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Mais, en lui retirant ces gens, on s’assurait que la flotte n’aurait plus aucun moyen de prendre conscience de cette menace précise. Ni de construire un dispositif tel que celui que venait de mentionner Iceni.

Le regard de Geary se reporta sur son propre écran ; il imaginait déjà le retour de la flotte depuis Midway : un retour à la dure, en procédant par sauts successifs d’étoile en étoile sur une distance deux fois supérieure à celle qu’on avait parcourue pour regagner l’Alliance après avoir quitté le système central syndic. Ce serait un périple long et pénible, même sans la menace constante d’une agression, et la flotte resterait tout du long coupée de sa base. Carburant, vivres… Comment se procurer ce dont elle aurait besoin pour rentrer sans recourir à la violence ?

Et que se passerait-il si, retour de l’espace Énigma, elle revenait à Midway avec des réserves insuffisantes, voire affaiblie par des combats, pour s’apercevoir qu’au lieu d’un voyage rapide elle devrait s’appuyer une pérégrination d’une année entière ?

Le gouvernement avait-il évalué ce risque et considéré qu’il valait la peine de le courir pour en apprendre davantage sur Énigma ? Mais pourquoi ne lui en avait-on rien dit ? Et pourquoi le QG avait-il tenté de lui confisquer le plus clair de sa force auxiliaire juste avant le départ de Varandal si, précisément, ce risque rendait la présence de ces auxiliaires vitale ? Était-ce pour cette raison, plutôt que pour aider à la construction de nouveaux vaisseaux de guerre, qu’on leur avait ordonné de quitter la flotte ? Ou bien pour ces deux motifs à la fois ?

Pourquoi le gouvernement et le QG de l’Alliance prendraient-ils le risque d’envoyer la flotte s’échouer si loin de leur territoire ? La flotte… et lui-même.

Un héros vivant peut devenir très gênant.

Il se rendit compte qu’Iceni avait repris la parole : « Je suis certaine que vous appréciez ma proposition à sa juste valeur. Tout ce que vous aurez à faire en échange des plans de ce dispositif essentiel sera de garder le silence lorsque nous laisserons entendre que ce système stellaire est sous votre protection contre toute agression, et de repousser toute demande d’assistance du gouvernement central des Mondes syndiqués s’il cherche à agresser la population pacifique de Midway. »

Son sourire se fit aussi hypocrite que celui de tout commandant en chef syndic. « Vous constaterez qu’il s’agit autant d’un problème humanitaire que d’une question d’intérêt réciproque.

Je consens à me contenter de votre… parole d’honneur. Promettez-moi d’agir dans ce sens et je vous transmettrai les plans.

» Dans l’attente de votre accord, amiral Geary. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »

Geary se prit le visage à deux mains ; son cerveau s’activait. Le gouvernement ne serait aucunement lié par les engagements de cette nature que je prendrais de mon côté, mais Iceni à l’air de croire, à l’instar de Badaya et de ses suiveurs, que je tiens désormais les commandes de l’Alliance. Lui répondre que je prends mes ordres de mon gouvernement ne serait pas mentir, mais elle refusera de croire que c’est la vraie raison.

Le gouvernement de l’Alliance a vraisemblablement tenté de nous égarer, la flotte et moi. Que feront les extraterrestres quand nous pénétrerons dans leur espace ? Ça pourrait déclencher l’effondrement de tout l’hypernet syndic. Est-ce que personne ne s’en est rendu compte ? Est-ce une attitude délibérée de malveillance ou de la pure et simple imprévoyance ? Ce fiasco consécutif au message menaçant mes officiers de la cour martiale est sans doute la preuve que des gens en place ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs actes, mais, quand ces écueils s’ajoutent, ils finissent par former un tableau très perturbant.

Que savait exactement Rione ?

De façon assez ironique, les Syndics avaient probablement utilisé les informations que leur avait transmises Geary sur les vers quantiques extraterrestres pour créer leur mécanisme, en même temps que le plan du dispositif de sauvegarde inventé par Cresida et divulgué à l’ennemi pour interdire à Énigma de se servir de ses portails comme d’armes contre la flotte de l’Alliance. Ou bien n’était-ce en rien ironique ? Dans les deux cas, ça leur avait paru juste : des gestes humanitaires au vrai sens du terme, un moyen d’assurer aux Syndics de Midway une chance de se défendre en même temps que d’offrir une protection à l’Alliance. Grâce à ces deux gestes, Geary avait maintenant l’occasion d’obtenir une percée d’une importance critique.

Si l’Alliance, absorbée qu’elle était par ses querelles politiques intestines, n’avait pas su déceler cette menace ou n’avait tout bonnement pas su inventer un tel mécanisme jusque-là, n’était-il pas de son devoir de lui rapporter cette contre-mesure syndic ?

Iceni n’exigeait aucune promesse écrite. Bien sûr que non. Elle était trop maligne pour consigner sur le papier pareil accord, en qui son gouvernement central verrait une trahison. La voir articuler les mots « parole d’honneur », expression qu’elle n’avait visiblement pas l’habitude d’employer, avait été aussi affligeant qu’édifiant. L’espace d’un instant, il se demanda de quel terme se servaient les Syndics entre eux pour garantir qu’une promesse serait honorée.

Je ne peux pas me faire conseiller dans cette affaire. Si je parviens à un accord avec Iceni, il pourrait être regardé comme un abus d’autorité de ma part, contraire au règlement et engageant illicitement l’Alliance à intervenir dans des affaires internes des Mondes syndiqués. Tous ceux à qui je m’en ouvrirais avant de prendre ma décision seraient impliqués.

Je dois donc décider seul, afin qu’elle ne rejaillisse sur personne d’autre.

Il afficha un rapport préparé par le renseignement et basé sur des messages interceptés dans ce système stellaire, et en entreprit la lecture. Iceni était toujours le commandant en chef responsable de Midway. Sans surprise. Le commandant des forces terrestres du système, un nommé Drakon, arrivait en second en termes de pouvoir. On ne savait pas grand-chose à son sujet, sauf qu’avant d’être mystérieusement muté au beau milieu de nulle part, du moins de son équivalent syndic, il avait participé à plusieurs batailles sur la frontière avec l’Alliance, et que son service du renseignement le regardait comme hautement efficace.

Geary songea à Jason Boyens, le commandant en chef syndic qu’ils avaient capturé et ramené à Midway, et qui affirmait avoir été affecté à ce système en une forme d’exil. Qui Drakon a-t-il bien pu déranger et comment ?

Un certain commandant en chef Hardrad, qui dirigeait apparemment les forces de sécurité interne du système, et dont le statut était parallèle à celui de Drakon et d’Iceni, était également consigné dans le rapport. À ce qu’en avait pu voir Geary, les forces de sécurité interne avaient un très grand pouvoir. C’était déjà vrai avant la guerre, mais le long conflit l’avait encore accru, et, dans certains systèmes, il avait même inclus l’emploi d’armes nucléaires, ultime rempart contre la rébellion de la population. Geary se demanda comment Iceni comptait contourner Hardrad, ou si elle l’avait déjà circonvenu.

Dans d’autres systèmes, Geary avait été aux premières loges pour assister aux conséquences d’une tentative du gouvernement local pour s’affranchir de la tutelle des Mondes syndiqués : guerre ouverte entre factions militaires, groupes civils et forces de sécurité interne. Il répugnait sans doute à voir Midway connaître le même sort, mais il n’y pouvait rien.

Le rapport citait les noms d’autres dirigeants subalternes identifiés lors de ces échanges de transmissions mais ne livrait que bien peu de renseignements supplémentaires, hormis un ordre de bataille fragmentaire et la liste exhaustive des vaisseaux de guerre syndics en place.