— Sorcier Rouge, amiral.
— Avez-vous un nom de code dans ces mêmes rapports ?
— Sorcière Blanche, amiral. »
Geary enfonça une touche. « Lieutenant Iger. Auriez-vous des renseignements concernant un dossier sur une source syndic dont le nom de code serait Sorcier Rouge ? »
Iger ne put s’interdire un froncement de sourcils intrigué, mais il se tourna légèrement pour consulter sa base de données avant de décocher à Geary un regard médusé. « Oui, amiral, mais rien ne m’indique que vous ayez jamais consulté ce programme. On aurait certes pu vous fournir des informations en provenant, mais tant cette source que son nom de code sont strictement confidentiels.
— Connaissez-vous son vrai nom ?
— Non, amiral. Il ne devrait apparaître sur aucun dossier de ces vaisseaux, afin d’interdire qu’il soit compromis au cas très improbable où ces dossiers survivraient à leur destruction ou à leur capture.
— Le capitaine Bradamont est-elle citée dans ce programme ? s’enquit Geary.
— Non, amiral ! Compte tenu de son… passé, ce serait très… inhabituel. Impossible, avec un bandeau de sécurité dans ses états de service.
— Avez-vous des informations sur une source dont le nom de code serait Sorcière Blanche ? »
Iger vérifia, l’air de nouveau dans ses petits souliers. « Je dois vous demander d’où vous tenez ces noms de code, amiral. Ils sont extrêmement confidentiels.
— Sorcière Blanche et Sorcier Rouge ont-ils un lien quelconque ?
— Oui… amiral. Encore que la véritable identité de cette source ne me soit pas accessible. Je dois réellement insister, amiral : je ne peux pas vous en dire davantage, à moins que vous ne soyez inclus dans ce programme et que vous ne signiez le formulaire de confidentialité requis.
— Très bien. Merci. » Geary mit fin à la communication et fit signe à Bradamont de s’asseoir. « Ce que vous m’avez dit se vérifie. Et maintenant, capitaine ? Si Rogero vous transmettait réellement des informations, le contacter à présent pourrait lui attirer des ennuis.
— J’en conviens, amiral. »
Mais je dois impérativement savoir ce qui se passe dans ce système. « Je vais me montrer franc avec vous, capitaine. Si Rogero était disposé à nous informer de la situation dans ce système stellaire, ces renseignements nous seraient très précieux. Son commandant en chef médite quelque chose et nous n’avons aucune idée de la position des autres responsables syndics. »
Bradamont garda un instant le silence. « Je ne tiens pas à me servir de lui, amiral, mais j’ai l’impression qu’il a comme moi la conviction que nous avons été manipulés par nos gouvernements respectifs. Si je lui envoie un message personnel, il peut décider d’y répondre. Si nous parvenons à établir le contact, peut-être trouverons-nous alors un moyen d’échanger des informations, pourvu qu’il y consente et n’y voie rien d’attentatoire à son honneur.
— À son honneur ? » répéta Geary de manière irréfléchie, avant de grincer des dents.
Mais Bradamont se contenta de sourire légèrement. « Je sais bien que le concept d’un Syndic ayant le sens de l’honneur est difficile à appréhender, amiral, mais ce n’est qu’un sous-commandant en chef, pas un dirigeant.
— Toutes mes excuses. Je me sens néanmoins contraint de vous faire remarquer que la nouvelle de votre message à Rogero risque de se répandre dans la flotte. »
Le sourire de Bradamont se fit nostalgique. « Comment pourrait-on dauber davantage sur ma personne ? »
Geary jeta un regard de biais sur la fenêtre où s’affichaient, près de lui, les états de service de Bradamont. Elle s’était distinguée. L’évaluation de Tulev scintillait et, lorsque Geary avait lu le compte rendu des batailles où le Dragon s’était illustré sous le commandement de Bradamont, il n’avait rien trouvé à lui reprocher mais, bien au contraire, de nombreuses raisons de l’admirer. « Très bien. Faites parvenir votre message à l’Indomptable. Nous le retransmettrons aux Syndics en les priant de vous répondre par notre truchement, de sorte que vos supérieurs n’en seront pas informés.
— Je n’y vois aucune objection, amiral. J’aurais aimé me débarrasser depuis belle lurette de ma facette Sorcière Blanche.
— Si vous espérez ramener Rogero chez nous à notre retour, capitaine…
— Ce ne serait pas réaliste, amiral. » La voix de Bradamont se fit un instant empreinte de nostalgie désabusée puis recouvra son impassibilité militaire. « Mais, si les messages que j’ai reçus de Rogero étaient authentiques, alors il n’aurait pas pu trouver meilleur chef que Drakon. Il est censément loyal à ses subalternes. Ça l’a conduit à sa disgrâce et à sa mutation ici.
— Savez-vous quelles sont ses relations avec Iceni ?
— Non, amiral. Je tâcherai de m’informer. »
Le docteur Setin était d’humeur querelleuse. « Dans quel délai devrions-nous enfin rencontrer l’espèce Énigma, amiral ?
— Nous nous dirigeons vers un point de saut menant à une étoile qu’elle contrôle, lui affirma Geary.
— Beaucoup de mes collègues s’inquiètent de la nature violente, jusque-là, des rapports de l’humanité avec cette espèce.
— Croyez-moi, docteur, je suis le premier à m’en inquiéter. »
Iceni était de nouveau tout sourire. « Je me soumets sans aucune hésitation à vos conditions, amiral Geary. »
Aucun marchandage. Un consentement immédiat. Geary commençait réellement à se méfier des promesses un peu trop rapides des politiciens. Mais il lui était encore donné de réfuter toute prétention allant au-delà de ce à quoi il avait consenti, et, si Iceni n’était pas sincère, ses derniers mots ne le lieraient guère. Ce serait sa parole contre celle d’un commandant en chef syndic.
« L’information que vous nous avez demandée vous sera transmise séparément, poursuivit-elle. Cette transmission impute le cadeau que nous vous faisons de ces plans à un remerciement pour les services rendus par votre flotte dans le cadre de la défense de Midway. Si vos experts ont des questions à poser sur ces plans ou sur le fonctionnement de ce dispositif, contactez-moi par le même canal.
» Quant au commandant en chef Boyens, il n’est pas ici. Dans notre système stellaire, je veux dire. Il a ramené un des vaisseaux estafettes dans le système central syndic, où, selon lui, ses connaissances et son expérience lui seront plus profitables dans le nouveau gouvernement. » Son sourire s’incurva légèrement. « Le commandant en chef Boyens est un homme ambitieux. Je regrette de ne pouvoir vous en dire davantage. Nous n’avons aucune nouvelle de lui depuis son départ. Nos communications avec le gouvernement central se sont faites très épisodiques au cours des derniers mois. »
Le sourire d’Iceni s’effaça, cédant la place à une expression d’authentique inquiétude.
« Je ne vous cacherai pas que j’appréhende le sort que risque de connaître votre flotte dans l’espace Énigma, amiral Geary. Les Mondes syndiqués y ont perdu de nombreux vaisseaux, disparus corps et biens. Mais c’était avant la découverte des vers quantiques. Ce pourrait être différent maintenant. Je ne puis vous dicter vos décisions, mais je vous prie d’au moins songer au salut de mon peuple avant de les prendre, si jamais vous parveniez à un accord avec les extraterrestres. Je vous fais parvenir, par une transmission séparée, les dernières informations dont nous disposons sur nos systèmes stellaires désormais absorbés par l’espace Énigma. Non parce que j’y suis obligée, mais parce que nous nous sommes désormais alliés dans cette affaire, si étrange que cela paraisse et que nous le voulions ou non. Si vous faites allusion à notre accord mutuel, à nos débats ou à ce que je vous ai transmis par ce biais sur un autre canal de communication, je nierai aussitôt en avoir connaissance. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »