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Soulagé, le lieutenant prit congé pour regagner son sanctuaire du compartiment du renseignement, et, une fois l’écoutille refermée, Geary passa un autre appel, au Dragon cette fois. « J’aimerais m’entretenir en privé avec le commandant Bradamont. Priez-la de me rappeler dès qu’elle sera disponible. »

Quelques minutes plus tard, l’image de Bradamont apparaissait dans la cabine de Geary. Elle salua, ne laissant rien transparaître sinon de la curiosité. « Oui, amiral ? Un entretien en tête-à-tête ? Concernant le Dragon ?

— Non, commandant. » Geary resta debout, de sorte qu’elle fit de même. Tant qu’il n’en saurait pas davantage, il devrait s’abstenir de toute décontraction. « Il s’agit d’une question personnelle qui affecte aussi vos responsabilités professionnelles. »

Bradamont ne sourcilla même pas, mais sa curiosité parut s’évanouir. « Rogero ?

— Exactement. Tenteriez-vous de déterminer si le sous-commandant en chef Rogero est bien l’homme avec qui vous avez eu une relation durant votre captivité ?

— J’en suis persuadée, amiral. Aux dernières nouvelles, il était sous les ordres d’un dénommé Drakon, muté dans ce secteur de l’espace syndic pour le punir d’avoir choisi le mauvais camp en soutenant quelques commandants en chef syndics influents. »

Geary réfléchit. Bradamont en savait plus long sur la situation de Drakon que le rapport du renseignement qu’il venait de lire. Qu’est-ce que ça signifiait ? « Êtes-vous seulement animée par la curiosité, commandant ? Ou bien comptez-vous réagir s’il s’avère qu’il s’agit du même Rogero ? »

Bradamont marqua une pause avant de répondre. « Je n’en sais rien, amiral.

— L’aimez-vous toujours ? »

Nouveau silence. « Oui, amiral. » Elle le défia du regard. « Nous ne sommes plus en guerre.

— Non, convint Geary. Mais nous ne formons pas non plus une grande et heureuse famille.

— Je vous jure sur tout ce que vous voudrez que je n’ai pas l’intention de contrevenir à mes devoirs d’officier de la flotte ni à mes responsabilités de commandant d’un vaisseau de l’Alliance, amiral. Je suis prête à répéter ce serment dans un compartiment d’interrogatoire afin qu’il ne subsiste plus aucun doute sur ma sincérité. »

Elle avait l’air parfaitement sincère, et, si des doutes avaient subsisté à cet égard, la sécurité n’aurait jamais autorisé Bradamont à rejoindre la flotte. « Je ne crois pas que ce sera nécessaire, commandant. Puis-je vous poser une question personnelle ? Une autre, je veux dire. Nous avons combattu les Syndics alors que vous étiez à bord du Dragon. N’avez-vous jamais craint que Rogero pût se trouver sur un des vaisseaux avec qui nous engagions le combat ?

— Je ne pouvais pas me permettre d’y songer, amiral. » Elle soutint son regard. « Je faisais mon devoir et je savais qu’il comprendrait.

— Qu’il comprendrait que vous pourriez le tuer ? Personne ne saurait être à ce point compréhensif, capitaine Bradamont.

— Il comprend au moins ce qu’est le devoir, amiral. C’est une des raisons qui m’ont…» Elle le regarda droit dans les yeux. « Je sais que vous avez envie de me poser une autre question personnelle. En l’occurrence, comment il se fait que je sois tombée amoureuse d’un officier syndic.

— Ça ne me regarde pas », répondit Geary. Cela dit, il aurait bien aimé le savoir.

« Je vais vous le dire, amiral, parce que je vous crois plus prêt que d’autres à l’accepter. » Elle détourna les yeux, l’air de ne pas seulement rassembler ses souvenirs mais de revivre le passé. « On nous transférait, un certain nombre de nouveaux prisonniers et moi, sur la planète abritant le camp de travail syndic où nous serions détenus. Notre transport a eu un très grave accident. Nous allions vraisemblablement tous périr. Rogero était responsable des forces terrestres syndics que transportait aussi ce vaisseau. Il a ordonné, pour nous sauver la vie, qu’on nous sorte de nos cellules de confinement, puis il nous a permis d’œuvrer avec l’équipage au sauvetage du bâtiment. » Elle le fixa de nouveau. « Pour l’en punir, on l’a relevé de son commandement.

— Il avait enfreint les règles.

— Oui. Ses supérieurs ont affirmé qu’il aurait dû nous laisser crever. Je le sais parce que plusieurs d’entre nous ont été appelés à témoigner sur ces événements. Malgré nous, mais dans des salles d’interrogatoire séparées où il nous était difficile de concocter une histoire cohérente. Rogero n’a pas seulement perdu le commandement de son unité des forces terrestres, il a aussi été affecté au camp de travail en tant qu’un de nos gardes-chiourme. C’est l’idée que se font les Syndics d’une bonne blague, amiral. Dans la mesure où il se souciait assez de nous pour nous sauver, on le contraignait à devenir un de nos geôliers. »

Logique. « C’était un des officiers syndics les plus hauts gradés du camp, tout comme vous-même parmi les prisonniers de l’Alliance, de sorte que vous étiez amenés à vous rencontrer régulièrement.

— Effectivement, amiral. Et je connaissais déjà un peu son caractère pour avoir assisté à ce qui l’avait conduit dans ce camp. » Bradamont s’interrompit un instant. « Vous et le… capitaine Desjani êtes sans doute les mieux placés pour comprendre ce que j’ai éprouvé en prenant conscience de mes sentiments. Je n’avais rien voulu… ni espéré de tel. Quand j’ai découvert qu’il ressentait la même affection… impossible pour moi… C’est un homme honnête et honorable, amiral, même s’il a été formé pour se conduire différemment. Mais… nous sommes restés tous les deux fidèles à notre devoir. Je n’ai jamais trahi mon serment à l’Alliance, jamais déshonoré mes ancêtres, même si…» Elle se tut brusquement.

« Je vois. Les Syndics l’ont manifestement très mal pris. On vous a transférée dans un autre camp de prisonniers et lui a été envoyé en exil dans ce système.

— Pas tout de suite. Le commandant en chef Drakon avait encore le bras long à l’époque et il a finalement réussi à reprendre Rogero sous ses ordres après mon transfèrement dans ce camp de travail. Amiral…» Elle hésita plus longuement cette fois. « Il s’agit d’un sujet ultraconfidentiel, impliquant les services du renseignement de l’Alliance et moi-même. Je doute que quiconque en soit informé dans la flotte. Mais, en toute conscience, je ne peux pas garder le commandant de la flotte dans l’ignorance. On a laissé entendre aux Syndics que mon amour pour Rogero avait eu raison de ma fidélité à l’Alliance. Je leur ai livré des informations pendant des années, de façon intermittente, par le truchement des services du renseignement de l’Alliance, lesquels continuaient de me fournir de prétendus secrets et des données erronées que j’étais censée livrer ensuite à Rogero. »

Nouvelle surprise. « Qu’est-ce que ça rapportait à l’Alliance ? Un simple canal permettant d’écouler des secrets bidons aux Syndics ?

— Et de récupérer à l’occasion des messages de Rogero contenant aussi de soi-disant renseignements sur les activités des Syndics. » Elle secoua la tête. « J’ai longtemps soupçonné ces messages de n’être pas vraiment de lui, ou, le cas échéant, de ne pas contenir non plus de vrais secrets, tout au plus de la désinformation. Les deux camps se livraient au même petit jeu, de sorte que chacun s’imaginait y gagner alors que personne n’en profitait réellement.

— Pouvez-vous le prouver ? »

Bradamont secoua de nouveau la tête. « Non, amiral. Ma seule preuve est mon contact avec les officiers du renseignement qui me fournissaient ces informations, dans l’espace de l’Alliance.

— C’est un jeu dangereux. » Geary s’assit finalement et la scruta. « Le lieutenant Iger disposerait-il d’informations basées sur les renseignements fournis par Rogero ? Savez-vous comment le surnommaient les rapports des services du renseignement de l’Alliance ?