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— Je devrais peut-être rentrer avec vous, marmonna Geary. Reporter cette réunion et…

— Le gouvernement en déduirait alors que vous êtes derrière ces soudaines réactions hostiles de la flotte ! Rien ne garantit qu’elle acceptera aussitôt vos messages et les regardera comme légitimes, consentis de votre plein gré et non altérés. »

Geary ne put que se tourner vers la seule personne qui ne lui avait jamais fait faux bond. « Tanya ? »

Desjani leva les deux mains. « D’accord. Je m’en charge, amiral. Je ne suis pas Black Jack Geary mais je ferai de mon mieux. » Encore un de ces leitmotivs, courants dans la flotte, qui faisaient tiquer Geary chaque fois qu’il les entendait ; mais, en l’occurrence, celui-là n’était que trop vrai. Elle recula d’un pas et salua.

Il lui rendit son salut, non sans songer à tout ce qui pouvait marcher de travers, à toutes les unités et vaisseaux de l’Alliance dans ce système stellaire qui risquaient brusquement d’entrer en éruption et de déclencher une guerre fratricide, et à tous ces gens qui trouveraient vraisemblablement la mort si cela se produisait. La vie de l’Alliance elle-même était en jeu, car elle pouvait fort bien partir en quenouille, sans doute en faisant moins de remous que les Mondes syndiqués, mais avec la même vitesse acquise apparemment imparable. « Bonne chance, Tanya.

— Ne vous bilez pas pour moi. Je suis un mauvais fer et un commandant coriace. À vous d’empêcher les politiciens et le QG de mettre l’univers à feu et à sang. Si quelqu’un en est capable, c’est vous.

— Merci. Vous ne me mettez pas la pression.

— À votre service. Et ne faites pas durer la réunion trop longtemps, ou il ne restera bientôt plus grand-chose de ce système stellaire. »

Deux

On oublie aisément à quel point on dépend de la capacité à obtenir promptement des informations. Du moins jusqu’à ce qu’on pénètre dans un périmètre de sécurité qui brouille tous les signaux afin d’interdire la fuite de tout renseignement et de couper la connexion avec les bases de données internes et les écrans de contrôle. Maintenant que la flotte était très certainement en émoi, Geary n’avait aucune idée de ce qui se passait ni du succès que remportait Tanya en s’efforçant de contrôler la situation. Certes, il ne doutait pas de ses talents, mais toute personne de bon sens sait qu’il existe toujours des facteurs que nul ne peut maîtriser.

Il aspirait à participer à cette réunion et à reprendre la main sans délai, mais cette foutue station était trop grande, ses coursives trop longues et ses postes de contrôle trop lents à franchir. À chaque pas, il redoutait d’entendre les vibrations d’explosions transmises à travers les parois, une bataille venant ouvertement de se déclarer ; les martèlements de missiles faisant mouche, les tremblements consécutifs aux lacérations du métal et de tout ce que les particules des lances de l’enfer rencontraient sur leur passage, la grêle brutale de mitraille pilonnant la coque sur un tempo de staccato. Ces sensations seraient-elles les mêmes dans quelque chose d’aussi massif que cette station spatiale ? Jusqu’où les lances de l’enfer pourraient-elles perforer sa coque en tirant à bout portant ?

Bizarrement, se poser toutes ces questions en s’efforçant d’en trouver les réponses dans sa propre expérience faisait office d’apaisante diversion : tenter d’anticiper les effets destructeurs du combat était une occupation familière presque rassurante, alors que la perspective d’affronter des politiciens dont les projets restaient inconnus lui semblait tout à la fois perturbante et étrangère. J’aimerais mieux me faire canarder que de traiter avec des politiques. Et, le plus curieux, c’est que chaque spatial de la flotte le comprendrait et tomberait d’accord avec moi.

Les soldats qu’il croisait à chaque poste de contrôle appartenaient à diverses unités et organisations. Il n’avait eu que peu de rapports avec les forces terrestres depuis son réveil d’hibernation, et tous ces contacts relativement limités s’étaient produits au cours des deux dernières semaines. Il étudiait maintenant ces hommes et ces femmes en s’efforçant d’évaluer leurs capacités, les sentiments qu’ils éprouvaient et leur efficacité. La flotte et jusqu’aux fusiliers spatiaux notoirement attachés aux traditions avaient été changés par cette guerre longue et sanglante. Jusqu’à quel point les forces terrestres avaient-elles connu la même régression que la flotte, régression qui la poussait à charger l’ennemi bille en tête sans aucune considération pour le rapport de forces, la tactique et les manœuvres ? Étaient-elles aussi tombées dans ces travers qu’étaient l’adhésion à un code rigide de l’honneur et à la mise en exergue du courage aveugle, chargées de se substituer aux talents de ses chefs, chefs qui survivaient rarement assez longtemps pour devenir des vétérans chevronnés ?

Tous ces soldats, craignant sans doute d’être surveillés par plus d’un supérieur, se comportaient en sa présence avec une raideur toute professionnelle ; mais la plupart ne le regardaient pas moins d’un œil qui trahissait leurs sentiments, guère différents de ceux de la foule des civils, encore que plus disciplinés et mieux dissimulés.

Geary franchissait les postes de contrôle l’un après l’autre. Autant qu’il pouvait s’en rendre compte, tout demeurait paisible. Cela dit, ainsi enfoui dans les replis de la station, il ne distinguait pas grand-chose. Les coursives désertes entre deux postes de contrôle lui faisaient tout drôle, un peu comme s’il se trouvait à bord d’une épave à la dérive dans un système stellaire démuni, oublié par l’hypernet et désormais abandonné par ses rares colons humains. Après avoir passé tant de semaines à tenter d’esquiver les foules, il se surprenait à aspirer à la vue d’au moins quelques silhouettes humaines.

Finalement, six postes de contrôle après le premier, on le conduisit vers une salle de conférence qui ne se distinguait des autres que par les symboles inscrits près de sa porte ouverte, lesquels affirmaient qu’il s’agissait d’un compartiment hautement sécurisé, hermétiquement scellé, garanti aussi imperméable que possible à toute surveillance extérieure. « Jusqu’à quel point ? » s’enquit-il auprès des commandos des forces spéciales de l’Alliance qui constituaient l’ultime couche de sécurité, en se demandant si la technologie avait beaucoup progressé mais en gardant aussi le souvenir des nombreuses occasions où Victoria Rione lui avait apporté la preuve de sa capacité à percer toutes les barrières de sécurité avec le matériel et les logiciels adéquats.

L’officier responsable parut momentanément sidéré que Geary s’adressât à lui personnellement, puis il reprit ses esprits. « Totalement, amiral Geary. Selon les spécifications de ces systèmes, les systèmes environnementaux eux-mêmes sont autonomes. Une fois l’écoutille scellée, on est aussi parfaitement isolé de l’univers extérieur que le permet l’ingénierie humaine. Rien n’entre ni ne sort. Il existe même des brouilleurs quantiques installés récemment, bien que nul ne puisse encore espionner à ce niveau. »

Nul humain, en tout cas. Les politiques, du moins jusque-là, avaient tenu sous le boisseau l’aptitude des extraterrestres à infiltrer des vers quantiques dans les systèmes opérationnels humains. « Impressionnant, déclara Geary. Comment cette chambre gère-t-elle la chaleur corporelle et celle des instruments piégées à l’intérieur si elle est si hermétiquement scellée ? »

Le commandant se tourna vers un lieutenant qui, à son tour, fit appel à un sergent ; ce dernier répondit sur le ton cassant d’un sous-off de carrière apprenant à ses supérieurs ce qu’ils auraient déjà dû savoir : « On n’a aucun moyen d’évacuer la chaleur piégée, amiral. Elle s’accumule et peut créer de sérieux problèmes au bout d’une demi-heure si trois des occupants se servent de gadgets électroniques personnels.