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— Je ne peux donc pas l’exécuter, poursuivit Timbal. Du point de vue administratif, je ne suis pas convaincu d’être habilité à soustraire ces bâtiments à votre autorité, et ces ordres sont absurdes du point de vue opérationnel. Je vais répondre au QG en lui faisant part de mon opinion selon laquelle ces ordres sont fallacieux et exigent une clarification. Étant donné l’incertitude qui pèse sur leur validité, je vous suggère fermement de ne rien changer aux opérations en cours dans le seul but de répondre à des instructions qui ne vous ont même pas été transmises. J’attendrai donc la confirmation de leur validité avant de les exécuter. »

Même si Timbal dépêchait cette requête dans l’immédiat, et Geary soupçonnait qu’il prendrait son temps pour s’en acquitter, le temps qu’un vaisseau estafette atteignît le QG et en revînt avec une réponse, des semaines se seraient écoulées et la flotte de Geary aurait depuis longtemps quitté l’espace de l’Alliance. Cela dit, le QG aurait toujours Timbal sous la main. « Amiral Timbal, j’apprécie votre empressement à faire ce qui vous paraît correct, mais je crains que l’on ne se méprenne sur vos intentions.

— Merci, amiral Geary, mais je n’ai pas le choix. Mon devoir envers l’Alliance exige que je m’assure de la validité de ces ordres avant de les faire exécuter. » Timbal semblait parfaitement serein. « Voyez-vous, amiral, nous avons déjà parlé du chat dans la boîte, de notre ignorance quant à la justesse de votre décision, quoi qu’il en coûtât, le moment venu. J’ai le plaisir de vous affirmer que le chat est en vie.

— Ravi de l’apprendre. Soyez assuré que je prendrai les mesures nécessaires dans cette affaire dès que j’en aurai l’occasion.

— Chercheraient-ils à carrément vous saboter ? demanda Desjani d’une voix incrédule dès que l’image de Timbal se fut évanouie.

— Je ne puis croire que quelqu’un s’y risquerait, déclara lentement Geary. Il doit y avoir une autre explication.

— J’aimerais assez l’entendre.

— Peut-être a-t-on eu vent des projets de Smyth et…

— Il est beaucoup trop tôt, amiral. Essayez encore. »

Si âprement qu’il cherchât à éviter d’envisager d’autres éventualités, Desjani s’efforcerait toujours de le contraindre à la lucidité. « Peut-être quelqu’un a-t-il finalement parcouru les chiffres, pris conscience du coût que représenterait l’armement de quatre gros auxiliaires et s’est-il persuadé que s’en débarrasser épargnerait de très grosses dépenses. Les ordres ne spécifiaient sans doute pas que tel était leur motif réel, mais c’était peut-être délibérément destiné à nous persuader que nous n’allions perdre que provisoirement le soutien de ces bâtiments.

— Oumph ! lâcha Desjani, sceptique. Peut-être ferait-on des économies çà et là, mais ça créerait bien d’autres frais par ailleurs. Qui devraient-ils alors payer pour faire le boulot des auxiliaires ? Des contractants privés ? N’avons-nous pas entendu dire que les Syndics recouraient à cet expédient ?

— Ouais. Et leurs forces opérationnelles détestaient ça. » Geary consulta son écran. « Tous les vaisseaux annoncent qu’ils sont prêts au départ. Que diriez-vous de décamper d’ici sur-le-champ au lieu d’attendre encore une demi-heure ?

— Que c’est une excellente idée, amiral. »

Geary transmit ses ordres et regarda près de trois cents vaisseaux, auxiliaires et transports d’assaut allumer leurs propulseurs principaux et entreprendre d’adopter la formation pour le transit vers Atalia. Bien que la guerre avec les Syndics ait pris fin et Atalia déclaré son indépendance d’un empire des Mondes syndiqués en voie d’implosion, Geary avait décidé de sauter en formation ; et en formation adaptée au combat immédiat au cas où une menace imprévue se matérialiserait brusquement.

L’expérience et l’habileté sans cesse grandissantes de ses équipages l’avaient incité à opter pour six sous-groupes. Cinq de ces sous-formations étaient bâties autour d’un noyau de cuirassés et de croiseurs de combat, tandis que croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers étaient disposés tout autour. La sixième se composait des huit auxiliaires, scindés en deux divisions, et d’une seule division de quatre transports d’assaut. Geary disposait de davantage de fusiliers qu’auparavant, puisque nul ne savait combien il lui en faudrait pour affronter les extraterrestres, mais l’infanterie commandée par le général Carabali n’aurait besoin que de deux transports pour convoyer ceux qui n’étaient pas dispersés sur les principaux bâtiments. En conséquence, le Tsunami, le Typhon, le Mistral et l’Haboob n’étaient qu’à moitié chargés de fusiliers et de leur matériel, à quoi s’ajoutait le petit contingent d’experts civils en espèces intelligentes non humaines. Cette capacité de chargement supplémentaire des quatre transports d’assaut leur serait bien utile lorsqu’il leur faudrait exfiltrer les prisonniers de guerre de Dunaï, voire s’ils retrouvaient des captifs humains dans l’espace des Énigmas.

Ces six groupes étaient disposés avec la plus importante sous-formation combattante en tête, suivis par les auxiliaires et les transports, tandis que les autres combattantes s’espaçaient à intervalle régulier autour des vaisseaux de soutien, comme pour former une énorme coupe au fond orienté vers l’avant, qui contiendrait auxiliaires et transports. L’Indomptable, vaisseau amiral, occupait le centre et la pointe de la plus large : c’était littéralement le pivot sur lequel s’alignait le reste de la flotte.

Geary se sentit observé et releva les yeux pour voir Desjani le regarder en souriant. « Qu’est-ce que j’ai encore fait ?

— On voit bien que vous êtes fier d’eux, répondit-elle. Quand j’observais l’amiral Bloch ou d’autres amiraux en de telles circonstances, j’avais toujours l’impression que de voir tant de vaisseaux obéir à leurs ordres leur conférait surtout un sentiment de toute-puissance et de supériorité. Tandis que vous vous sentez privilégié de commander à ces hommes.

— Je le suis, murmura-t-il. Savez-vous ce que représente pour moi la journée de demain, Tanya ? Ce sera le cent unième anniversaire du jour où j’ai pris le commandement du croiseur lourd Merlon. Cette responsabilité qui m’incombait de commander au Merlon m’a toujours paru modeste. À présent, j’ai tous ces vaisseaux sous mes ordres.

— Du moins si nous parvenons à sortir de ce système stellaire avant qu’un autre message ne nous parvienne du QG. »

À 0,1 c, il leur fallut près de trois jours pour atteindre le point de saut vers Atalia, mais la seule surprise se produisit le deuxième, quand deux bâtiments civils surgirent, en provenance d’un autre système de l’Alliance, et entreprirent de les bombarder de messages qui leur parvinrent quelques heures plus tard.

« N’exportez pas l’agressivité humaine ! »

« Exploration, pas conquête ! »

« Gardez nos soldats et nos impôts chez nous ! »

« Je peux comprendre ce qu’ils ressentent, fit observer Geary. Sauf qu’ils ont l’air de croire que c’est nous qui cherchons querelle aux extraterrestres. »

Bizarrement, Desjani ne répondit qu’au bout d’un moment en haussant les épaules. « La guerre a été très longue. Vous savez dans quel état d’esprit nous étions tous. Pour la plupart, nous ne combattions que parce nous ne voyions aucune alternative. J’ai moi-même perdu beaucoup d’amis, alors je peux comprendre pourquoi certaines personnes aspiraient à une vie plus décente. Mais le vouloir n’a pas suffi à l’époque. Et ne suffit toujours pas. »