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Elle se pencha, le regard tendu. « Il est évident que vous comptez profiter d’une faille dans le traité de paix pour vous servir de Midway comme d’une base avancée vous permettant d’accéder à l’espace Énigma. Et bénéficier également de notre coopération active à cet égard. Je consens à débattre avec vous d’un tel accord entre notre système et la flotte, pourvu qu’il nous soit mutuellement bénéfique. J’ai mieux à vous offrir que notre seul acquiescement, et même que notre soutien à votre transit par Midway. Je dispose d’un autre atout dont vous aurez besoin. En contrepartie, vous devrez me rendre un service. Je suis prête à négocier, mais uniquement avec vous. Ne me répondez que sur ce canal si vous êtes d’accord pour ouvrir les négociations. Au nom du peuple de Midway. Iceni. Terminé. »

Que faire maintenant ? Prendre l’avis de Rione ? Elle avait renoncé à le conseiller, sauf en de très rares circonstances, et, de toute manière, Iceni tenait à traiter directement avec lui. Charban jouirait peut-être d’une certaine autorité politique en raison de son statut d’émissaire, mais Geary n’avait guère été impressionné jusque-là par ses tentatives maladroites et peu averties, quoique bien intentionnées, quand il s’essayait à la diplomatie.

De quel atout voulait donc parler Iceni quand elle affirmait que Geary en aurait besoin ? Cherchait-elle seulement à l’appâter pour le contraindre à répondre, ou bien s’agissait-il réellement d’un avantage pour la flotte ou lui-même ?

Il finit par transmettre sa réponse. « Commandante en chef Iceni, je suis prêt à engager des pourparlers. Sachez que je n’accepterai rien qui soit contraire aux intérêts de l’Alliance. Si vous entendez trouver une base d’accord avec nous, je ne pourrai qu’impliquer les émissaires de mon gouvernement dans ces négociations. Veuillez énoncer votre proposition et préciser ce que vous attendez de nous en retour. En l’honneur de nos ancêtres. Geary, terminé. »

Compte tenu des huit heures de délai entre aller et retour d’un message, il ne servait à rien d’attendre la réponse. Il se remit au travail en s’efforçant de se concentrer sur des problèmes administratifs, puis Desjani l’appela. « Une navette du Tanuki nous apporte des pièces détachées ainsi qu’une visite pour vous. Elle attendra dans la soute que votre entretien soit terminé.

— Une visite ? » Le capitaine Smyth en personne, venant inspecter le boulot ?

« Le lieutenant Shamrock », répondit sèchement Desjani.

La chevelure verte du lieutenant Jamenson semblait quelque peu disciplinée quand elle s’assit en face de lui. « Amiral, le capitaine Smyth tient à ce que je vous informe d’un problème.

— Concernant les réparations de la flotte ?

— Non, amiral. » Jamenson s’interrompit, l’air de ne pas trop savoir comment elle devait s’y prendre. « Je vous ai dit que j’étais non seulement capable d’embrouiller, mais aussi de débrouiller. Le capitaine Smyth… aime à se tenir à la page, de sorte qu’il surveille nombre de transmissions qui ne lui sont pas directement adressées.

— Je vois. » Laissant entendre que Smyth enregistrait des communications de l’Alliance qui ne lui étaient pas adressées quand il se trouvait encore à Varandal. Dans un sens, ce n’était pas une très grosse surprise. Techniquement, c’était certes une infraction aux règles de sécurité et aux procédures de communication, mais, dans la pratique, Smyth n’était pas le seul commandant à s’intéresser de très près à ce qui ne le regardait pas officiellement. En outre, prendre des dispositions pour se tenir informé de ce qu’on n’est pas censé savoir mais qui peut vous être utile ne saurait nuire.

« Nous avions enregistré quantité de messages avant de quitter l’Alliance, poursuivit Jamenson. Je les ai ouverts progressivement parce qu’ils contenaient de nombreux petits détails, des codes programmatiques inconnus et des mécanismes de financement que je ne pouvais pas identifier. Mais il me semble… non, je suis certaine d’avoir percé à jour un schéma général. »

Son comportement n’était en rien rassurant. « À propos de la flotte ?

— Je n’en sais rien, amiral. En bref, on continue de construire de nouveaux vaisseaux de guerre dans l’Alliance.

— Nous le savions déjà. On achève des coques quasiment terminées.

— Non, amiral. C’est bien plus important. » Jamenson hésita derechef. « Je n’ai aucune certitude quant à leur quantité, mais, vu le nombre de codes de projet, de références de contrat et de sources de financement, il doit s’agir d’une douzaine au moins de cuirassés et d’une autre douzaine de croiseurs de combat en chantier, ainsi que d’importantes modifications des coques partiellement achevées et d’assez de croiseurs lourds, de croiseurs légers et de destroyers pour les escorter. »

Geary fixa longuement Jamenson en s’efforçant de faire coller ses informations avec ce qu’il savait déjà. Ce qu’il croyait déjà savoir. « En secret ?

— Oui, amiral. Nous n’étions pas censés lire les messages relatifs à ces chantiers, et tout cela est dissimulé dans un fatras de détails. Aucun code ne permet d’identifier les contrats. Difficile d’entrevoir la vérité. »

Nouveau long silence, tandis que Geary tâchait de réfléchir. « Des auxiliaires ? Est-ce qu’on en construit aussi ?

— Hum. » Jamenson afficha un instant une mine interloquée puis médita la question. « Je n’ai rien repéré concernant la mise en chantier de nouveaux auxiliaires, amiral. »

Était-ce pour cette raison que le QG avait tenté de lui piquer la majeure partie de sa force auxiliaire ? Ou bien ces nouveaux vaisseaux n’étaient-ils destinés qu’à la défense de l’Alliance et non à des opérations offensives hors de son espace, où l’on aurait besoin des auxiliaires ?

Pourquoi lui avait-on caché ces chantiers ? Pourquoi le Grand Conseil et le QG lui avaient-ils affirmé qu’on avait cessé de construire de nouveaux vaisseaux ? Et qu’en était-il de ces « modifications importantes » des coques ? Devaient-elles bénéficier d’une plus longue durée de vie ? Ce qui signifierait que quelqu’un s’était rendu compte de ce qu’il adviendrait nécessairement des vaisseaux de sa propre flotte, dont la coque, elle, n’avait qu’une espérance de vie limitée.

Jamenson l’observait avec inquiétude, en se mordillant les lèvres.

Geary finit par la regarder en hochant gravement la tête. « Merci, lieutenant. C’est une information vitale, et nous ne la devons qu’à votre capacité à reconstituer ce puzzle. Autre chose ?

— Non, amiral. Je n’ai rien à ajouter pour l’instant.

— Mais, quand vous dites qu’on est en train de construire vingt-quatre gros vaisseaux et des escorteurs en nombre suffisant, vous en avez la certitude ?

— Oui, amiral. Je peux vous décortiquer toutes les preuves, amiral.

— Contentez-vous de me les laisser. » Geary marqua une pause. « Remerciez le capitaine Smyth, je vous prie, de sa prévoyance. Il a fort bien fait de me mettre au courant. Certaines indications donnent-elles à penser que les bureaucrates de l’Alliance ont découvert ce que nous faisions pour remettre la flotte à niveau ?

— Non, amiral. Je regrette. Avant notre départ, nous n’avions encore vu par aucun signe qu’ils avaient saisi. Je travaille vraiment dur à tout embrouiller.