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— Combien de secondes-lumière pour les Syndics ? s’enquit Tulev.

— Une. » Nul ne demanda à Bradamont d’où elle tenait cette information.

« La même distance que nous observons pour nos zones d’exclusion standard dans l’espace. »

Duellos plissa pensivement le front. « Les Énigmas se servent certainement d’autres moyens de mesure, mais, comme l’a dit le capitaine Bradamont, nos paramètres sont basés sur des considérations pratiques. Si nous nous maintenions à une distance d’une seconde/lumière de l’astéroïde, en faisant mine de ne pas nous y intéresser, il n’y aurait sans doute pas de danger.

— Mettons quatre cent mille kilomètres, soit bien plus qu’une seconde-lumière, suggéra Tulev. Mais trop loin malgré tout. Cela nous laissera amplement le temps de réagir à leurs défenses ou à leurs mécanismes d’autodestruction quand nous nous tournerons vers l’astéroïde. Nous devrons ensuite l’atteindre, adopter sa vélocité et son orbite, neutraliser l’équipement extraterrestre de surface, y pénétrer et l’évacuer de ses prisonniers humains. Tout cela dans quel délai ? En une demi-heure, à partir de la position la plus proche que nous oserons adopter ?

— Plus d’une heure, vraisemblablement, rectifia Desjani. Même si nous ne recourons qu’aux seuls croiseurs de combat. »

Bradamont reprit la parole, plus hardiment cette fois. « Les auxiliaires pourraient fabriquer de petits modules de débarquement furtifs aux effectifs réduits. Si nous pouvions…» Elle s’interrompit en voyant le capitaine Smyth secouer la tête.

« Je vous demande pardon, capitaine. Compte tenu du temps et des moyens dont nous disposons, je ne peux pas vous promettre que nous serions en mesure de construire des appareils assez spacieux pour abriter plusieurs personnes et en même temps assez furtifs pour échapper avec certitude à toute détection.

— À qui confieriez-vous cette mission ? » s’enquit Badaya. Sa question d’apparence rhétorique s’adressait manifestement à Bradamont.

Celle-ci rougit, mais sa voix resta assurée. « Je me porte volontaire.

— À moins d’une chance raisonnable de succès, mission il n’y aura pas, déclara Geary, rompant le silence qui avait suivi la déclaration de Bradamont. Il serait parfaitement absurde de conduire à leur perte nos volontaires et les humains retenus dans cet astéroïde en tentant un sauvetage qui n’aurait qu’une chance infime de réussir.

— Nous ne pouvons pas les abandonner, s’insurgea Bradamont.

— Tout à fait d’accord, déclara Badaya. Mais…

— Pardonnez-moi. » Le général Carabali s’entretenait jusque-là avec quelqu’un hors du logiciel de conférence, et sa voix portait à présent aisément, dominant celle des autres participants. « Les fusiliers peuvent s’en charger. »

Badaya arqua les sourcils. « Quatre cent mille kilomètres, c’est une assez longue trotte, général. Je ne crois pas que les fusiliers en seraient capables, même si vous leur annonciez qu’une bière les attend sur l’astéroïde.

— Bien sûr que si, pourvu qu’elle soit gratuite. Mais nous n’avons nullement besoin de leur fournir une pareille motivation. » Un diagramme s’afficha devant Carabali. « En raison de la nature même de cette expédition, dont l’objectif est de nous renseigner sur Énigma, notre matériel de dotation comprend une quantité plus importante qu’à l’ordinaire de cuirasses à furtivité maximale. Suffisamment pour en équiper trente de mes éclaireurs. J’ai demandé à mes subordonnés de procéder à des calculs, et nous pouvons le faire. Si la flotte larguait ces éclaireurs vers l’astéroïde alors qu’elle passe à quatre cent mille kilomètres de lui, la probabilité pour qu’ils échappent à la détection lors du largage et durant le transit serait très élevée. Une fois au sol, ils pourront planter des brouilleurs et des écrans, ainsi que des charges capables de neutraliser tout l’équipement extraterrestre visible. En aveuglant leurs détecteurs et en brouillant leurs transmissions, nous devrions pouvoir donner à la flotte le temps d’atteindre l’astéroïde, d’envoyer des navettes au sol, d’exfiltrer ces gens et de récupérer aussi nos éclaireurs. »

Tulev se pencha. « À quelle vélocité voyageront-ils, ces éclaireurs ?

— Assez lentement pour qu’on ne les distingue pas trop nettement sur fond d’espace et pour que les systèmes de leur combinaison puissent procéder à un atterrissage en douceur, qui ne les tuera pas et leur évitera aussi de se faire repérer. » Carabali pointa le diagramme. « Leur vitesse moyenne devrait être de quatre mille kilomètres à l’heure, mais nous préférerions être largués à une vélocité bien supérieure, pour freiner ensuite graduellement durant la dernière tranche. »

Le capitaine Neeson lui jeta un regard stupéfait. « Vous pourriez décélérer depuis quatre mille kilomètres-heure jusqu’à un atterrissage sans risque et conserver malgré tout votre furtivité ?

— Exactement, répondit Carabali. Mes éclaireurs me l’assurent, et c’est leur vie qu’ils mettent en jeu.

— Une vitesse moyenne de quatre mille kilomètres-heure exigerait malgré tout un voyage de quatre jours, objecta Geary. Les combinaisons de vos éclaireurs peuvent-elles maintenir si longtemps un individu en vie, sans même parler du temps qu’ils consacreront à poser ces brouilleurs et ces charges à la surface de l’astéroïde ? »

Carabali hocha la tête. « Nous dépendrons de paquetages de survie de longue durée, et nous pourrons ralentir le métabolisme des éclaireurs durant le voyage à l’aide de médicaments. Ce qui devrait réduire à la fois les besoins de leurs fonctions vitales et la quantité de chaleur et d’énergie dégagée, que précisément leur cuirasse furtive doit dissimuler.

— Les brouilleurs opéreront-ils contre tout le matériel dont dispose Énigma ? s’interrogea Badaya. Nous ne connaissons même pas le fonctionnement de leurs communications PRL.

— Ils ont été améliorés en fonction de quelques principes glanés chez les Syndics et leur dispositif chargé de prévenir l’effondrement des portails, expliqua Carabali. Tout comme notre système de sécurité élimine les virus extraterrestres basés sur les probabilités quantiques sans même connaître leur mode opératoire. Nous avons la quasi-certitude que nos brouilleurs peuvent couper les transmissions des Énigmas. »

Nouveau long silence. Tous étudiaient le diagramme de Carabali. Puis Duellos le rompit en montrant une partie de la représentation du système stellaire de Tartare. « Il y a une installation d’Énigma sur la seconde des plus grosses lunes qui gravitent autour de cette planète. Si nous piquions sur elle au bon moment, nous donnerions l’impression de viser un objectif différent, de réitérer notre tentative de Limbes pour espionner une installation lunaire ; mais nous pourrions faire passer une partie de la flotte à quatre cent mille kilomètres de l’astéroïde tout en faisant mine de cingler vers cette lune.

— C’est jouable », affirma Badaya. Un concert d’une centaine de voix renchérit positivement.

« À condition de recourir aux croiseurs de combat, ajouta Desjani en lançant à Geary un regard dur. À tous. Il nous faudra bouger aussi vite que possible. »

Geary fixa encore longuement l’écran en songeant aux vies qui dépendaient de sa décision. Il ne tenait pas à la prendre. Mais Carabali avait amplement donné la preuve de sa compétence, les officiers de la flotte avaient l’impression de pouvoir jouer leur rôle et il fallait porter secours, autant que possible, à ces prisonniers. De manière ironique, c’était le dispositif syndic qu’il avait marchandé avec Iceni et les leçons qu’ils en avaient tirées qui rendaient l’opération praticable. « Très bien. On va le faire. »