— Ce qui subsiste du gouvernement syndic a besoin de tous les bâtiments disponibles. Vous croyez donc que les locaux ont cessé de se servir de vaisseaux de guerre comme d’estafettes quand ils se sont aperçus qu’ils allaient manquer d’avisos ?
— Même des Syndics seraient assez malins pour s’en rendre compte. Tôt ou tard, à tout le moins. Ils ont déniché quelque part un autre croiseur léger qui peut-être traversait leur système et qu’ils ont convaincu de rester. Mais n’oubliez pas que, pour nous combattre, le gouvernement central syndic avait arraché à ces locaux la flottille chargée de les protéger. Ils savent qu’elle ne reviendra pas et que leur gouvernement central les a laissés sans défense contre les extraterrestres.
— Ils doivent donc savoir qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, renchérit Geary. Je vais leur signifier que nous ne faisons que passer et leur demander s’ils ne disposent pas d’autres informations sur Énigma.
— Si c’est le cas, ils exigeront une contrepartie.
— Peut-être nous seront-ils reconnaissants de les avoir sauvés. »
Desjani ne se donna même pas la peine de répondre à ce vœu pieux.
La planète principale se trouvait pratiquement de l’autre côté de l’étoile pour le moment, de sorte que le temps de transmission était rallongé de quelques minutes. Dans la mesure où la flotte en était encore éloignée d’environ cinq heures-lumière, ça n’avait qu’une incidence limitée.
Les Syndics avaient attendu de recevoir un appel des vaisseaux de l’Alliance pour émettre, de sorte que leur réponse n’atteignit la flotte qu’au bout d’une demi-journée, alors qu’elle était déjà en bonne voie vers le point de saut permettant de gagner l’étoile que les hommes appelaient Pele mais qu’ils avaient abandonnée aux extraterrestres depuis des décennies.
La commandante en chef Iceni elle-même était assise derrière son bureau, le regard méfiant. Ce qui restait assez compréhensible. Après tout, elle était en communication avec une flotte importante de l’Alliance, contre qui les Mondes syndiqués s’étaient cruellement battus pendant des décennies, avant le récent traité de paix. « J’adresse personnellement mes respects à l’amiral Geary. En réponse à votre question, nous n’avons décelé aucune activité de l’espèce Énigma depuis le départ de votre flotte. La population de ce système aimerait voir cette situation perdurer. Nous ne tenons pas à provoquer de nouveau les extraterrestres par des actes d’agression.
» Veuillez, je vous prie, m’informer de la raison du retour de votre flotte dans notre système après un seul mois d’absence.
» La population de Midway vous reste bien entendu reconnaissante de l’avoir défendue. Néanmoins, votre flotte appartient à une puissance étrangère. La formulation ambiguë de certaines clauses du traité de paix vous autorise sans doute une telle incursion, mais Midway ne tient pas à voir se répéter ces intrusions. Nous surveillerons de très près vos faits et gestes, et nous demandons instamment qu’à l’avenir toute visite de notre système par des vaisseaux de guerre étrangers soit préalablement autorisée par nous.
— Z’êtes les bienvenus », marmonna Desjani.
Souhaitant être présents quand la réponse des Syndics arriverait, le général Charban et Rione étaient montés sur la passerelle. « Elle ne nous menace pas, fit remarquer le général comme si c’était là un suprême témoignage de courtoisie.
— Ça se comprend, lâcha Geary. Contrairement à cet imbécile de Dunaï, elle tient à préserver ses faibles capacités de défense.
— Je crois Iceni bien plus intelligente que ce commandant en chef, affirma Rione. Elle sait qu’il serait stupide d’essayer de nous bluffer, de sorte qu’elle s’en abstient. » Elle lança à Geary un regard interrogateur. « Ce qu’elle s’est également abstenue de dire, c’est qu’elle rendrait compte au gouvernement central syndic de notre passage par son système stellaire.
— Par ce qu’il en subsiste, voulez-vous dire. » Geary fronça les sourcils. Ses yeux se portèrent sur son écran comme de leur propre volonté. « Nous nous demandions pourquoi aucun aviso n’était posté près du portail pour servir d’estafette. Nous pensions que, ne les voyant pas revenir, ils avaient tout bonnement décidé de ne plus les envoyer au gouvernement central.
— C’est probablement une des raisons, acquiesça Rione, mais j’aimerais que vous preniez cette autre réalité en considération : la commandante en chef Iceni prend aussi délibérément ses distances avec le gouvernement des Mondes syndiqués dans le but d’instaurer ici un système stellaire autonome.
— Nombre de ses pareils ont déjà pris cette décision. Même si elle arrivait à ses fins, en quoi est-ce que cela nous concernerait ? »
Charban afficha une mine peinée. « Nous avons signé cet accord avec le gouvernement des Mondes syndiqués. Iceni pourrait exciper de sa nouvelle indépendance pour exiger une renégociation. »
Rione secoua la tête comme si elle lisait dans les pensées de Geary. « Nous ne pouvons pas nous conduire ici comme à Dunaï. Nous voulons pouvoir revenir dans ce système aussi souvent que nécessaire, et nous tenons à ce qu’il reste stable dans ce secteur de l’espace qui fait face à Énigma. Nous pourrions trouver bien pire qu’un gouvernement dirigé par Iceni.
— C’est une commandante en chef syndic, fit remarquer Geary.
— Mais qui est restée avec le plus gros de sa population au lieu de s’enfuir à bord du premier vaisseau rapide disponible après y avoir entassé tous les trésors qui lui tombaient sous la main, alors que son monde était menacé par les extraterrestres, rectifia Rione. Non seulement elle a fait preuve de courage, mais encore d’un grand sens des responsabilités envers le peuple qu’elle dirige.
— Une commandante en chef syndic ? marmotta Desjani.
— Les commandants en chef syndics sont des individus, tout comme les politiciens de l’Alliance, affirma Rione, s’adressant à Geary. Chacun doit être jugé sur ses mérites personnels.
— Iceni ne tient pas à ce que nous entrions dans l’espace Énigma, déclara Geary. Mais je ne veux pas non plus lui cacher nos projets, d’autant qu’il crève les yeux que nous nous dirigeons vers le point de saut pour Pele.
— Alors ne lui mentez pas, lâcha Rione d’une voix atone. Ça ne ressemblerait pas à Black Jack Geary, en aucune circonstance. »
Desjani lui jeta un regard aigu, mais elle ne pouvait guère démentir.
Geary répondit donc franchement à Iceni : « Nous faisons route vers Pele pour ensuite pénétrer encore plus profondément dans l’espace extraterrestre afin d’en apprendre davantage sur l’espèce Énigma et d’établir avec elle, espérons-le, des relations pacifiques. »
Il ne reçut de réponse que tard dans la journée du lendemain, seul dans sa cabine, parce que le message lui était adressé personnellement, à l’exclusion de tout autre récipiendaire. Le délai de transmission s’était sensiblement raccourci, réduit à seulement quatre heures d’émetteur à récepteur, mais il rendait encore toute conversation malaisée.
Iceni affichait un masque impassible dissimulant ses sentiments, mais sans ostentation. Elle aurait pu enseigner quelques ficelles aux politiciens de l’Alliance, voire à Rione elle-même, dans ce domaine. « Je vais me montrer brutale, amiral Geary, parce que je connais votre réputation et que nos conversations précédentes m’ont appris que vous n’êtes pas homme à tourner longtemps autour du pot. Vous avez l’intention de conduire votre flotte dans le secteur de l’espace contrôlé par l’espèce Énigma. Je ne vous cache pas que cela ne me plaît pas. Nous avons suffisamment de problèmes ici pour ne pas nous inquiéter de susciter la fureur d’un éventuel ennemi dans notre secteur par-dessus le marché. Mais je suis aussi consciente que je n’ai pas les moyens de vous en empêcher, ni même de faire obstruction de manière un tant soit peu efficace à la progression de votre flotte. »