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Geary appela ses officiers supérieurs pour leur demander ce qu’ils pensaient de cette absence d’un portail. Aucun n’avait d’explication satisfaisante.

Rione et Charban non plus.

Ni l’amiral Lagemann ni ses camarades ne furent en mesure de lui fournir des suggestions intéressantes, sauf pour lui répéter que les extraterrestres se plaisaient à tendre des souricières, ce qui n’eut guère le don de l’apaiser.

En désespoir de cause, il finit par appeler les experts civils.

« Sans doute la réponse nous échappe-t-elle parce que nous tendons à considérer le problème d’un point de vue humain, déclara le docteur Schwartz.

— Que voulez-vous dire ?

— Nous partons de présupposés. Revenez sur ce que vous tenez pour acquis. À quoi servent les portails ?

— À des transports interstellaires ultrarapides. » C’était ce qu’on lui avait appris à son réveil, et c’était aussi l’usage qu’en faisait l’espèce humaine.

« À quelles autres activités pourrait-on les destiner ? Songez à d’autres applications potentielles qu’Énigma pourrait regarder comme primordiales.

— Je ne vois rien de plus. Entre autres aptitudes, nous savons qu’en s’effondrant ils peuvent…» Il se tourna vers Desjani. « Ce sont des armes. Les portails sont des armes. Des machines infernales destinées à défendre chaque système.

— Des moyens de défense ? s’étonna Desjani, interloquée. Comme un champ de mines, voulez-vous dire ?

— Le plus gros champ de mines imaginable. » Geary afficha une carte des étoiles. « Ce sont les Énigmas qui ont découvert la conception de l’hypernet. Ils savaient combien ces portails pouvaient être dangereux avant même de les construire. Ils n’en installent jamais dans leurs systèmes les plus précieux. Seulement à leurs frontières. »

Charban secoua la tête. « Dans le but délibéré de s’en servir comme d’armes défensives, voulez-vous dire ? Une Grande Muraille de portails ? Ce serait une sorte de politique de la terre brûlée portée au pinacle, au-delà même de toute compréhension.

— Ils ont suffisamment donné la preuve qu’ils étaient disposés à détruire leurs vaisseaux endommagés avec leur équipage, fit remarquer Rione. En témoignant, du moins à nos yeux, d’une cruauté sans borne. Mais, pour eux, c’est sans doute une tactique défensive concevable.

— Nous sommes passés à côté, déclara Geary. Peut-être parce que nous n’avons jamais eu l’intention d’agresser ces systèmes. Nous comptions seulement les traverser. Ça les a peut-être surpris. »

Le docteur Schwartz était toujours à l’écoute. « Il se pourrait aussi qu’ils hésitent à recourir à une arme pareille. Si différents qu’ils soient de nous, l’instinct de conservation doit jouer un rôle dans leurs réflexions, même s’il s’agit de préserver l’espèce plutôt que les individus. Il y a eu des circonstances dans l’histoire de l’humanité où des armes ont été mises au point et construites mais jamais utilisées parce que leur pouvoir de destruction effrayait jusqu’à leurs concepteurs. Les portails sont peut-être destinés à dissuader les agressions, dans la mesure où leur présence dans un système stellaire interdirait toute attaque. L’objectif est peut-être de ne jamais s’en servir.

— Ils ne joueraient un rôle dissuasif que si les agresseurs étaient persuadés qu’Énigma consentirait à s’en servir pour détruire ses propres systèmes stellaires en même temps que les assaillants, insista Charban.

— J’en suis moi-même persuadée », lâcha Desjani.

Geary ne quittait pas la carte des yeux. Peut-être qu’un piège se cachait là. La décision de quitter la zone du point de saut pour s’enfoncer plus avant dans le système n’incombait qu’à lui. Les incertitudes pesant encore sur la technologie des Énigmas et ses capacités, leur inclination à frapper par surprise lui compliquaient sérieusement la tâche.

Cela dit, afin d’en apprendre plus long sur cette espèce, il lui faudrait bien dépêcher des vaisseaux plus près de certaines planètes.

Scinder la flotte ? Envoyer une formation solide, capable d’expédier une douzaine de vaisseaux Énigma et tout ce qui risquerait de se présenter pendant que la flotte resterait près du point de saut ? « Combien en faudrait-il ? » s’interrogea-t-il à haute voix.

Desjani fronça les sourcils puis comprit de quoi il parlait. « Tout dépendrait de la menace à affronter.

— Et nous ignorons ce qu’elle est, c’est bien pourquoi j’envisage de scinder la flotte. Diviser mes propres forces. Est-ce bien la réponse adéquate devant un danger inconnu ?

— Pas formulée de cette façon. » Elle désigna son propre écran d’un geste. « S’il y avait un portail ici, envoyer un vaisseau à l’intérieur du système serait signer l’anéantissement de la flotte. Mais il n’y en a pas. »

Sans doute pouvait-il passer un bon moment ainsi, à se demander ce qu’il devait faire tout en espérant obtenir de nouvelles informations. Mais les Énigmas traquaient la flotte et ils disposaient de communications PRL. Plus il attendrait, plus d’autres vaisseaux extraterrestres risqueraient d’apparaître. « La flotte entière ira. Mon instinct me dit que, si une menace se présentait au cours des prochains jours, la diviser serait très dangereux, tandis qu’ensemble nous affronterions n’importe quelle situation. »

Desjani sourit. « Où ça, amiral ? La plus proche planète habitée ?

— Non. » Il surligna une installation de bonne taille sur la grosse lune d’une géante gazeuse orbitant à deux heures-lumière de l’étoile. « Là. Mettons le cap là-dessus. Isolée et relativement peu importante, elle ne disposera pas des mêmes défenses qu’une planète. Si les méthodes de contre-espionnage des Énigmas parviennent malgré tout à brouiller nos sondages, nous dépêcherons des drones.

— Ils pourraient détruire aussi ces sondes.

— Alors nous pilonnerons leurs défenses avant d’envoyer les fusiliers enfoncer les portes et recueillir des informations à la dure. »

Desjani approuva évidemment, et, quand Geary se retourna vers les autres observateurs, il constata que Rione était aussi impassible que d’ordinaire, tandis que Charban avait l’air de se résigner à l’emploi de la force.

Il ordonna à la flotte d’adopter une trajectoire lui permettant d’intercepter la géante gazeuse sur son orbite autour de l’étoile baptisée Limbes, mais en maintenant sa vélocité à 0,1 c.

La lune qu’ils visaient se trouvait à six heures-lumière, de sorte que la durée du transit serait d’environ deux jours et demi. Rien ne se produisit le premier jour, sinon que les vaisseaux de guerre extraterrestres s’empressèrent de prendre position à une heure-lumière de la flotte puis de conserver cette distance ; trop peu nombreux pour la menacer, ils représentaient néanmoins une source constante d’exaspération. Mais, lorsque la flotte ne fut plus qu’à une journée et demie de l’installation, ils réagirent enfin de manière directe.

« Un vaisseau vient de quitter l’installation, rapporta la vigie des manœuvres. Pas un de leurs vaisseaux de guerre, mais un de ces gros bâtiments que nous tenons pour des cargos.

— Ils l’évacuent », laissa tomber Desjani.

Geary consulta les données. « Il accélère légèrement. Leurs cargos ont l’air de répondre aux mêmes impératifs économiques que les nôtres.

— Ouais. On ne peut guère prétendre à de gros bénéfices quand on investit de trop fortes sommes dans les cellules d’énergie et la propulsion. » Les doigts de Desjani dansèrent sur ses touches. « Lieutenant Casqué, procédez à une simulation d’interception de ce cargo pour vérifier mes calculs. »