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Son message à Smyth envoyé, Geary s’affaissa plus ou moins dans son fauteuil, non sans regretter de ne pas s’être accordé un peu plus de repos avant que ses responsabilités ne le rappellent sur la passerelle.

« Pas de repos pour les héros ? s’enquit Rione.

— Non, manifestement. Qu’y a-t-il encore ?

— Notre commandant en chef syndic favori du moment a enfin eu l’obligeance de communiquer avec nous.

— Tout bonnement merveilleux ! » Geary se redressa et cligna des paupières pour chasser la fatigue. « C’est moche ?

— Je n’ai pas encore vu son message. Il vous est personnellement adressé. Mais ce devrait être une bonne nouvelle. »

Le commandant en chef Boyens n’avait guère changé depuis la dernière fois qu’on l’avait vu, lorsque, à la fin de la guerre, on avait libéré les prisonniers de haut rang. Il s’était à l’époque montré d’une solennité de circonstance, mais il souriait à présent à la façon mécanique, affectée et visiblement insincère des commandants en chef syndics, qui devait faire partie de leur formation. Puis, se rendant compte que ses interlocuteurs risquaient de prendre cette mimique hypocrite pour ce qu’elle était, il s’efforça d’afficher un sourire plus franc.

« Pourquoi ai-je l’impression qu’il cherche à me lever dans un bar ? demanda Desjani.

— C’est l’effet que ça vous fait ? s’étonna Geary.

— Plus ou moins. Ça n’a jamais marché sur moi quand j’étais pompette, alors ça ne risque sûrement pas quand je suis sobre. Essayez-vous de me dire qu’on n’a jamais tenté de vous draguer dans un bar ?

— Je ne pense pas que je devrais répondre à cette question. » Boyens entreprenant de s’exprimer sur le ton de la sincérité, Geary se tut.

« Amiral Geary, je vous suis profondément reconnaissant de l’assistance que vous nous avez apportée une nouvelle fois dans la défense de ce système stellaire contre une agression de l’espèce Énigma. Au nom du gouvernement des Mondes syndiqués, je vous présente mes remerciements.

— C’est à vous qu’il les présente, murmura Desjani. Pas à l’Alliance ni à la flotte, à vous. »

Geary aurait pu passer à côté de ce subtil distinguo si Tanya ne l’avait pas souligné, de sorte qu’il prêta une oreille encore plus critique à la suite des propos de Boyens.

« Maintenant que votre tâche ici est achevée, amiral, je serais heureux de détacher une unité de mes forces mobiles pour vous escorter dans l’espace des Mondes syndiqués jusqu’à celui de l’Alliance. Je suis sûr que vous avez hâte de rentrer chez vous. »

Desjani eut un rire étouffé. « Ne vous cognez surtout pas à la porte en sortant, chers amis et alliés. Je préférerais avoir affaire aux Bofs.

— Bien entendu, poursuivait Boyens, vous tiendrez certainement à faire un crochet par Prime sur votre trajet de retour, afin de réactualiser le traité de paix en fonction des récents événements et de partager toutes les informations qui pourraient intéresser l’ensemble du genre humain. Si certains des vaisseaux qui vous accompagnent sont les ambassadeurs d’une espèce ou d’une autre, ils voudront eux aussi, naturellement, s’arrêter à Prime sur la route de l’Alliance. Je dois encore régler quelques affaires sur place, puis, pressé moi aussi d’apprendre tout ce en quoi votre exploration aura contribué à la connaissance du cosmos, je vous emboîterai le pas. Au nom du peuple, Boyens, terminé. »

C’était tout simplement insultant. Geary réussit pourtant à s’exprimer d’une voix égale après avoir appuyé sur sa touche de com : « Je vous remercie de votre offre, commença-t-il sans autre préambule de courtoisie. La flotte de l’Alliance est toujours prête à repousser une agression. » Que Boyens et ses supérieurs de Prime lisent donc à leur guise entre les lignes. « Néanmoins, notre travail ici n’est pas entièrement terminé. Nous sommes encore en pourparlers avec les autorités locales. » Autre sujet de réflexion pour Boyens. « Puisque vos forces n’ont joué aucun rôle dans la défense de ce système stellaire, nous n’exigerons pas d’elles qu’elles nous assistent dans nos opérations ultérieures. Comme vous l’avez peut-être remarqué, nous-mêmes escortons d’autres vaisseaux vers l’espace de l’Alliance, et nous choisirons donc librement notre trajet de retour. Nos invités ont exprimé le désir d’être conduits directement aux autorités de l’Alliance, et nous comptons bien exaucer ce vœu. »

Rione se glissa si subrepticement dans l’image aux côtés de Geary que le mouvement donna l’impression d’avoir été répété plusieurs fois. « Vous devez savoir, commandant en chef Boyens, que le traité de paix n’impose aucun trajet précis, ni à l’aller ni au retour, à notre traversée de l’espace entre l’Alliance et Midway. Pas plus qu’il ne restreint la durée de notre séjour. En ma qualité d’émissaire de l’Alliance, je vous remercie de votre offre d’assistance et vous souhaite un agréable voyage de retour vers Prime. En l’honneur de nos ancêtres, Rione, terminé. »

Coupant la communication avant que Boyens eût pu répondre, elle tourna vers Geary un visage contrit. « Vous en aviez fini avec lui, j’imagine ?

— Absolument. »

Une heure plus tard, ils recevaient un autre message où une gracieuse Iceni accordait à Geary le libre accès aux astéroïdes du système aux fins d’extraction, pourvu toutefois que les auxiliaires de la flotte coordonnent leurs activités avec les « autorités des ressources minières spatiales ».

Moins d’une heure après, un nouveau message en provenance de la planète leur parvenait, portant la légende « À l’amiral Geary. Confidentiel ». Il descendit dans sa cabine pour le visionner, en se demandant de quoi il retournait.

Il venait cette fois du général Drakon, assis tout seul, regardant droit devant lui et s’exprimant sans réserve : « Je me permets de vous demander un service personnel, amiral Geary. Je suis conscient que vous n’avez aucune raison de vous fier à un ancien ennemi. Cependant, cette faveur n’est pas destinée à moi mais à un de mes subordonnés. Le colonel Rogero est un de mes officiers les plus méritants et estimables. Il m’a prié de veiller à ce que la pièce jointe à ce message soit remise à l’un de vos officiers. De professionnel à professionnel, et à la lumière de ses loyaux services, je vous demande donc de transmettre ce document à son destinataire. Si jamais cela soulevait des problèmes, la présidente Iceni est informée de l’envoi comme de la teneur de cette pièce jointe et elle ne voit d’objections ni à l’un ni à l’autre. Je suis prêt à répondre à toutes les questions concernant cette affaire pourvu que vous me les communiquiez. »

Drakon s’interrompit, le regard braqué droit devant lui comme s’il voyait réellement Geary. « Je me félicite que nous n’ayons jamais dû combattre l’un contre l’autre durant la guerre, amiral, reprit-il. Je ne suis pas certain que j’aurais survécu à cette rencontre, mais au moins vous aurais-je offert la bataille de votre vie avant son dénouement. Au nom du peuple, Drakon, terminé. »

Geary se repassa la fin du message en prêtant attentivement l’oreille. Le général Drakon ne mettait sans doute pas dans son « au nom du peuple » le même lyrique enthousiasme que la kommodore Marphissa, mais il y avait pourtant, dans son emploi de cette expression privée de sens, davantage qu’un automatisme. Geary crut y déceler à la fois défi et détermination, comme si Drakon était bien résolu à défendre les idéaux qu’elle recouvrait… et que le gouvernement des Mondes syndiqués avait depuis longtemps perdus de vue, si du moins ses dirigeants y avaient jamais attaché quelque importance.

Il revint à la pièce jointe. Un message d’un ex-officier syndic à l’un des siens ? Il savait à qui il serait adressé avant même d’y avoir jeté un coup d’œil. Au capitaine Bradamont.