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— Ça posera un problème, amiral ? demanda le commandant.

— Aucun, répondit Geary. Je dois faire vite en ce moment et, en général, l’idée qu’une salle de conférence devient inhabitable au bout d’une demi-heure me séduit. »

Le commandant hésita, comme incertain de ce qu’il était autorisé à répondre, puis sourit. « J’aurais plus d’une fois souhaité en disposer d’une moi-même, amiral. »

Les commandos se mirent en faction dès que Geary frappa à l’écoutille, l’ouvrit et pénétra dans la salle.

Ses yeux se posèrent d’abord sur le visage familier du sénateur Navarro qui se levait de sa chaise pour l’accueillir. Un autre politicien du Grand Conseil se tenait à côté de lui, l’énigmatique sénateur Sakaï, qui avait accompagné la flotte durant la campagne finale de la guerre. Mais il ne l’avait fait qu’en tant que représentant de la faction du Grand Conseil qui se fiait le moins à Geary. Jusqu’à quel point cette expérience l’avait-elle convaincu que Geary ne représentait pas une menace pour l’Alliance ? La sénatrice Suva, femme mince dont Geary se rappelait aussi qu’elle appartenait au Conseil et qu’elle ne faisait guère plus confiance aux militaires que les militaires ne se fiaient aux politiciens, était assise à l’autre bout de la salle.

Trois sénateurs. Aucun militaire à ses côtés. La salle de réunion était encore plus petite que celle de l’Indomptable, mais, compte tenu de ses exigences de sécurité, ses équipements ne devaient offrir aucune possibilité de conférence virtuelle permettant à d’autres personnes d’y assister. Sur un côté, un écran montrait le système stellaire et toutes les unités militaires qu’il abritait ; mais il était fixe et ne recevait manifestement aucune donnée chargée de le remettre constamment à jour. Geary salua en s’efforçant de ne pas exploser d’impatience. « Sénateur Navarro, je…»

Navarro le coupa sans s’émouvoir, en souriant poliment. « Bienvenue, amiral. Il y a…

— Sénateur, l’interrompit Geary. La situation est critique. » Il vit aussitôt la méfiance s’allumer dans les yeux de Navarro, qui s’était tendu. Il aurait presque pu lire dans ses pensées. Ça y est. Il prend les commandes. « Je ne voudrais pas me montrer brutal, sénateur, mais elle est même extrêmement critique, et je demande donc qu’on en débatte avant d’aborder tout autre sujet.

— Qu’est-ce qui est si critique, amiral ? s’enquit Sakaï, dont ni la voix ni le visage ne trahissait les émotions.

— La flotte a reçu un message alors que je me rendais à cette réunion. Il indiquait qu’une centaine de mes commandants allaient passer en cour martiale. Ils sont censément relevés de leur commandement jusqu’à ce qu’elle ait statué. »

Les trois sénateurs n’eurent pas l’air moins sonnés que Timbal, sans cependant qu’on pût dire si l’un d’entre eux simulait. Navarro secoua la tête de stupéfaction mais il s’exprima avec circonspection. « Quelles sont les accusations ? De quoi sont-ils inculpés ? »

Suva prit la parole, manifestement suspicieuse. « Sont-ils jugés pour des actes ou des plans ne relevant pas de l’autorité légitime ?

— Non, madame la sénatrice, répondit Geary. Ils ne sont pas accusés d’avoir agi contre le gouvernement mais d’avoir permis aux réserves de carburant de leur vaisseau d’atteindre un seuil trop bas, poursuivit Geary en faisant preuve, selon lui, d’une remarquable retenue.

— De trop faibles réserves de carburant, hein ? demanda Navarro au terme d’un long moment de réflexion, comme s’il se demandait si Geary n’était pas en train de lui servir une galéjade. Vous êtes sérieux ? Je me souviens d’avoir entendu dire que la flotte en manquait cruellement à son arrivée à Varandal. Certains vaisseaux sont même tombés en panne sèche pendant les combats, me semble-t-il.

— En effet, sénateur. Le long transit à partir du système stellaire central syndic, ainsi que les batailles que nous avons dû livrer en chemin, nous avaient mis à sec.

— Bien sûr. » Mais Navarro ne donnait pas l’impression de comprendre. « Cela dit, vous avez gagné la bataille. Ramené ici tous ces vaisseaux. Où est le crime ?

— Permettre aux réserves de cellules énergétiques de trop s’épuiser est une violation des consignes, déclara Geary. Un vaisseau dont les réserves sont trop basses pourrait se retrouver dans l’incapacité de combattre correctement ou de réagir aux ordres pour continuer l’engagement. On exige des commandants qu’ils les maintiennent à un certain niveau. Plus il est bas et plus grave est l’infraction.

— Mais… si vous avez fait tout ce chemin et livré toutes ces batailles… en remportant chaque fois la victoire… et si vous êtes arrivés ici à temps pour vaincre les forces des Mondes syndiqués qui agressaient Varandal…

— Sénateur, ces accusations ne concernent qu’une infraction purement technique au règlement, sans considération pour les circonstances effectives des opérations. »

Le sénateur Sakaï hocha la tête, les yeux voilés. « Mais vous dites bien que c’est une violation du règlement, non ?

— Oui, sénateur. »

Navarro fixait le dessus de la table, les sourcils froncés. « Ça peut sembler grotesque, mais ça signifie que les militaires parviendront aux mêmes conclusions après que la cour martiale aura statué. C’est malencontreux, mais nous ne pouvons pas intervenir. »

Geary s’était plus ou moins attendu à ce que des civils comprissent, à ce qu’ils se rendissent compte de la ridicule légèreté de ces accusations et des graves conséquences qu’elles risquaient d’entraîner. Il s’accorda une pause pour réorganiser ses pensées puis pesa ses mots : « Sénateur, chacun de ces officiers s’est conduit vaillamment et loyalement pour défendre l’Alliance. Ils sont à présent relevés de leur commandement et déférés à la cour martiale pour avoir techniquement enfreint un règlement auquel ils étaient incapables de se conformer. C’est là un affront immérité à leur honneur. »

La sénatrice Suva prit la parole d’une voix aussi modérée que celle de Geary. « Qui porte ces accusations, amiral ?

— Le QG de la flotte, sénatrice.

— Alors ce sont leurs supérieurs qui les ont lancées. Si vous dites vrai, ils se sentent indubitablement contraints de les porter en raison de leurs propres responsabilités. Ils savent combien il est important de se plier au règlement, aux règles et aux lois. »

Le sous-entendu était transparent : c’était un direct assené à Geary, mettant en cause sa compréhension de l’affaire. « Un bon chef doit aussi comprendre qu’en prenant la loi, le règlement ou les règles au pied de la lettre on risque d’aboutir à des injustices et des inconvenances. S’il suffisait de se plier strictement aux règles écrites, un système automatisé pourrait nous gouverner. » Sakaï fixa intensément Geary. « Critiqueriez-vous le jugement de vos supérieurs ? »

Geary soutint longuement son regard. C’était une question lourde de sens, de celles qui ne vous laissent d’autre alternative qu’une carrière brisée ou un repli hâtif. Mais que peuvent-ils bien me faire, bon sang, si je réponds franchement ? Au pire m’envoyer travailler sur un vaisseau loin de chez moi, me nourrir de cochonneries et me faire mariner vingt heures par jour si je ne me fais pas tuer avant par des gens qui veulent ma peau. « Oui, sénateur. J’affirme que ceux qui ont porté ces accusations souffrent d’un sérieux manque de jugeote. »