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— On m’en rebat les oreilles.

— Mais, selon moi, la plupart d’entre nous se satisferont de ce changement, poursuivit Lagemann. Certes, il y aura de nombreux insatisfaits, qui chercheront à critiquer l’état de fait et les méthodes du gouvernement. Je dois l’avouer, je ne comprends pas pourquoi il a fait de notre libération une priorité. Nous allons créer tout un tas de problèmes à notre retour, mais, en nous embarquant dans cette expédition, vous aurez au moins retardé l’échéance de plusieurs mois. »

Une idée frappa brusquement Geary, une fulgurance dont il espérait que son visage ne la trahissait pas. Pourquoi avons-nous dû les recueillir avant d’entrer dans le territoire extraterrestre ? Pourquoi le gouvernement tient-il tant à ce qu’ils participent à une mission comportant des risques inconnus et la perte éventuelle de quelques vaisseaux ? Si ça tournait mal, si notre retour était retardé, si nous perdions des bâtiments, si un désastre survenait, je ne serais pas le seul héros vivant encombrant dont on n’aurait plus à se soucier.

Navarro n’aurait jamais manigancé cela. Sakaï non plus, selon moi. Qui pouvait bien nourrir cet espoir, en ce cas ? Sûrement un dirigeant ou quelqu’un du QG de la flotte, qui ne tenait pas plus que le gouvernement à s’encombrer d’un tas de galonnés ressuscités.

Rione savait qu’on l’escomptait. C’est bien pourquoi elle a fait cette tête quand elle a compris que son époux allait se retrouver piégé. Mais, autant que je sache, elle n’a rien fait pour hâter cet événement. Elle ne nous aide pas beaucoup, mais elle ne nous met pas non plus de bâtons dans les roues.

Les pièces du puzzle commençaient à s’assembler pour dessiner au moins un tableau partiel, et Geary n’aimait pas du tout ce qu’il voyait.

Le saut suivant exigeait qu’on poussât un peu plus à fond les propulsions afin d’en tirer une portée supplémentaire. Les deux flottilles de vaisseaux Énigma se trouvaient encore à une heure-lumière l’une de l’autre quand la flotte sauta.

« Pouvons-nous parler, amiral ? demanda le général Charban avant de prendre place dans le siège que lui offrait Geary et de balayer la cabine d’un regard nostalgique. Spartiate, mais on s’y sent chez soi, hein ? poursuivit-il. Bizarre comme on peut s’attacher à une cabine ou au complexe d’un QG même quand ils sont purement fonctionnels ! Les humains arrivent à s’acclimater partout. J’ai une idée, amiral Geary, ajouta-t-il en sautant du coq à l’âne. Peut-être le moyen de trouver enfin un accord avec l’espèce Énigma sur la base d’intérêts mutuels.

— J’ai hâte d’entendre ça.

— J’ai réfléchi à un certain nombre de choses, dont les propos qu’a tenus le docteur Schwartz lors de la dernière conférence stratégique de la flotte, concernant cette incompatibilité entre ce que les Énigmas déclaraient à Midway et ce qu’ils ont fait depuis. Peut-être avons-nous commis une grossière erreur en présumant que leurs déclarations d’alors traduisaient fidèlement leurs motivations réelles. »

Geary le regarda, le menton en appui sur une main. « Pourquoi nous auraient-ils menti sur leurs désirs et leurs motivations ? »

Charban sourit finement. « Quand vous vous adressez aux spatiaux de la flotte, leur parlez-vous de rapport coût/bénéfice, de la nécessité d’augmenter les profits des actionnaires ou de réduire les frais du gouvernement ? Ou bien de problèmes qui les concernent réellement ? »

Il en vint au fait. « Croyez-vous vraiment qu’à Midway les Énigmas nous livraient une explication de leurs actes dont ils croyaient que nous allions la comprendre et l’accepter ?

» Non. Un observateur extérieur se serait concentré sur nos luttes pour le contrôle de systèmes stellaires. La maîtrise du territoire. Et la propriété reste très importante aux yeux des humains, même si elle n’occupe pas une place prépondérante dans leur esprit. Selon moi, ce qu’ont fait les Énigmas à Midway, comme d’ailleurs depuis, c’est nous donner des justifications dont ils pensaient que nous les trouverions plausibles. Au lieu de nous faire part de leurs vraies raisons, ils nous ont donné celles dont ils escomptaient que nous nous y attendions. »

Charban se pencha. « Songez à leur goût du secret, à leur tendance à ne rien révéler de ce qu’ils sont, poursuivit-il, plus véhément. Pourquoi nous auraient-ils confié leurs vraies raisons à Midway ? Pourquoi nous auraient-ils avoué leurs véritables intentions ?

— Bonne question.

— C’est en réfléchissant aux humains détenus par les extraterrestres que cette idée m’est venue, reprit Charban. De notre point de vue, il n’était guère surprenant qu’ils cherchent à en apprendre plus long sur nous. Mais était-ce réellement leur mobile ? Tenaient-ils à s’informer sur les réactions des hommes par pure curiosité ou parce qu’ils voyaient en nous une menace ? »

Geary opina du bonnet. « Pour nous, ces deux motifs seraient également logiques, avança-t-il. Même si d’autres espèces intelligentes ne représentaient pas une menace, nous chercherions à en apprendre davantage sur elles.

— Parce que nous sommes curieux ! » Charban se pencha plus avant. « Voilà quelque temps, on a débattu de l’obsession sexuelle des hommes, et c’est effectivement chez nous une facette importante. Et, bien sûr, nous livrons des guerres autant pour revendiquer des territoires que pour d’autres causes. Mais un autre trait nous caractérise, peut-être plus essentiel encore. Nous sommes curieux. Nous voulons savoir. Qu’abrite la prochaine étoile ? Comment fonctionne ce truc ? Pourquoi l’univers se comporte-t-il ainsi ? Quoi que nous apprenions, nous voulons toujours en savoir davantage. Nous abordons toute chose dans le seul but d’en apprendre plus sur elle. Bon, quel serait selon vous le trait prépondérant de l’espèce Énigma, autant que nous puissions en juger ?

— Une hantise du secret, du privé. » Geary prit brusquement une profonde inspiration. « Nous voulons en savoir davantage, alors qu’ils aspirent à ce qu’on ne sache rien d’eux. Matière et antimatière. Pour eux, notre voisinage c’est l’enfer. Est-ce pour cela qu’ils nous ont agressés ?

— Peut-être bien. J’ai encore parcouru les archives que nous ont fournies les Syndics, poursuivit Charban. Autant que je puisse le dire, ils n’ont jamais abordé l’espèce Énigma en lui donnant à croire qu’ils la “laisseraient tranquille”. Ils se sont conduits de la manière la plus normale qui soit pour des humains. Ils ont envoyé des expéditions d’exploration dans leur territoire, sans se douter, cela dit, que ce secteur de l’espace leur appartenait. Et ils y ont implanté des bases et des colonies, en s’y enfonçant de plus en plus profondément. Quand ils les ont enfin découverts, ils ont cherché à se renseigner sur eux, à dialoguer et, sans doute, à tester leurs défenses. Et nous aurions probablement fait pareil. Nous n’arrêtons pas de leur dire que nous voulons leur parler, faire connaissance, et c’est précisément ce qu’ils redoutent et détestent chez nous. Voyez un peu ce que nous-mêmes avons fait. Une mission d’exploration chargée de s’informer sur eux. Désir bien naturel de notre part, mais qu’Énigma doit regarder comme la plus grave des agressions.

— Faut-il leur promettre de les laisser tranquilles ? s’enquit Geary. Les ignorer totalement, ne jamais empiéter sur leur territoire, ne jamais plus tenter de nous renseigner sur eux, d’établir le contact ?

— Ça vaudrait la peine d’essayer. Mais ce n’est pas tout. D’abord, il faudra leur faire comprendre que notre curiosité ne sera jamais satisfaite tant qu’ils retiendront des hommes prisonniers. S’ils veulent que nous feignions de croire que l’univers s’arrête là où commence leur territoire, ils devront recracher tous ceux qu’ils séquestrent encore.