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— Le général Charban et vous pouvez parfaitement débrouiller…

— Il ne s’agit pas de cela. » Elle inspira profondément, donnant un instant l’impression de chercher ses mots, phénomène si peu habituel que Desjani se rembrunit. « Mon… Le capitaine Benan. Il a été informé… de ce qui s’est passé entre nous… dans le passé. »

Une question surgit aussitôt dans l’esprit de Geary. « Êtes-vous en danger ?

— Non ! Pas moi.

— Pas vous ? » Ne restait plus qu’une seule personne.

Mais Rione secoua la tête. « Je ne le crois pas capable de…»

Geary entendit Desjani pousser un sifflement et releva la tête : le capitaine de frégate Benan se dirigeait droit sur lui.

Neuf

Desjani avança d’un pas, s’interposant entre Benan, Geary et Rione. « Un problème, capitaine ?

— Il faut que je parle à… l’amiral. » Paol Benan était d’une pâleur mortelle et sa voix rauque. « C’est une affaire d’honneur. Je dois…»

Desjani le coupa de sa voix de commandement, sonore et tranchante. « Êtes-vous informé du règlement de la flotte, capitaine Benan ? »

Il la fixa, le regard fiévreux. « Inutile de me faire un sermon sur les…

— Alors vous savez certainement ce qui se passera si vous poursuivez dans ce sens, reprit Desjani encore plus froidement. Je ne tolérerai pas une telle infraction à la discipline sur mon vaisseau.

— Sur votre vaisseau ? Après ce que vous avez fait tous les deux ? Vous avez fait honte à votre fonction et vous devriez être relevée de votre commandement pour en rendre compte…» Des spatiaux s’amassaient déjà pour les regarder, et un grondement sourd montait de ces hommes, assez menaçant pour retenir l’attention de Paol Benan et l’obliger à ravaler ses paroles suivantes.

Un sous-officier sortit des rangs. « Capitaine, s’il y avait eu lieu de mettre en cause l’honneur de notre commandant, nous le saurions. Ni l’amiral ni le capitaine Desjani n’ont attenté à leur honneur et à leurs devoirs.

— Il est intact », affirma un enseigne.

Benan s’apprêtait à répliquer, mais Victoria Rione lui coupa la parole ; elle passa devant Desjani pour le fixer d’un œil furibond. « Nous allons en parler, déclara-t-elle avec colère. En privé. Tout de suite ! »

Malgré leur pâleur, les joues de Benan se colorèrent. « Tout ce que vous pourriez dire…

— Si tu tiens encore un tant soit peu à moi, abstiens-toi de rien chanter sur les toits concernant mon honneur ou mes agissements », affirma-t-elle sur un ton assez comminatoire pour le contraindre à reculer.

Il absorba le choc, déglutit et hocha la tête, subitement docile. « Par… Pardonne-moi, Vie.

— Suis-moi. S’il te plaît. » Rione se tourna vers Desjani plutôt que vers Geary. « Si vous voulez bien nous excuser, commandant. Tous mes… remerciements », ajouta-t-elle d’une voix étranglée avant de pivoter pour entraîner son époux.

Desjani les regarda s’éloigner puis se tourna vers ses hommes d’équipage, qui attendaient encore, indécis. « Merci. »

Ils hochèrent la tête, saluèrent et se dispersèrent ; Desjani fit signe à Geary. « Avançons. Il s’en est fallu d’un cheveu.

— Quoi donc ? Qu’allait faire Benan, selon vous, quand vous l’avez contrecarré ? »

Elle se figea pour le dévisager. « Vous ne le savez vraiment pas ? demanda-t-elle. Il s’apprêtait à vous provoquer en duel. »

Geary n’était pas certain d’avoir bien entendu. « En quoi ?

— En un duel d’honneur. À mort, le plus souvent. » Ils arrivaient à la cabine de Desjani et elle lui fit signe d’entrer. « J’espère que nous pouvons passer cinq minutes là-dedans sans qu’on s’imagine que nous nous conduisons comme des lapins en rut. » L’air troublée, elle se laissa tomber sur une chaise dans une posture bien éloignée de sa raideur coutumière. « Ces duels ont commencé à se répandre il y a, voyons, une trentaine d’années. Des officiers de la flotte se défiant pour un prétendu point d’honneur. Nous étions incapables de vaincre l’ennemi, de sorte que nous nous sommes mis à nous entre-tuer. » Elle le fixa droit dans les yeux. « Pour des accusations d’infidélité, par exemple.

— Dans cette flotte ? s’étonna Geary.

— Vous savez bien comme nous sommes encore maintenant ! Les seules choses qui importent, ce sont l’honneur et les témoignages de bravoure. » Desjani eut une grimace écœurée. « Les officiers défiés ne pouvaient pas se défiler sous peine d’être regardés comme des couards. Nous en manquions déjà, et ceux dont nous disposions s’entre-égorgeaient dans une frénésie de zèle déplacé. La flotte a fini par intervenir en émettant des règles draconiennes, promettant de très sévères punitions à ceux qui se battaient en duel. Ça n’a pris réellement effet qu’au bout d’un certain temps et de plusieurs pelotons d’exécution ; cela dit, quand je me suis engagée, les duels d’honneur n’étaient plus que de vieilles histoires racontées par leurs quelques survivants. Mais ces règles sont toujours dans le manuel. Il nous faut même les apprendre par cœur pendant les classes. Si cet imbécile avait réussi à vous jeter le gant, j’aurais été contrainte de l’arrêter, de le mettre aux fers et de le déférer à la cour martiale à notre retour. » Elle lui jeta un regard méditatif. « À moins que tu n’aies opté pour une exécution sommaire, autorisée en campagne par le règlement. »

Geary regarda autour de lui. Il ne se rappelait pas être jamais entré dans la cabine de Desjani. Il choisit une chaise et s’assit en face d’elle. « Pas drôle.

— Je n’y mettais aucun humour. Il a failli me défier aussi, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. »

Il la dévisagea. « Quand il a dit que tu aurais dû être relevée de ton commandement, c’est ça ?

— Exactement ! cracha-t-elle.

— L’équipage a défendu ton honneur, fit remarquer Geary.

— Parce qu’il ignore à quel point mes sentiments étaient déshonorants, répondit Desjani avec une amertume croissante.

Tu aurais pu m’avoir sans même le demander. Tu le savais et, si tu es sincère avec toi-même, tu ne peux que l’admettre. Ne feins pas de voir en moi un parangon de vertu et d’honneur alors que j’aurais fait tout ce que tu m’aurais demandé, même si tu étais mon supérieur hiérarchique.

— Tu n’as pas… Tanya, tu étais convaincue que j’avais une mission vitale à remplir. Même nos critiques les plus virulents ne pourraient rien mettre en évidence…

— Je suis ma critique la plus virulente, amiral Geary ! » Elle le fusilla du regard. « Tu ne t’en étais donc pas encore rendu compte ?

— J’aurais sans doute dû. »

Desjani fixa un coin de la cabine l’espace d’un instant puis secoua la tête. « J’aurais pu me retrouver dans sa situation. Tu sais que j’ai eu des liaisons avant de te connaître. L’une d’elles aurait pu se solder par un mariage, et au moins un des officiers que j’aurais épousé a été capturé par les Syndics. J’aurais pu passer des années à embellir son souvenir et notre relation, avant de découvrir, à sa libération, l’abîme qui sépare ces fantasmes de la réalité de ce qu’il était et de ce qu’il est devenu. Et de me retrouver contrainte de lui expliquer ce que j’avais fait durant sa captivité, dont nous croyions tous les deux qu’elle durerait jusqu’à sa mort, pour ensuite vivre avec ça. »

Geary baissa la tête, à la fois conscient des émotions qui agitaient Desjani et refusant de les lire sur son visage. « Tu n’aurais pas…

— Mais si. Tu le sais. Ne joue pas les protecteurs avec moi. Seule la chance m’a épargné de vivre ce qu’elle connaît en ce moment. »