

— Relativement bonne. » Smyth afficha une autre fenêtre et montra les graphiques et les courbes qui s’y inscrivaient. « Tout d’abord, ces pannes ne vont pas toutes se produire en même temps. Mais selon une certaine courbe qui ne croîtra que très lentement à mesure que les vaisseaux les plus anciens, comme l’Indomptable, atteindront leur limite d’âge. Pendant quelque temps, du moins si nos auxiliaires chargés d’y remédier ne sont pas trop débordés par les réparations de dommages survenus au combat, la fabrication de nouveaux armements et ainsi de suite, ils pourront non seulement produire de nouveaux composants plus vite que les anciens ne flancheront et remplacer les vieux systèmes par des équipements à plus longue espérance de vie, mais même prendre de l’avance. Bien sûr, il nous faudra sans doute affronter malgré tout un sérieux effondrement au bout d’environ un an et demi, quand la majorité des vaisseaux de la flotte commenceront à atteindre leur durée de vie prévue de deux ans et demi à trois ans. »

Geary étudia les données en hochant la tête. « La bonne nouvelle s’arrête là ?

— Eh bien, les systèmes et les senseurs sont le principal problème. Les coques et armatures sont correctes. Elles devaient être fabriquées pour répondre à certains critères de résilience et de tolérance aux manœuvres lors des combats, ce qui signifie qu’elles risquent de durer. Le gouvernement ne pouvait pas se permettre trop de coupes claires dans ce budget, sinon les vaisseaux seraient tombés en morceaux lors des opérations. Nous n’avons donc pas à trop nous inquiéter de les voir partir en vrille en raison de leur seul âge avancé, mais je préconise malgré tout qu’on procède à des inspections chargées de repérer d’éventuelles faiblesses des coques et armatures dues à l’accumulation de stress.

— Ça me paraît une excellente idée. » Geary suivit de l’index le tracé d’un des graphiques. « Si cette courbe est exacte, un tiers environ des vaisseaux de la flotte devraient être aussi sérieusement abîmés dans environ un an et demi que s’ils avaient subi d’importantes avaries au cours d’un combat.

— Ça pourrait se produire dans dix-huit mois, prévint Smyth. Je me suis servi d’estimations plus optimistes, mais, si les contractants et les constructeurs ont cherché à rogner sur les coûts, les équipements pourraient bien ne pas survivre aussi longtemps. Et, bien entendu, si vous persistiez à livrer bataille, ça risquerait de compliquer encore l’affaire, car il nous faudrait alors procéder aux réparations des dommages et à la fabrication d’armes et de munitions de remplacement.