Elle le dévisagea avec curiosité. « Très bien. Nous nous apprêtions à en recevoir davantage, mais c’est votre flotte. Le Typhon et le Mistral savent-ils que…
— Je les appelle tout de suite !
— Pardonnez-moi, marmonna Desjani d’une voix trop sourde pour se faire entendre par d’autres. Lieutenant Mori, appela-t-elle ensuite, nous n’accueillerons que les prisonniers d’une seule navette. Veuillez en informer les équipes chargées de leur réception. »
Geary instruisit les commandants du Typhon et du Mistral de sa décision, non sans tiquer intérieurement, conscient de la pagaille de dernière minute qu’il allait provoquer à bord de ces deux vaisseaux, puis se tourna vers une Desjani au visage de marbre. « Excusez-moi. C’est qu’il s’agit de V. I. P.
— Qui ça ?
— Ces prisonniers.
— Tous ?
— Pratiquement, hélas !
— Militaires ? demanda-t-elle au bout d’un moment.
— Ouais. Comme Falco.
— Que diable… ?
— Exactement mon avis. »
Ne rencontrant aucune résistance, les fusiliers progressaient rapidement au sol. « Ce camp abritait moins de trois cents prisonniers, rapporta Carabali. La plupart des cellules étaient inoccupées. Nous les avons tous récupérés à présent, et ils embarquent sur les dernières navettes. Je commence également à remonter mes fusiliers. Selon notre estimation, tout le personnel de l’Alliance aura décollé dans quinze minutes.
— Excellent. » Réglé comme du papier à musique, alors qu’il s’attendait encore à ce que quelque chose marchât de travers, à un grain de sable qui entraverait soudain le fonctionnement d’une machine bien huilée. Mais les derniers fusiliers se réfugièrent dans les navettes encore à terre, la dernière rampe se releva et elles décollèrent, laissant derrière elles des rangées de gardes syndics désarmés, manifestement indécis sur la conduite à tenir.
« Navette à l’approche, rapporta la vigie des manœuvres. Appontage dans cinq minutes.
— Dans quel délai récupérerons-nous les dernières ? s’enquit Geary.
— Dans quarante minutes, amiral. »
Tous les Syndics de la planète semblaient s’être mis à l’abri. Rien ne bougeait dans le ciel, sur les routes ni en terrain découvert. « On dirait qu’ils ont fini par comprendre qu’il valait mieux ne pas chercher des noises à la flotte », lâcha Desjani, s’attirant les sourires de ses officiers.
Geary se leva. « Je vais aller accueillir cette navette, capitaine Desjani. Je reviens dans une demi-heure. Je dois rencontrer quelques-uns de ces V. I. P. et m’entretenir avec eux. » Peut-être réussirai-je à obtenir un indice sur la raison de notre mission dans ce système.
Desjani se contenta d’opiner, les yeux rivés sur son écran et le front plissé de concentration.
Il s’éloigna d’un pas vif en s’efforçant de dissimuler son inquiétude aux spatiaux qu’il croisait et qui, tous, semblaient d’humeur enjouée après cette victoire obtenue sans combattre, dont la nouvelle s’était déjà répandue dans la flotte comme une traînée de poudre. Une fois dans la soute, Geary s’arrêta et observa les spatiaux qui s’alignaient pour former à la fois une garde d’honneur aux prisonniers récemment libérés et un comité d’accueil chargé de les évaluer, de leur assigner leurs quartiers et de leur prodiguer les soins nécessaires.
« On se retrouve, murmura Rione en le rejoignant.
— Qu’est-ce qui peut bien amener ici un émissaire ? demanda Geary.
— Je ne suis peut-être plus sénatrice, mais j’ai toujours le devoir de présenter mes respects, au nom du gouvernement, à ceux qui ont été emprisonnés. »
Et tu espères aussi trouver quelqu’un qui te donnerait des nouvelles de ton mari. Mais il se garda bien de le dire à voix haute, conscient qu’il aurait fait pareil à sa place.
La navette se rabattit, aisément discernable derrière le bouclier qui retenait l’atmosphère dans cette section de la soute, puis atterrit avec douceur en même temps que les portes extérieures se refermaient hermétiquement et que le bouclier tombait. Geary attendit que la rampe s’abaissât et que s’ouvrît l’écoutille, puis observa les hommes et femmes qui descendaient la rampe. En dépit de leur statut de V. I. P., ils ressemblaient à tous les prisonniers de guerre délivrés par la flotte au cours des derniers mois : tous les âges étaient représentés, et certains étaient depuis si longtemps captifs qu’ils étaient désormais des vieillards ; tenues hétéroclites, mélange d’uniformes de l’Alliance élimés et de vêtements syndics de récupération ; amaigris par les travaux de force et la sous-alimentation. Quant à leur visage, il trahissait tout à la fois la joie et l’incrédulité, comme s’ils craignaient de vivre un rêve dont ils risquaient à tout instant de se réveiller en sursaut.
La seule différence était la proportion de galonnés. Autant que Geary pût en juger, il y avait peu de capitaines de corvette et de grades inférieurs parmi eux, et pratiquement tous étaient au moins capitaines ou colonels ; la moitié arboraient les insignes ternis d’amiral ou de général. Iger n’avait en aucun cas exagéré.
Il examinait encore les visages, en quête du capitaine Michael Geary, conscient toutefois que les chances pour que son petit-neveu fût encore en vie restaient bien minces, quand Rione laissa échapper une sorte de hoquet inarticulé qui retint son attention. Bien qu’étouffé, il porta dans tout le débarcadère. Quelques-uns des ex-prisonniers l’entendirent et se retournèrent, dont un homme qui fit halte en vacillant puis se rua à sa rencontre. « Vie ! C’est vraiment toi ? »
Geary recula d’un pas puis les regarda s’étreindre, gêné d’assister à ce déferlement d’émotion : Rione avait bel et bien les larmes aux yeux.
Il détourna fugacement le regard puis le reporta sur elle. Était-ce vraiment de l’horreur, mêlée à la joie et l’étonnement, qu’il lisait sur son visage ? Comment était-ce possible ?
Mais elle s’en rendit compte et se retourna l’espace d’un instant. La seconde suivante, elle n’affichait plus que les émotions normales que peuvent susciter des retrouvailles.
Elle rompit leur étreinte et se tourna vers Geary, reprenant contenance avec toute la maîtrise de soi dont elle était coutumière. « Amiral, puis-je vous présenter le capitaine de corvette Paol Benan, mon mari ? »
Geary attendit un salut qui ne vint pas et se rendit compte, avec un léger temps de retard, que ces officiers étaient détenus bien avant qu’il n’eût rétabli le salut dans la flotte.
Toutefois, Benan lui fit un grand sourire. « C’est vraiment vous, hein ? Oui, bien sûr. Les fusiliers nous ont appris que Black Jack était aux commandes. Qui d’autre aurait bien pu conduire la flotte si loin dans l’espace syndic ? Vous devez les vaincre dans la foulée. Nous pouvons à présent les battre à plate couture, les écraser afin qu’ils ne représentent plus une menace pour l’Alliance ! Maintenant que nous avons quitté cette planète, vous pouvez la pilonner de toutes vos forces ! »
Il fallut un bon moment à Rione et Geary pour comprendre ce qu’il voulait dire : les autorités syndics de ce monde avaient farouchement caché aux prisonniers la nouvelle de la fin de la guerre. « La guerre est finie, Paol, lâcha Rione. Nous l’avons déjà gagnée.
— Quoi ? » L’espace d’une seconde, Benan parut complètement perdu. « Quand ? Comment ?