Tout cela expliquait sans doute pourquoi Geary n’était pas d’humeur très réceptive lorsque arriva le dernier message de Boyens.
Le commandant en chef Boyens non plus, apparemment. Il le dévisageait ouvertement d’un œil furibond, sans chercher à dissimuler son mécontentement ni s’embarrasser de témoignages de feinte camaraderie. « Je suis malheureusement lié par le traité de paix signé entre l’Alliance et les Mondes syndiqués, encore qu’il appert visiblement que seuls les Mondes syndiqués s’intéressent à en honorer la lettre et l’esprit. Cependant, je ne puis appliquer aucune des mesures que j’aimerais prendre pour défendre leurs citoyens et eux-mêmes contre une force militaire étrangère d’une insupportable arrogance. »
Geary avait prié Desjani de visionner ce message avec les émissaires et lui-même, et elle semblait à deux doigts de défaillir d’allégresse. « Oh, je t’en prie, défends-les donc contre nous. Je t’en supplie.
— Votre voyage de retour risque de n’être pas aussi paisible que vous le prévoyez, poursuivait Boyens. Dans la mesure où vous avez décliné mon offre d’assistance, je ne prendrai pas la peine de vous divulguer les renseignements auxquels je peux avoir accès et qui pourraient vous le faciliter. Je vais pourtant vous faire part d’un élément d’information dont je crois que vous le trouverez d’un grand intérêt. »
Il s’interrompit, jouissant manifestement de l’expectative où l’écoute de son message allait certainement, selon lui, plonger son auditoire. « Vous apprendrez sans doute avec une joie extrême qu’un de vos collègues officiers n’a pas trouvé la mort, comme vous le croyiez, lors d’une des batailles qui se sont déroulées dans le système stellaire central des Mondes syndiqués. » Michael ? Son arrière-petit-neveu serait toujours en vie ? Aurait-il survécu à l’anéantissement du Riposte ? Geary n’aurait su dire si son cœur avait raté quelques battements ou s’il l’avait seulement imaginé.
Il sentit comme une pression, baissa les yeux et vit que Tanya, l’air angoissée, avait tendu la main pour serrer la sienne.
Puis Boyens, qui sans doute avait pressenti les espérances que susciterait sa déclaration, sourit. « Oui, plusieurs officiers qu’on croyait morts au cours de cette bataille ont survécu, et un vaisseau les rapatrie en ce moment même. Il a quitté Prime avant que ma flottille n’arrive ici. »
Une petite minute…
« Pourquoi nous annoncerait-il une bonne nouvelle ? » marmonna Desjani. Son étreinte sur la main de Geary se resserra en même temps qu’elle exprimait oralement ses doutes.
Assise de l’autre côté de Geary, Rione affichait une mine sévère. « Plusieurs officiers ?
— Savez-vous de quoi il parle ? demanda Geary.
— Je vous souhaite un passionnant voyage de retour, reprenait Boyens. Et je peux vous promettre qu’en rentrant vous découvrirez qu’il se passe au sein de l’Alliance des événements des plus intéressants. Au nom du peuple, Boyens, terminé. »
Desjani poussa un juron sotto voce.
« Le nouveau Conseil exécutif des Mondes syndiqués intervient dans l’espace de l’Alliance, lâcha Rione d’une voix âpre. Exactement comme le faisait l’ancien avant le début de la guerre.
— Que mijote-t-il ?
— Vous pouvez le déduire aussi bien que moi. Le sénateur Navarro m’avait fait part de certaines de ses craintes avant notre départ. Il soupçonnait les Syndics de se mêler de la vie politique de l’Alliance, de se livrer à un sabotage économique et de semer la zizanie partout où ça leur était possible. Il n’en avait aucune preuve, mais, dans son empressement à vous appâter, Boyens vient de nous apporter la confirmation flagrante des projets de ce qui reste des Mondes syndiqués. Ils ont perdu la guerre mais n’ont aucunement l’intention de laisser l’Alliance profiter de la paix.
— Quel officier aurait-il survécu ? redemanda Geary.
— Peut-être celui que vous espérez, répondit Rione, biaisant. Mais certaines rumeurs laissent entendre que quelques-unes des exécutions auxquelles nous avons assisté n’étaient que des simulacres.
— Bloch ? s’enquit Desjani, sidérée de s’adresser directement à Rione. L’amiral Bloch ?
— Je n’en sais pas plus que vous. Mais, en toute probabilité, quelqu’un dont Boyens s’attendait à ce qu’il nous crée des problèmes. Peut-être essaie-t-il seulement de nous tourmenter, de nous pousser à nous ronger les sangs. Vous savez combien l’Alliance est branlante après cette guerre, amiral. Elle a brisé les Syndics et elle a failli nous briser, nous. Certains, pour des raisons personnelles, n’hésiteraient pas à donner un petit coup de pouce pour affaiblir encore les câbles qui la retiennent au bord de l’abîme. Pouvons-nous rentrer très vite chez nous ?
— Moins vite que je ne le croyais, j’en ai peur », répondit Geary. Se pouvait-il que l’amiral Bloch fût réellement encore en vie ? Certains sénateurs de l’Alliance le soutenaient par le passé, soit parce qu’ils lui donnaient raison, soit par ambition personnelle. Ou bien Boyens jouait-il avec leurs pires appréhensions ? « Nous ne pouvons pas quitter ce système sans avoir procédé aux réparations requises, car nous risquerions de perdre d’autres vaisseaux en chemin. Et, une fois que nous serons partis, Boyens a plus ou moins laissé entendre que des barrages ont été dressés sur notre route.
— Ils lorgnent l’Invulnérable, déclara Desjani. Peut-être si désespérément qu’ils sont prêts à tenter un mauvais coup sur notre trajet de retour. Et nous devons veiller à ce que les Danseurs ne pâtissent pas de quelque “accident” pendant qu’ils sont encore à portée des Syndics. »
Trop de joueurs, souvent cachés, se disputaient maintenant l’échiquier ; un échiquier où venaient tout juste de s’aligner de nouvelles pièces qui risquaient de saborder de nombreuses stratégies, voire de faire basculer l’Alliance elle-même.
Note de l’auteur
Il y a eu du changement dans le coin.
CAPITAINE TANYA DESJANI.
Vers le milieu du xxe siècle (à la fin des années 1960 pour être précis), j’ai vécu quelques années sur l’île de Midway, au milieu de l’océan Pacifique. À l’époque, les satellites TV étaient encore… eh bien, de la science-fiction. Les seules émissions que nous captions sur l’île étaient de vieux programmes diffusés quelques heures, quotidiennement, par l’unique station locale. Même les plages de sable blanc, le magnifique lagon protégé par une barrière de corail et les clowneries des albatros commençaient à m’ennuyer. Je savais déjà lire lorsque ça m’est arrivé, et je lisais surtout des livres d’histoire.
Mais il y avait d’autres distractions accessibles au centre cinématographique de la base. En matinée, les samedis et dimanches, on passait parfois un épisode d’une heure de séries comme Mission impossible, La Grande Vallée ou Star Trek (la série originale, bien entendu). Alors que le reste du monde suivait les aventures de Kirk, Spock et McCoy sur leurs petits postes de télé, je les voyais, moi, sur grand écran.