« Oui ! » s’exclama Desjani en regardant les écrans se remettre à jour.
Un vaisseau extraterrestre en forme de tortue, dont les lignes correspondaient à celles des bâtiments qu’ils avaient naguère combattus à Midway, était posté juste au-dessus du point d’émergence. Il ouvrit aussitôt le feu sur ceux de l’Alliance : rayons de particules et projectiles solides pilonnèrent l’Acharné.
Le cuirassé et tous les bâtiments à portée de tir de l’extraterrestre ripostèrent en moins d’une seconde et le réduisirent à l’état d’épave. Avant même que Geary n’eût le temps d’ouvrir la bouche pour ordonner d’envoyer des sondes l’explorer, il se volatilisait.
Une alerte pressante attira son attention vers les informations qui apparaissaient sur un côté de son écran. L’Acharné n’avait souffert d’aucun dommage lors de ce bref engagement, mais la surcharge du réacteur du vaisseau Énigma s’était déclenchée1 alors qu’il était cerné par des bâtiments de l’Alliance. Un croiseur léger et un destroyer avaient subi de légères avaries et un second destroyer était gravement endommagé. « Allez porter assistance au Sabar, capitaine Smyth. Je veux voir ce destroyer réparé le plus vite possible.
— Le vaisseau extraterrestre était très proche du point de saut, fit remarquer Desjani. Comme s’il s’apprêtait à sauter. Et ce point de saut ne conduit qu’à Pele. »
Geary réfléchit. « Une sentinelle censément de faction mais retardée ?
— À moins qu’Énigma n’ait disposé à Pele d’un satellite espion si bien travesti en astéroïde et à la si faible signature énergétique que nous n’avons pu le déceler. Une de leurs alertes plus rapides que la lumière sera parvenue à ce vaisseau, et il allait se mettre en route pour découvrir ce que fabriquaient des humains à Pele.
— Vous avez sans doute raison. Il n’y a pas grand-chose d’autre ici, hein ? » L’affichage de son écran changeait, montrant l’état actuel du système stellaire au lieu de ce qu’y avaient laissé les Syndics. « Trois bâtiments, probablement des cargos ou des vaisseaux marchands, un autre vaisseau de guerre et ce qui subsiste sur les planètes et les lunes.
— Et ça, ajouta Desjani en pointant le portail de l’hypernet flottant dans l’espace de l’autre côté du système, à près de onze heures-lumière. Ce n’est pas un portail syndic.
— Il n’est pas équipé d’un dispositif de sauvegarde identifiable, fit remarquer une des vigies. En revanche, certaines de ses caractéristiques ne correspondent à rien de ce que nous avons construit, les Syndics et nous.
— Rien de tel que de débouler dans un nouveau système stellaire pour y découvrir une grosse bombe braquée sur soi ! lâcha Desjani.
— Ouais », convint Geary. Énigma avait préféré achever tous les blessés de ses vaisseaux endommagés à Midway plutôt que de permettre aux hommes de les explorer. Elle n’hésiterait sans doute pas à détruire Hina pour anéantir la flotte en même temps. « Restons à proximité du point de saut tant que nous examinerons ce système. »
Rione et Charban étaient montés sur la passerelle et le second secoua la tête. « Dommage que notre premier contact avec ces êtres se soit soldé par la destruction de leur vaisseau.
— Notre premier contact remonte déjà à un bon bout de temps, fit observer Geary. À leur agression de Midway. Vous allez sans doute tenter de communiquer avec eux, j’imagine ?
— S’ils consentent à nous parler », laissa tomber Rione.
Une fenêtre s’ouvrit, encadrant le docteur Setin. « Époustouflant, amiral. Avez-vous observé la principale planète de ce système ?
— Nous allions y venir, docteur.
— Les villes édifiées par les Syndics sur la seconde planète ont complètement disparu. Il n’en reste aucune trace, pas même de l’emplacement qu’elles occupaient. Énigma a dû se donner beaucoup de peine pour effacer tout signe de présence humaine. »
C’était aussi intéressant que perturbant. Peut-être ces experts allaient-ils finalement se révéler utiles.
« Avez-vous examiné les images des villes extraterrestres bâties sur la face visible de la planète ? reprit Setin. Elles sont certes très floues, mais ces villes n’ont pas l’air très importantes compte tenu des nombreuses années durant lesquelles ils ont occupé ce monde.
— Pourquoi les images sont-elles si floues ? demanda Geary aux vigies.
— Les conditions atmosphériques semblent normales, répondit l’officier responsable des senseurs. Nous nous efforçons d’obtenir des images plus nettes, mais quelque chose les floute.
— Sommes-nous certains que nos systèmes sont exempts de virus ? s’enquit Desjani.
— Oui, commandant. Ça provient apparemment de la planète elle-même. Peut-être d’une sorte d’écran placé au-dessus de ces villes, qui laisserait passer la lumière mais interdirait à tout observateur les surplombant de distinguer les détails. »
Geary transmit au docteur Setin, qui coupa la communication, l’air très excité, pour en débattre avec ses confrères. De son côté, l’amiral appela le service du renseignement. « À quoi ressemblent les communications dans ce système, lieutenant Iger ? Captez-vous une vidéotransmission que nous pourrions exploiter ?
— Aucune, amiral. » Iger semblait décontenancé. « Rien que du texte. Encrypté. »
Desjani laissa échapper un soupir d’exaspération. « Pas étonnant que les Syndics aient appelé cette espèce Énigma. Elle ferait passer les paranoïaques pour des gens équilibrés.
— Nous ne pouvons pas les juger d’après nos propres critères, se récria Charban.
— J’en suis conscient, déclara Geary. Mais le capitaine Desjani marque un point. Il ne s’agit pas de contre-mesures mises en place après notre arrivée. La lumière qui nous parvient de cette planète est vieille de cinq heures, comme d’ailleurs les messages que nous captons. C’est là pour cette espèce une conduite apparemment normale, routinière. Tâchez de savoir si quelque chose indiquerait la présence d’humains dans le système, lieutenant Iger.
— Nous n’avons rien trouvé pour le moment, amiral. »
Le docteur Setin était revenu en ligne. « Très portés sur le secret. Remarquable ! Avez-vous fait attention, pour les villes ? Ce qu’on en peut observer ? Elles se trouvent toutes sur le littoral. Autant qu’on puisse l’affirmer, elles sont bâties juste au bord de l’eau. Comment ? » Setin parut prêter l’oreille à une observation. « Oui, amiral. Elles ont même l’air d’être construites dans l’eau. Ce qu’on voit s’avancer dans la mer pourrait correspondre à des jetées, mais il semble bien que la même construction se prolonge dans l’eau depuis le terrain sec. Et ces images marines deviennent encore plus indistinctes, puis parfaitement impossibles à interpréter, ce qui confirmerait leur nature sous-marine.
— Qu’en déduisez-vous, docteur ?
— Eh bien, qu’Énigma soit une espèce amphibie me semble la réponse la plus évidente. Elle apprécie manifestement la proximité de l’eau et peut-être même en a-t-elle besoin. Nous avons appris qu’un de ses vaisseaux se trouvait près du point d’émergence, amiral. Pourrons-nous l’examiner et rencontrer son équipage ? »
Geary secoua la tête. « Je crains qu’il ne se soit autodétruit.
— Oh ! Aurait-il adopté un comportement hostile ou belliqueux ?
— Je vous demande pardon ?
— Nous a-t-il… agressés ?
— Oui, docteur. Il a ouvert le feu dès qu’il nous a vus. »
Les techniciens des systèmes tripatouillaient en vain les senseurs pour tenter d’obtenir des images plus nettes. Geary patientait, en proie à une impatience croissante. Il regardait les appareils extraterrestres réagir à l’irruption de la flotte, incapable lui-même d’éloigner ses vaisseaux du point de saut sans risquer leur anéantissement par l’effondrement du portail. « Commandant, j’ai remarqué quelque chose d’étrange dans la conduite des extraterrestres, déclara d’une voix pensive l’officier chargé des systèmes de combat au bout de quatre heures de travail infructueux.