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« Nous recevons une autre réponse du commandant en chef syndic.

— Et ?

— Je peux vous la montrer si vous avez le cœur bien accroché. Mais, pour résumer un assez long laïus, il regrette de ne pouvoir accéder à notre requête tant que nous ne serons pas tombés mutuellement d’accord sur le montant d’une compensation. » Les lèvres de Rione esquissèrent un sourire sans gaieté. « Il semble que notre tir de semonce n’ait pas été assez persuasif. »

Geary ferma les yeux, compta lentement jusqu’à dix et les rouvrit. « Est-ce qu’il n’enfreint pas ainsi les clauses du traité de paix ? »

Les yeux de Rione flamboyèrent ; mais ce regard furieux ne lui était pas adressé. « Probablement.

— Probablement ? Que devrait-il faire pour le violer, alors ?

— Je n’en sais rien ! Quant à décider si ce différend constitue une violation du traité de paix… des avocats pourraient en débattre indéfiniment. »

Geary se sentait tout à la fois furibond et cabochard, et il se demanda si ça se voyait. « Nous n’avons pas l’éternité devant nous, et que je sois pendu si je laisse le sort de ces prisonniers de guerre entre les mains d’avocats ! »

Il avait oublié que Desjani était toujours en ligne, mais elle intervint d’une voix trompeusement douce. « Nous n’avons sans doute pas beaucoup de temps devant nous ni des foules d’avocats, mais il nous reste encore beaucoup de cailloux ! »

Au lieu de repousser dédaigneusement ou d’ignorer la suggestion de Desjani, Rione marqua une pause, le masque toujours aussi courroucé mais songeur. « Une autre démonstration de force serait probablement une bonne initiative, non parce qu’elle ferait fléchir ce commandant en chef mais parce que nous devons trouver un autre moyen de pression. Il nous faut apporter à la population de Dunaï la preuve que la conduite de son dirigeant compromet sa sécurité, afin qu’elle insiste pour qu’il mette un terme à ses provocations. »

Desjani leva un doigt, l’air inspirée, en fixant Geary plutôt que Rione. « Une minute. » Elle se tourna vers sa vigie des systèmes de combat. « Vous avez entendu parler des tirs en ricochet, lieutenant ?

— Oui, commandant. Quand, à la suite d’une erreur ou d’un facteur imprévu, un projectile cinétique rebondit sur la couche supérieure de l’atmosphère d’une planète au lieu de fondre droit sur sa cible.

— Exactement. Tâchez de voir si nous pouvons le faire délibérément, en veillant à ce que le caillou se consume avant de toucher le sol ou rebondisse dans l’espace au bout de quelques ricochets. Un tir volontairement manqué.

— Une sorte de “son et lumière” ? suggéra Geary en souriant.

— Mais très spectaculaire, répondit Desjani. Permettez-moi d’employer trois cailloux à cette occasion et on illuminera le ciel de ce bonhomme. »

Comme à son habitude, Rione s’adressa directement à Geary pour répondre à Desjani. « Excellente idée. Accompagnez votre “son et lumière” d’un message diffusé à l’intention de la population du système. De vous en personne, amiral. Il me semble que la pression qui s’exercera alors sur ce commandant en chef devrait produire les résultats voulus.

— Faute de quoi il me faudra lâcher un caillou sur sa tête et laisser ensuite les avocats débattre entre eux d’une éventuelle violation du traité de paix. »

Celle dernière plaisanterie lui valut un sourire désabusé de Rione. « J’espérais que vous exerceriez une influence apaisante sur votre capitaine, amiral, mais je constate qu’au contraire c’est elle qui déteint sur vous. »

L’image de Rione disparue, Geary se tourna vers Desjani et constata qu’elle était radieuse. « Vous savez quoi ? demanda-t-elle. C’est la première fois que cette femme nous sort quelque chose qui me fasse sincèrement plaisir. »

Geary ne répondit pas ; il se demandait ce qui lui avait paru si important dans les dernières paroles de Rione. Ses pensées vagabondèrent un instant, revenant sur ses premières rencontres avec Desjani, l’impression qu’elle lui avait faite, le choc qu’il avait éprouvé en prenant conscience de tout ce qu’elle acceptait de faire et regardait comme parfaitement normal dans le cadre des opérations militaires de l’Alliance… « C’est cela. »

Desjani lui jeta un regard étonné et il s’aperçut qu’elle s’était tue en le voyant perdu dans ses pensées. Elle le faisait presque machinalement ces derniers jours, lui laissait le temps de ruminer, et il le remarquait rarement. « Vous parlez probablement de quelque chose de plus important que l’opinion que je me fais d’une politicienne ? avança-t-elle.

— Merci de m’avoir permis de réfléchir un instant. Vous le faites très souvent et ça m’est bien utile. Non. Je parlais de l’opinion qu’a de moi une politicienne. » Geary montra l’écran où scintillait la principale planète habitée du système. « Ce commandant syndic… Il sait qu’il a affaire à moi. Pas à n’importe quel officier de la flotte. À moi. »

La compréhension se lut dans ses yeux. « À l’homme qui ne bombarde pas aveuglément les planètes, voulez-vous dire ? Qui se plie à la vieille notion d’honneur. Nous savons que votre réputation dans ce domaine a très vite gagné tout l’espace syndic.

— Oui. Pour notre plus grand profit pendant la guerre. Mais, à présent, ce Syndic s’imagine qu’il peut nous tenir la dragée haute puisque je me montrerai fatalement souple et modéré. » Geary lui lança un regard morose. « Je me demande s’il se comporterait de la même manière s’il avait affaire à un autre officier de l’Alliance.

— À quelqu’un d’un peu moins “civilisé” ?

— Tanya, je ne voulais pas dire…

— Je sais très exactement ce que vous vouliez dire et ça me va parfaitement, parce que vous avez mis le doigt, selon moi, sur ce qui se passe ici. » Desjani le fixa sombrement. « Je peux me montrer très dissuasive, mais…

— Il me semble que le prochain message que recevra ce commandant en chef devrait lui être adressé par un officier expressément mandaté pour se charger du problème des prisonniers de guerre, et vous…

— Mais êtes-vous bien certain qu’il ne peut s’agir que de moi ? demanda-t-elle d’une voix plus tranchante. Vous ne pouvez pas me choisir pour toutes les missions.

— Bien vu. » Encore que Tanya fût parfaitement qualifiée dans ces circonstances, ils ne pouvaient pas se permettre le moindre soupçon de favoritisme. Il réfléchit un instant. « Tulev ?

— Excellent, approuva-t-elle. Si les dossiers des Syndics sur le personnel de l’Alliance sont peu ou prou à jour, ils sauront que Tulev a survécu à Élyzia et ce commandant en chef qu’il traitera avec un homme dont la planète a été bombardée et réduite à l’état de ruine inhabitable par ses congénères.

— Je vais appeler Tulev. Lancez votre “son et lumière”. Entre son message et vos cailloux, je pense que le commandant syndic risque de revoir sa position. »

La flotte ne se trouvait qu’à trente minutes-lumière de la deuxième planète quand débuta le spectacle.

« Qu’en dites-vous ? demanda Desjani non sans une certaine suffisance.

— J’ignore quel effet cela produira sur les Syndics, mais je suis assurément impressionné », répondit Geary. Sur la partie de l’écran réglée sur la fréquence de la lumière visible, le globe de la seconde planète flottait comme une bille dont un tiers était marbré de bleu et de blanc, tandis que la face nocturne plongée dans le noir était parsemée des joyaux scintillants des villes et cités syndics. Mais de féroces éclairs de lumière éclipsaient désormais ces pierreries du côté obscur, striant la nuit, tandis qu’en dépit de la clarté du soleil ils se voyaient encore clairement sur la face diurne.