Il dut taper sur trois touches pour obtenir des recommandations des systèmes de combat. « Téméraire, Résolution et Redoutable, veillez à détruire ces missiles. Léviathan et Dragon, éliminez le site de lancement avec des projectiles cinétiques. »
Mais les missiles de croisière étaient une autre paire de manches. Leur trajectoire les conduisait à basse altitude vers une vaste métropole aux faubourgs relativement étendus. Les abattre de si haut sans frapper également les civils qu’ils survoleraient serait malaisé. « Colosse et Entame, anéantissez le site de lancement des missiles de croisière, mais attendez qu’ils aient dépassé ces faubourgs pour frapper.
— Ces faubourgs sont très proches du camp, fit remarquer Desjani. Vous ne leur laissez qu’une fenêtre assez étroite pour détruire ces missiles.
— Nous ne pouvons tout de même pas activer les lances de l’enfer au-dessus de ces habitations.
— Ils vous forcent la main ! » s’insurgea Desjani, tandis que les lances de l’enfer du Téméraire, du Résolution et du Redoutable déchiquetaient les missiles balistiques au sommet de leur trajectoire, et que les cailloux du Léviathan et du Dragon plongeaient vers leur site de lancement. Ça risquait de tourner au cas d’école où l’on claque la porte de l’écurie une fois les chevaux enfuis ; mais en l’occurrence, après avoir été réduite à un champ de cratères, cette écurie-là ne laisserait plus échapper de chevaux.
« Je sais, mais…» Geary s’interrompit brusquement, un détail sur l’écran venant de retenir son attention. « Mais que fait l’Intrépide ? » Le cuirassé virait en plongeant, quittant son orbite haute pour lécher les couches supérieures de l’atmosphère. Geary frappa méchamment sur sa touche de com. « Intrépide ! Qu’est-ce que vous fabriquez ?
— L’Intrépide engage le combat avec les défenses qui menacent la troupe de débarquement et les prisonniers, amiral », répondit Jane Geary, l’air préoccupée.
Les seules menaces que le cuirassé s’apprêtait à affronter étaient les missiles de croisière. « Cette mission a été confiée au Colosse et à l’Entame, Intrépide. Regagnez votre position.
— Si nous manquions un des projecteurs de rayons à particules basés au sol, l’Intrépide pourrait bien être transpercé sur cette orbite basse, fit observer Desjani.
— Je sais ! » Le cuirassé ne corrigeait pas sa trajectoire. « Capitaine Geary, adoptez une orbite plus haute et regagnez votre position sans délai ! »
Le visage de Jane Geary affichait toujours la même expression, celle d’une intense concentration, et elle ne répondit pas tout de suite.
« L’Intrépide tire des lances de l’enfer », rapporta l’officier des systèmes de combat.
Les missiles de croisière étaient au nombre de dix. L’Intrépide tira dix lances de l’enfer. Geary avait réglé son écran pour un agrandissement maximum et voyait chaque faisceau de particules en déchiqueter un dès qu’il survolait une rue ou une étroite bande de forêt.
« Cibles détruites ! annonça Jane Geary. Pas de dommages collatéraux. L’Intrépide regagne sa position.
— Très bien. » Il ne se fiait pas assez à la fermeté de sa voix pour en dire davantage. L’image de Jane Geary disparut.
Desjani se racla la gorge. « Vous allez devoir opter entre la décorer ou la relever de son commandement.
— Par l’enfer, Tanya, je n’ai pas besoin de…
— Et vous savez parfaitement laquelle de ces deux décisions passera pour justifiée dans la flotte, poursuivit-elle.
— Elle a désobéi à des ordres clairs…
— Elle a fait le boulot. » Desjani désigna la planète. « Avec agressivité et en grand style. Réfléchissez avant de vous décider, amiral. »
Geary inspira profondément puis hocha la tête. « Très bien. » À quoi Jane peut-elle bien penser, que diable ? Elle se prend pour Black Jack, s’imagine qu’elle doit lui ressembler. Et, bon sang, comme l’a dit Tanya, elle a fait du bon boulot. Qu’arrivera-t-il la prochaine fois qu’elle désobéira aux ordres pour prouver qu’elle est une « vraie » Geary ? Sans doute un désastre, comme quand nous avons perdu le Paladin à Lakota par pure témérité irréfléchie. Mais je m’occuperai de ce problème plus tard. Concentre-toi. Tes fusiliers sont sur le point de débarquer. Quelqu’un d’autre serait-il en train de merdoyer ?
L’Invulnérable détonnait sur son écran, non pas à cause de ce que faisait mais de ce que ne faisait pas le croiseur de combat. Alors que tous les autres vaisseaux procédaient sur leur orbite, à intervalle aléatoire, à d’infimes modifications de leur trajectoire pour tromper les systèmes de visée des armes basées au sol, l’Invulnérable cinglait droit devant lui, comme épinglé au centre exact de la position à lui affectée dans la formation. « Invulnérable, procédez à des manœuvres évasives ainsi que vous en avez reçu l’ordre. »
Le capitaine Vente, qui ne s’était jamais exprimé lors des conférences stratégiques, répondit sur un ton maussade. « Aucune instruction de manœuvre n’a été spécifiée.
— Le hasard, capitaine Vente. Imprimez à votre vaisseau des altérations de vecteur aléatoires, ordonna Geary.
— De quel genre ? »
D’un geste, Desjani attira l’attention de Geary. « Sous-programme 47 A des manœuvres de combat.
— Exécutez le sous-programme 47 A des manœuvres de combat, répéta Geary.
— Oh. Très bien. »
L’Orion. Que fichait l’Orion ? Si un vaisseau devait désobéir…
Mais l’Orion était en position et louvoyait aléatoirement sur son orbite, tous ses systèmes manifestement en alerte.
Les premières navettes plongeaient à toute allure vers la surface pour se poser à l’intérieur du camp, sortant leurs rampes dès qu’elles atterrissaient. Des fantassins en cuirasse de combat complète en jaillissaient pour courir se mettre à couvert. Les armes à courte portée de celles qui descendaient encore criblaient les miradors et les autres positions défensives, s’assurant ainsi que les gardes encore à leur poste resteraient à couvert. En à peine quelques minutes, la première vague débarquait et les navettes remontaient hors d’atteinte, tandis que les premiers fusiliers piquaient vers leurs objectifs, la seconde vague sur les talons.
Les bâtiments évoquaient davantage des dortoirs de plusieurs étages que les baraquements bas de style entrepôt que Geary avait vus auparavant dans les camps de prisonniers syndics. Des rangées de petites fenêtres donnaient sur les cours où les navettes larguaient les troupes, mais nul tir n’en provenait.
Geary fixa longuement son écran. L’Intrépide avait pratiquement repris sa position, et les autres vaisseaux semblaient se comporter convenablement. La destruction des sites de lancement avait apparemment dissuadé les Syndics de livrer d’autres assauts contre le camp, et même leurs forces terrestres faisaient profil bas. Leur dirigeant est peut-être stupide, mais pas eux. Aucun ne se sent prêt à affronter la force de frappe de la flotte pour sauvegarder son amour-propre.
Il afficha les fenêtres des chefs d’unité des fantassins, surpris sur le moment par leur quantité. La flotte disposait de deux fois plus de fusiliers qu’avant, de sorte que le nombre de leurs cadres avait également doublé. Il toucha le visage d’un officier et le sous-affichage montrant l’activité qui régnait dans le camp marqua immédiatement sa position. Geary réitéra la manœuvre avec un lieutenant menant un peloton à l’intérieur d’un bâtiment, puis afficha une autre fenêtre, montrant celle-là ce que voyait ce fantassin par le truchement de sa cuirasse de combat.