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— Parfait. Avez-vous des questions à poser sur mes exigences ? »

Elle hésita pour la première fois, ce qui rassura un tantinet Geary. Les officiers trop sûrs d’eux pouvaient aisément en faire trop ou commettre des impairs. « Je crois comprendre que vous préférez travailler dans les limites du règlement, amiral.

— C’est exact.

— Y a-t-il des circonstances… insista-t-elle prudemment, où vous approuveriez des décisions contraires à…

— Non. » Il lui adressa un sourire encourageant afin d’atténuer la brutalité de sa réponse monosyllabique. « Si nous en avions à ce point besoin, j’attendrais de gens comme vous et le capitaine Smyth qu’ils trouvent un moyen d’obtenir ce résultat conformément au manuel. D’une manière ou d’une autre. En profitant d’un vide juridique ou d’une interprétation susceptible d’être défendue et justifiée. » Le souvenir du désastre qu’on avait récemment frôlé avec cette affaire de cour martiale collective au motif de niveaux trop faibles des cellules d’énergie refit brusquement surface, effaçant son sourire. « Je tiens à ce que nul ne commette l’erreur de croire que je demande aux gens d’enfreindre les règles. Si c’est la seule option qui se présente, j’en prends personnellement la responsabilité. Nous ne faisons rien de ce genre sous le manteau, même s’il nous est loisible de compliquer la tâche de ceux qui chercheraient à nous percer à jour. »

Le lieutenant Jamenson avait écouté attentivement et elle hocha la tête. « Je comprends, amiral.

— Très bien. Autre chose ?

— Le capitaine Smyth m’a priée de vous inviter à visiter le Tanuki en personne à votre convenance, amiral, déclara-t-elle. Je dois vous dire que les réserves du Tanuki contiennent les meilleurs crus, liqueurs et autres breuvages distillés et fermentés de l’univers connu. »

Ça expliquait en partie ce que Smyth avait maquillé. Geary se demanda combien de hauts gradés avaient découvert de mystérieuses absences dans leurs cargaisons de produits de luxe, attribuées à de la « casse en court de transfert » ou à d’autres excuses du même ordre, et combien de réquisitions provenant du Tanuki et portant sur des articles inhabituels étaient passées inaperçues grâce à leur formulation inventive. « Merci, lieutenant Jamenson. J’ignore quand je pourrai me rendre en personne à bord du Tanuki, mais je garderai cette offre à l’esprit. J’ai hâte de travailler avec vous.

— J’effectuerai la plupart de mes visites par le biais du logiciel de communication virtuelle de la flotte, ajouta-t-elle, mais le capitaine Smyth tenait à ce que je vous expose mon rôle en personne. »

Desjani avait eu raison. S’agissant de jouer à des petits jeux dont il ne tenait pas trop à laisser des traces superflues dans les archives de la flotte, le capitaine Smyth était bel et bien un vieux de la vieille. « Bonne idée, lieutenant. Il y a encore autre chose que j’aimerais vous demander, dans la mesure où le capitaine Smyth et vous-même comprenez la nécessité de faire profil bas.

— À propos de mes cheveux, amiral ? demanda Jamenson.

— Oui. J’ai déjà vu d’autres spatiaux aux cheveux verts, mais je ne leur en ai jamais parlé puisque c’est conforme au règlement de la flotte. Mais c’est malgré tout légèrement flamboyant. »

Jamenson eut un sourire penaud. « C’est ma couleur naturelle, amiral. Je viens d’Éire.

— D’Éire ? » Ce nom ne lui disait rien, de sorte qu’il afficha une carte stellaire. « C’est un système relativement lointain, colonisé directement à partir de la Vieille Terre.

— Oui, amiral. Ses premiers colons avaient un certain penchant pour cette nuance de vert et sans doute ont-ils eu la main un peu trop lourde en matière d’ingénierie génétique. » Elle effleura sa tempe. « C’est réversible, mais nombre d’entre nous pensent qu’il serait malséant de changer ce à quoi tenaient tant nos ancêtres. C’est quasiment inoffensif pour nous et ça ne nuit pas à autrui.

— Quasiment inoffensif ? » s’enquit Geary, en se souvenant qu’il s’était demandé pourquoi diable un officier de la flotte choisissait une telle nuance.

« Je ne peux rien changer à la façon dont me voient les autres, amiral. Mais ça m’a valu un surnom. On m’appelle Shamrock depuis que j’ai quitté ma planète natale.

— Shamrock ? C’est une plante, non ?

— Une plante verte, amiral. Le trèfle. Il y en a partout sur Éire. » Nouveau sourire penaud. « Encore une chose que nos ancêtres avaient à cœur. »

Après le départ du lieutenant Jamenson, Geary monta sur la passerelle. À mesure que se rapprochait la date du départ, il était devenu de plus en plus fébrile, pressé d’agir, de ne s’intéresser qu’à la seule raison de l’existence de la flotte, de se soustraire à de nouveaux messages potentiels du QG et à l’éventualité de contrordres en provenance du gouvernement.

Desjani l’y avait précédé, bien entendu, et finissait à l’instant de procéder à une simulation d’entraînement pour son équipe. « Intéressant entretien ? demanda-t-elle.

— Instructif.

— Puisque vous avez l’air d’insister pour que je vous pose directement la question, pourquoi le capitaine Smyth a-t-il envoyé un lieutenant aux cheveux verts vous parler en personne ?

— Son travail est de brouiller les pistes. »

Desjani attendit un instant de voir si Geary ne plaisantait pas. « Si vous aviez besoin d’un lieutenant capable de brouiller les pistes, j’en connais au moins un à bord de l’Indomptable qui pourrait remplir cette fonction.

— J’en prends note. Je vous exposerai son talent particulier un peu plus tard, ici même. » Les champs d’intimité qui enveloppaient son siège et celui de Desjani étaient sans doute relativement efficaces, mais Geary savait d’expérience qu’un jeune officier pouvait glaner d’importantes quantités d’informations en observant ses supérieurs à la dérobée. Il s’installa dans son fauteuil, parcourut du regard la passerelle de l’Indomptable et dut réprimer un soupir de satisfaction. « Voyez-vous, après avoir eu affaire au Grand Conseil, aux politiciens de l’Alliance et au QG, traiter de nouveau avec des menteurs de Syndics et des extraterrestres homicides me paraîtra un soulagement.

— Le danger vous fait aspirer à regagner votre lointaine planète natale, mais elle a parfois le don, quand vous y débarquez, de vous inciter rapidement à retrouver les dangers éloignés, hasarda Desjani.

— Vous avez réellement l’art et la manière avec les mots, capitaine Desjani. Quand nous étions sur Kosatka…

— … les quatre jours ?

— … avez-vous eu l’occasion de discuter avec votre oncle l’agent littéraire ?

— Une seule fois. » Son regard se fit distant. « Il voulait que je lui écrive un récit de notre voyage de retour vers l’espace de l’Alliance à partir du système stellaire central des Syndics. Je lui ai répondu que ç’avait surtout été rasoir.

— Sauf quand c’était terrifiant, non ? »

Elle sourit. « Et je lui ai dit aussi que je tairais les histoires personnelles. Pour un peu, on aurait vu ses rêves tomber en poussière. »

Geary dut réprimer un rire. « Vous avez réduit en miettes les rêves d’un agent littéraire ?

— Ça fait presque de moi un écrivain, non ? »

Le reste de la semaine s’écoula trop lentement, à se demander ce qui allait se passer ensuite, et trop vite eu égard au travail qu’il fallait encore abattre. Le flot de personnel regagnant les vaisseaux en fin de permission occupait les navettes à plein temps, tandis que les promenades de Geary dans les coursives de l’Indomptable exigeaient des détours de plus en plus nombreux à mesure que les ingénieurs du Titan bloquaient la circulation par une valse constante de barrières et qu’ils en arrachaient joyeusement les éléments et les remplaçaient par d’autres composants récemment fabriqués pour jouir d’une plus longue durée de vie.