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Rione observa un encore plus long silence. « Un héros vivant peut devenir très embarrassant.

— C’est encore ce que pense le gouvernement ? demanda-t-il sur un ton tout aussi tranchant que ses mots.

— Le gouvernement ? » Rione laissa échapper un petit rire sans pour autant changer d’expression. « Vous en parlez comme s’il s’agissait d’un énorme bloc monolithique, doté de nombreux bras mais d’un cerveau unique chargé de les contrôler tous. Essayez de renverser cette image, amiral. Vous devriez peut-être réfléchir à ce qui se passerait si le gouvernement n’était qu’une sorte de Léviathan dont la seule main monstrueuse serait contrôlée par de nombreux cerveaux qui, chacun de son côté, chercheraient à la diriger, à guider ses tâtonnements puissants, certes, mais maladroits, pour faire quelque chose, n’importe quoi. Vous avez vu le Grand Conseil à l’œuvre. Laquelle de ces deux images vous semble-t-elle convenir le mieux ?

— Que se passe-t-il exactement ? Pourquoi êtes-vous là ?

— Je suis une émissaire du gouvernement de l’Alliance. » Sa voix était dépourvue d’émotion.

« Qui vous a nommée à ce poste ? Navarro ?

— Navarro ? » Elle le regarda de nouveau droit dans les yeux. « Vous croyez qu’il vous trahirait ?

— Non.

— Vous avez raison. Pas sciemment. Mais il était fatigué, épuisé par les responsabilités qu’il exerce au Grand Conseil. Cherchez ailleurs, amiral. Rien n’est simple.

— Nous ne sommes pas venus à Dunaï parce que votre mari s’y trouvait. Vous ne saviez pas qu’il y était détenu. Qui sommes-nous venus chercher ? »

Nouveau long silence. « Vous cherchez quelqu’un en particulier ? » Sur ce, Rione entreprit de s’écarter de lui et de remonter la coursive.

« Me cacheriez-vous quelque chose qu’il me faudrait savoir pour vous ramener chez vous, votre époux et vous-même ? » cria-t-il.

Elle ne répondit pas et s’éloigna tranquillement.

Geary avait réussi à éluder quelques-unes des nombreuses requêtes d’entretien en tête-à-tête transmises par le général Charban quand l’Indomptable et la flotte plongèrent dans le néant de l’espace du saut. Par respect pour le grade et les états de service des prisonniers libérés, il avait néanmoins trouvé le temps d’en recevoir un certain nombre ; chacune de ces rencontres lui avait semblé épineuse, dans la mesure où il ne pouvait rien accorder à ces officiers de ce qu’ils attendaient de lui, tandis que plus d’un continuait pourtant d’exiger.

Jamais il n’avait autant apprécié l’agréable tranquillité de cet isolement.

À bord du vaisseau, les coursives étaient toujours embouteillées par les travaux, mais leur lente progression dans les zones endommagées, sauf là où des dégâts consécutifs à des combats antérieurs avaient exigé le remplacement presque complet des composants d’origine, était satisfaisante. « Les travaux de radoub de l’Indomptable sont achevés à cinquante pour cent, lui avait fièrement déclaré le capitaine Smyth juste avant le saut. Bon, bien sûr, les cinquante pour cent qui restent risquent d’être foutrement contraignants. Nous avons avant tout procédé aux réparations les plus faciles d’accès. »

Peu après, Desjani s’était montrée dans la cabine de Geary. Elle avait désigné le matelot debout à côté d’elle, un sous-off dont l’embonpoint le classait probablement en tête de liste des gras du bide de la flotte. Cela dit, l’uniforme de l’homme était immaculé et il arborait d’impressionnantes décorations témoignant de son ardeur au combat. « Vous connaissiez le sergent Gioninni, amiral ? »

Geary hocha la tête. Il avait croisé plusieurs fois le ventripotent. « Nous nous sommes déjà parlé.

— Lors de ces conversations, le sergent Gioninni vous a-t-il déclaré que, s’il n’avait jamais été convaincu d’avoir enfreint une loi ou un règlement, on le soupçonne néanmoins de jongler avec tant de magouilles et de micmacs que les systèmes tactiques d’un croiseur de combat moyen auraient le plus grand mal à les dépister tous ?

— Commandant, ces rumeurs ne s’appuient sur aucune preuve tangible, protesta le sergent.

— Si nous pouvions les étayer, vous seriez au cachot pour au moins cinq siècles, sergent. » D’un geste, Desjani indiqua la direction approximative des auxiliaires. « Le sergent Gioninni est, selon moi, l’homme idéal pour surveiller les activités contraires au règlement qui pourraient prendre place sur certains de nos vaisseaux.

— En fonction de mon professionnalisme et de mon sens aiguisé de l’observation, bien entendu, ajouta le sergent.

— Bien entendu », convint Geary. Il se demandait si Gioninni ne serait pas la réincarnation de certain sergent-chef qu’il avait connu un siècle plus tôt. « Quel intérêt un magouilleur aurait-il à rendre compte des micmacs d’un de ses pareils ? Question purement théorique, naturellement.

— Eh bien, amiral, un individu s’adonnant à des agissements indélicats et illégitimes pourrait s’inquiéter d’une trop forte concurrence, par exemple, répondit Gioninni. Réponse purement théorique, naturellement. Et il… craindrait sans doute que la concurrence en question ne cherche à recueillir des preuves l’accablant lui-même. Preuves qui, bien évidemment, n’existent pas.

— Bien évidemment. » Geary peinait à garder son sérieux. « Je dois savoir quelle est votre priorité, sergent.

— Ma priorité, amiral ? » Gioninni réfléchit un instant. « Même à supposer que ces rumeurs disent vrai, amiral, je vous jure sur l’honneur de mes ancêtres que jamais je ne laisserais faire quelque chose qui pourrait mettre ce vaisseau en péril. Ni aucun autre. Ni même un seul individu présent à bord d’un de nos bâtiments. »

Geary jeta un regard vers Desjani, qui hocha la tête pour signifier qu’elle ajoutait foi à cette dernière déclaration. « Très bien, en ce cas, déclara Geary. Veillez au grain et tenez-nous informés de tout ce que nous devrions savoir.

— Et, si jamais nous découvrions que vous avez négocié votre silence contre une part du gâteau, vous pourriez retrouver vos ancêtres beaucoup plus tôt que prévu, ajouta sévèrement Desjani.

— Oui, commandant ! » Le sergent Gioninni salua puis rompit et prit martialement la porte.

« Vous ne l’avez pas encore agrafé la main dans le sac, hein ? demanda Geary.

— Toujours pas. Mais ce n’est pas plus mal. Il arrive parfois qu’on ne puisse pas obtenir assez vite certains articles vitaux pour le vaisseau. À ces occasions, le sergent Gioninni peut se révéler très utile. Cela dit, jamais on ne lui a demandé d’ignorer les procédures légales, bien entendu.

— Bien entendu. »

Il leur fallut un jour et demi à 0,1 c pour gagner le portail de l’hypernet d’Hasadan depuis le point d’émergence. Geary dut sans cesse réprimer le désir pressant d’augmenter la vélocité de la flotte afin de l’atteindre plus tôt et d’arriver plus vite à Midway pour enfin plonger dans l’espace Énigma.

Juste avant d’emprunter le portail de l’hypernet, le capitaine Tulev pria Geary de lui accorder un entretien en tête-à-tête. Cela ne ressemblait guère à Tulev qui, d’ordinaire, restait assez renfermé. Mais il donna un instant l’impression de ne pas trouver ses mots. « Amiral, j’aimerais m’assurer que vous êtes informé d’un certain point concernant les prisonniers de Dunaï. L’un d’eux, le colonel Tukonov, est mon cousin. »

Geary ne sut trop que répondre. Toute la famille de Tulev avait été anéantie pendant la guerre, lors d’un haineux bombardement syndic de sa planète natale. « C’est une excellente nouvelle.

— En effet. Le colonel Tukonov était porté disparu, en même temps que son unité, depuis dix-neuf ans. On le croyait mort. Le voilà vivant. » Tulev cherchait encore ses mots. « Les morts reviennent à la vie. Vous. Mon cousin. La guerre prend fin. L’humanité découvre qu’elle n’est pas seule. Quelle époque extraordinaire !