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Desjani se tourna vers son ingénieur en chef. « Qu’en pensez-vous, sergent-chef ? »

Gioninni secoua la tête. « Non, commandant. Rien de ce que nous avons vu ne ressemble aux conceptions humaines. Et l’infrastructure industrielle nécessaire à la construction et à l’entretien de cette forteresse devrait être énorme. On ne pourrait pas bâtir ça du jour au lendemain, ni même en plusieurs décennies. Il aurait fallu qu’ils restent isolés durant plusieurs siècles, voire davantage. Comment seraient-ils arrivés ici il y a si longtemps ? Peut-être que ce ne sont pas des Énigmas, mais rien de ce que j’ai vu ne fait songer à notre espèce.

— Avons-nous reçu quelque chose de ces gens ou de ces extraterrestres ? s’enquit Geary. Ils auraient déjà eu largement le temps de nous mettre au défi de rejoindre leur forteresse.

— Non, amiral, répondit l’officier des transmissions. Rien dont nous puissions affirmer que ça nous était adressé. Ni qui nous éclaire sur ce qu’ils sont. Nous captons un tas de communications, mais elles sont massivement codées.

— Toutes ? demanda Desjani.

— Oui, commandant. Pas d’échanges civils, autant que nous puissions le dire. Tout est encrypté militairement. C’est du moins l’opinion que nous nous en ferions s’ils étaient humains.

— Des hommes se pliant à une discipline aussi rigoureuse ? Personne qui prendrait des libertés avec les restrictions ou les ignorerait ?

— Ça paraît invraisemblable, pas vrai ? convint Geary. Nous n’avons pas le temps de consulter les experts et, tant que ceux qui contrôlent ces petits appareils s’obstineront à les envoyer à la charge, nous n’aurons d’autre choix que de nous défendre. » Il se retourna et aperçut Rione assise dans le fauteuil de l’observateur. Elle gardait le silence, mais ses yeux étaient rivés sur son propre écran. « Tâchez d’établir le contact avec eux. Dites-leur que nous sommes parfaitement disposés à repartir, que nous ne comptions pas nous attarder de toute façon et que nos intentions sont pacifiques. Nous n’avons pas beaucoup de temps pour envoyer ces messages, ajouta-t-il en se demandant si elle comprenait l’urgence de la situation.

— Ils n’ont fait aucune tentative pour nouer le dialogue, répondit-elle, l’air résignée. Pas même pour exiger notre départ ou notre reddition. Je ne crois pas qu’ils veuillent nous parler, amiral Geary. Ils donnent l’impression d’être assez agressifs pour deux et de se moquer de nos véritables intentions.

— Faites de votre mieux, madame l’émissaire. » Il consulta son écran. « Si nous ne parvenons pas à briser cet assaut, nous allons nous retrouver avec un sacré combat sur les bras.

— Environnement riche en cibles », annonça Desjani d’une voix enjouée qui porta dans toute la passerelle. Ses officiers, dont le regard tendu oscillait entre leurs supérieurs et les innombrables assaillants, se détendirent légèrement devant l’assurance que manifestait leur commandant.

Mais Geary, lui, avait le plus grand mal à s’enthousiasmer pour la situation. « Il n’y a qu’une manière d’aborder le problème. Ils sont foutrement nombreux. » Il lança une autre simulation de manœuvres alors qu’il s’attendait à obtenir la même terrifiante réponse. Après une foudroyante accélération au largage, les appareils hostiles semblaient avoir stabilisé leur allure tout en conservant un taux d’accélération encore impressionnant. Ses propres vaisseaux s’étaient retournés pour pratiquement leur montrer la poupe et tous poussaient leur propulsion à plein régime. Mais les systèmes de manœuvre confirmaient que, dans le meilleur des cas, la plupart ne parviendraient qu’à éviter l’interception ; cela dit, les croiseurs de combat devraient pouvoir esquiver l’engagement, mais tout juste. Les croiseurs et destroyers y parviendraient presque, mais ce « presque » laissait entendre que les inconnus réussiraient probablement à rattraper de nombreux escorteurs. Les quatre transports d’assaut seraient anéantis, avec les fusiliers et les ex-prisonniers qu’ils abritaient, et les cuirassés et les auxiliaires n’auraient aucune chance d’en réchapper. Même en se délestant de la masse de minerais bruts que contenaient leurs soutes, les auxiliaires ne pourraient pas accélérer suffisamment pour s’en tirer. Quant aux massifs cuirassés, s’ils pouvaient prendre plus vite de l’élan, ils ne disposeraient pas d’assez de temps, d’autant qu’ils n’étaient guère maniables.

Geary se concentra farouchement, en s’efforçant de réprimer une peur bien naturelle et de trouver un créneau lui permettant de manœuvrer contre ses adversaires. Mais il semblait n’y en avoir aucun, alors qu’on lui opposait neuf cents vaisseaux déjà bien trop près, et qui se rapprochaient très vite. D’ordinaire, il avait beaucoup plus de temps pour réfléchir et évaluer la situation avant d’échafauder des plans. En l’occurrence, temps et données lui manquaient cruellement. « Avantages ? marmonna-t-il.

— Nous disposons d’une force de frappe supérieure, fit remarquer Desjani. Et, dans la mesure où nos vaisseaux accélèrent à plein régime et où l’ennemi est lancé dans une course poursuite, la durée d’engagement s’en trouve rallongée. Autrement dit, nous serons à portée de leurs tirs pendant plusieurs minutes au lieu de quelques millisecondes, ce qui nous permettra de les pilonner plus longtemps. D’un autre côté, le tir d’une de nos lances de l’enfer ne suffirait certainement pas à détruire un de ces appareils. Il nous faudra les en cribler, et ils sont si nombreux que nous devrons les mitrailler à coups redoublés et le plus vite possible. Nos systèmes de combat ne sont pas conçus pour cette tâche.

— Je sais déjà tout cela ! » Pourquoi s’ingéniait-elle à enfoncer des portes ouvertes quand il lui fallait des réponses ? Bon, peut-être n’avait-il pas mûrement réfléchi à tout, mais il l’aurait dû. Sa réponse avait jailli, sèche et abrupte. Il était lui-même plus ou moins conscient de sa futilité, et il vit Desjani se renfrogner.

Elle fit délibérément mine de l’ignorer, fixa son écran d’un œil courroucé et se prépara à passer à l’action.

Bon sang ! Il ne me manquait plus que ces problèmes d’ego pour me distraire. Pourquoi doit-elle se montrer à ce point susceptible, surtout en ce moment ? C’est mon meilleur pilote et, si quelqu’un peut imaginer une manœuvre pour nous tirer de cette mauvaise passe, c’est bien elle. Bien qu’elle préférerait sûrement leur rentrer dans le lard…

Le train des pensées de Geary se figea brusquement, cherchant à rétropédaler pour retrouver l’idée qui lui avait traversé l’esprit et qui s’était dissipée dès qu’il l’avait dépassée à la vitesse de la lumière, dans son irritation et son désarroi. Leur rentrer dans le lard… « Tanya.

— Quoi… amiral ?

— Nous ne savons rien de leur maniabilité. Mais nous pouvons au moins juger de leur rapidité puisqu’ils nous foncent dessus au maximum de leurs capacités. Nous ne disposerons que d’une faible marge de contrôle quand nous entrerons au contact, mais il nous faudra minuter nos manœuvres avec la plus extrême précision. »

Elle ne se radoucit pas mais afficha une expression neutre, plus calculatrice. « Ils pourraient maintenir leur vélocité afin de permettre à leurs propres systèmes de visée de conserver leur efficacité et d’économiser leurs réserves de carburant pour ce qui pourrait se révéler une très longue traque, mais ce que nous voyons là traduit sans doute fidèlement la réalité. » Desjani plissa les yeux pour scruter son écran comme si elle s’apprêtait à tirer. Elle éleva la voix pour s’adresser à ses vigies sans pour autant le quitter du regard. « Je veux que des yeux humains déchiffrent les relevés des senseurs de la flotte. Ils affirment n’avoir encore identifié aucune arme sur ces bâtiments extraterrestres. Dites-moi ce que vous voyez, vous. »