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Desjani réfléchit. « Je n’en sais rien. Roberto Duellos aime bien jouer les dévoyés mais, en réalité, il est droit comme un I. Il nous faudrait quelqu’un qui sache si bien comment fonctionne le monde de Smyth qu’il pourrait repérer un quark mal placé ou planquer un cuirassé en pleine vue. Au moins un première classe ou un officier sorti du rang. Je vais me renseigner si des gens connaîtraient un candidat acceptable. »

Après son départ, Geary afficha les données de ces huit auxiliaires afin de se rassurer en vérifiant leurs capacités. Titan, Tanuki, Sorcière, Djinn, Alchimiste, Cyclope, Kupua et Domovoï. Il se félicitait de pouvoir compter sur les deux derniers, qui faisaient partie de la même classe que le Titan et venaient tout juste d’être achevés quand la nouvelle de la cessation des hostilités avait signé le gel brutal de la plupart des constructions. Disposer de ces huit auxiliaires lors de la longue retraite à travers le territoire syndic leur aurait sans doute grandement facilité le voyage. Hélas, il avait dû faire avec la moitié et, en outre, il avait perdu le Gobelin en chemin. Cette fois, avec huit auxiliaires et un bien moins grand nombre de vaisseaux qui dépendraient d’eux pour les réparations et le réapprovisionnement en carburant, il disposerait en matière de logistique d’une marge de sécurité beaucoup moins étroite et pourrait entrer dans le territoire extraterrestre et en ressortir sans s’inquiéter d’épuiser ses réserves.

Naturellement, cette marge de sécurité avait un prix. Les bâtiments massifs qu’étaient le Titan, le Tanuki, le Kupua et le Domovoï, pouvaient être au mieux qualifiés de limaces quand leurs soutes étaient remplies à ras bord de minerais bruts. Le Sorcière, le Djinn, l’Alchimiste et le Cyclope étaient sans doute plus petits et maniables, mais encore très loin de justifier leur appellation officielle d’« auxiliaires rapides de la flotte ». À l’intérieur d’un système stellaire, la flotte devrait limiter sa célérité pour composer avec leur lenteur et, s’il lui arrivait à nouveau de combattre, protéger ces bâtiments très légèrement armés resterait un souci majeur.

Desjani l’appela à peine une heure plus tard. « Une navette du Tanuki à l’approche. Il y a un visiteur pour vous à son bord. »

Compte tenu de l’aisance avec laquelle s’effectuaient les visites virtuelles, tout déplacement physique réel entre deux vaisseaux restait un phénomène peu fréquent. Quoi qu’il en soit, le plus sûr des logiciels de sécurité était incapable d’assurer une discrétion parfaite lors d’une entrevue virtuelle et, manifestement, le capitaine Smyth avait à lui communiquer d’autres informations qui ne souffraient pas d’être entendues.

Or l’officier qui se présenta vingt minutes plus tard dans sa cabine n’était pas Smyth mais un lieutenant. Un lieutenant aux cheveux verts. Pas seulement des reflets, mais la chevelure tout entière d’un vert vif. « Lieutenant Elysia Jamenson, amiral. Le capitaine Smyth estime que je dois vous rencontrer en personne pour débattre avec vous de mon rôle dans les réparations et, plus généralement, l’état de préparation de la flotte. »

Geary invita le lieutenant à s’asseoir en face de lui et s’accorda le temps de l’évaluer avant de lui poser la question qui coulait de source. « Pourquoi le capitaine Smyth pense-t-il que je doive vous rencontrer en personne, lieutenant Jamenson ? »

Assise le dos très raide au lieu de se détendre, Jamenson répondit sur un ton prosaïque : « Le capitaine Smyth m’a ordonné de travailler directement avec vous sur les problèmes posés par la maintenance de la flotte, amiral Geary. Je serai responsable de la rédaction des rapports, des réquisitions et de toutes les autres questions de logistique et d’approvisionnement relatives au maintien des vaisseaux dans le meilleur état possible de préparation, ainsi que de vous fournir des rapports circonstanciés sur l’avancement de ces travaux. »

Geary se rejeta en arrière, le menton en appui sur un poing. Jamenson devait avoir dans les vingt-cinq ans, ce qui correspondait à son grade, bien jeune pour qu’on lui confiât une telle responsabilité. « Que voit donc en vous le capitaine Smyth qui lui donne la certitude que vous êtes taillée pour cette mission ?

— Je brouille les données, amiral.

— Pardon ?

— Je brouille les données. » D’un geste, Jamenson embrassa la totalité de l’univers. « J’ingère les informations, les réquisitions et les rapports et je les restitue sous une forme pratiquement incompréhensible. »

Geary réussit à ne pas éclater de rire. « Veuillez me pardonner, mais j’ai déjà rencontré bon nombre de gens, et de lieutenants, qui en étaient capables.

— Certes, amiral, mais, voyez-vous, je peux le faire délibérément, et je ne modifie pas réellement les informations, je n’en fais pas mauvais usage ni ne les restitue sous une forme qui contreviendrait au règlement de la flotte ou à d’autres normes. Elles restent complètes, exactes et convenablement exposées. C’est seulement qu’elles deviennent très, très difficiles à saisir. »

Cette fois, Geary ne put s’empêcher de rire. « Vous allez donc en faire autant pour la besogne qu’effectueront les auxiliaires dans le cadre de la maintenance de nos vaisseaux et, malgré tout, embrouiller à ce point le QG et la bureaucratie civile qu’ils n’auront plus aucune idée de ce que nous dépensons ?

— Telles sont mes instructions, amiral. »

Pas étonnant que Smyth n’ait pas eu envie qu’on enregistrât cette conversation par le truchement des systèmes de communication de la flotte. « Et comment serons-nous censés, les gens de la flotte et moi, nous tenir au courant des progrès de ce travail ? »

Jamenson sourit avec assurance. « Je peux aussi travailler en sens inverse, amiral. Tant que l’information me parvient sous une forme valide, je peux également démêler l’écheveau et la restituer de manière intelligible. »

Geary se rendit compte qu’il l’avait fixée en haussant les sourcils. « Voilà un éventail de talents extrêmement impressionnant, lieutenant. Où avez-vous appris à faire ça ?

— Ça m’est venu naturellement, amiral. Mon père disait que je le tenais de ma mère.

— Je vois.

— Le capitaine Smyth m’a aussi priée de vous dire qu’il le prendrait très mal si vous me débauchiez pour m’inclure dans votre état-major, amiral. »

Il y avait comme une touche d’excuse dans la voix de Jamenson.

Geary laissa encore échapper un rire. « Le capitaine Smyth et vous-même pouvez dormir sur vos deux oreilles à cet égard. Je préfère confier d’autres missions aux membres de mon état-major, afin qu’ils fassent ce que j’attends d’eux au lieu de chercher à meubler leurs heures creuses en s’efforçant de trouver, pour eux-mêmes ou pour d’autres, des tâches supplémentaires à accomplir.

— J’en ferai part au capitaine Smyth, amiral.

— Merci. » Geary s’interrompit pour observer encore le jeune lieutenant, en se demandant à quoi le capitaine Smyth avait bien pu employer ses talents par le passé. Cette aptitude à confondre la bureaucratie sur la réalité de vos agissements pouvait se révéler inestimable. « J’aimerais m’assurer que nous sommes sur la même longueur d’onde relativement à nos objectifs. Comment concevez-vous vos responsabilités ?

— Il m’incombe de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour permettre à la flotte de se maintenir dans son état actuel de disponibilité et d’améliorer ses systèmes existants afin de la rendre plus efficace à long terme, récita-t-elle.