Выбрать главу

Malgré toutes les responsabilités qui pesaient sur lui, toutes les vies dont dépendaient ses décisions, cette tragédie humaine, relativement moins importante, n’inspirait pas moins à Geary des remords et une grande tristesse. « Vous m’en voyez navré.

— Ne le soyez pas. Je vous ai poursuivi de mes assiduités et vous avez rompu avant que nous n’apprenions que Paol était encore en vie. Contentez-vous de ramener la flotte chez elle. » C’était de nouveau la professionnelle qui s’exprimait. « Vous avez la situation présente bien en mains. Je crois que le général Charban avait raison d’affirmer que les Énigmas ne nous pourchasseraient pas jusqu’ici. Mais ne les perdez pas de vue. »

Geary poussa un soupir, se rejeta en arrière et se massa les yeux. « Il reste de nombreux problèmes immédiats à régler. Que peuvent bien faire les Énigmas maintenant ?

— Je n’en sais rien. Et vous non plus. Ça devrait vous inquiéter. »

Trois

Exaspéré, conscient qu’elle disait vrai et qu’il n’avait pas su s’en rendre compte plus tôt, Geary fixa Rione d’un œil furibond. « Je ne peux me pencher que sur un nombre restreint de questions à la fois. » C’était une excuse. Pourquoi cherchait-il une justification plutôt qu’une réponse ?

Rione lui décocha un regard malicieux. « Un leader avisé, ce que vous êtes d’ordinaire, ne chercherait pas à tout faire lui-même. Je vous conseillerais volontiers d’ordonner à quelqu’un de fiable de réfléchir à ce que les Énigmas risquent désormais de décider.

— Je ne peux pas consacrer Tanya à cette tâche.

— Votre capitaine serait-elle la seule personne de l’univers, amiral ? Nul dans la flotte, à part elle et vous, ne serait donc capable de réfléchir ? »

Geary eut un sourire en coin. « Si, peut-être. » Il tendit la main pour enfoncer une touche de com mais interrompit son geste. « Ces prisonniers de guerre que nous avons recueillis à Dunaï…»

Rione hocha la tête, le visage de nouveau impavide. « Ces nombreux généraux, amiraux, capitaines et colonels qui vous ont rendu la vie si difficile ?

— Oui. Je veux au moins une réponse à cette question : pourquoi le gouvernement m’a-t-il ordonné d’aller les récupérer à l’aller au lieu de me laisser le faire sur le trajet de retour ?

— Je ne pourrais qu’émettre des hypothèses, amiral, répondit Rione au bout d’un instant.

— Faites donc.

— D’aucuns se féliciteraient indubitablement que ces officiers supérieurs ne reviennent pas embarrasser les officiels et haut gradés actuels. »

Geary opina, le visage durci. « Et ces mêmes officiers et officiels ne seraient donc pas mécontents non plus que la flotte ne revienne pas ? »

Elle garda cette fois le silence, aussi figée et marmoréenne qu’une statue.

« Nous allons rentrer, affirma-t-il. Avec tous ces officiers supérieurs, pourvu toutefois qu’aucun n’entreprît rien qui m’obligerait à le faire fusiller. » Il se rendit compte à la dernière seconde que cette déclaration valait plus particulièrement pour le mari de Rione, le capitaine Benan, et ne put s’interdire de tiquer.

Rione s’en aperçut. « Vous n’avez aucune envie de les faire exécuter.

— Je l’ordonnerai si nécessaire. Vous le savez. »

Elle s’adossa à son siège, pensive. « Savez-vous combien de gens s’imaginent que pouvoir et hautes responsabilités leur permettent de faire tout ce qu’ils veulent et leur épargnent tout ce qui leur répugne ? »

Le rire âpre de Geary fit vibrer le compartiment quasiment désert. « Ce serait chouette, non ?

— N’est-ce pas ? Bien sûr, certains de ceux qui disposent d’un tel pouvoir y croient aussi. Ils font tout ce qui leur chante. » Rione le fixa intensément. « Vous savez combien je craignais que Black Jack n’en fît partie. Je me trompais. Maintenant, vous aimeriez savoir si quelques-uns de ces ex-prisonniers ne seraient pas de cet acabit ?

— Il y a déjà eu plusieurs tentatives d’interférence dans le commandement de la flotte, répondit Geary. Je suis sûr que vous en êtes consciente.

— Hélas, je ne suis consciente que de cela. Si l’on continue de comploter, on ne m’inclut pas dans la conspiration, ni moi ni personne qui se confierait à moi.

— Que pourriez-vous me dire de l’amiral Lagemann ? Ses états de service sont impeccables. Il est arrivé à son grade en combattant, non par la politique. »

Un éclair intrigué brilla fugacement dans les yeux de Rione. « Alors pourquoi m’interroger à son propos ? Je ne sais rien sur lui de répréhensible. Son nom n’a jamais été cité dans les rapports de sécurité intérieure que j’ai pu lire par le passé. Il était visiblement trop occupé à faire la guerre pour perdre son temps à des manœuvres politicardes en vue de son avancement, ou pour comploter contre le gouvernement.

— C’est aussi l’idée que je m’en faisais, affirma Geary. Mais il m’est déjà arrivé de me tromper. Et je me suis dit que, s’il y avait des squelettes dans son placard, vous seriez peut-être au courant.

— Voilà qui est blessant, amiral. » Elle semblait sincèrement ulcérée par le sous-entendu.

« Toutes mes excuses », répondit Geary en laissant clairement percer l’ironie avant d’appuyer enfin sur la touche de com.

Quelques secondes plus tard, la silhouette de l’amiral Lagemann apparaissait, encore à bord du Mistral. Il faisait partie des rares personnes de ce vaisseau autorisées à assister à la dernière conférence stratégique. Il inclina la tête vers Geary. « Déjà du neuf, amiral ? Nous nous efforçons de trouver le moyen de gagner ce point de saut sans coup férir.

— Quelques idées intéressantes ?

— Aucune.

— Outre la situation présente, il y a une autre route que j’aimerais vous voir explorer, expliqua Geary. D’une importance critique. Vos camarades vétérans et vous-mêmes m’avez naguère offert une mise en garde essentielle sur la tactique que les Énigmas risquaient d’employer à Alihi. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir réfléchir à la façon dont ils pourraient réagir, maintenant qu’ils savent que nous avons sauté vers cette étoile.

— Autre qu’en se félicitant de nous avoir vus plonger la tête la première dans le pot au noir, voulez-vous dire ?

— Exactement.

— Question passionnante. » Lagemann garda un instant le silence, le regard voilé, comme plongé dans ses pensées. Puis il hocha la tête. « Nous verrons bien ce qui nous viendra à l’esprit. Puis-je vous demander quelque chose, amiral ? » L’amiral accompagna sa requête d’un regard discret en direction de Rione.

« Allez-y.

— Allons-nous réellement rentrer, ou bien ne s’agit-il que de poudre aux yeux destinée à empêcher le moral des troupes de s’engouffrer dans le prochain trou noir ?

— Nous rentrons, affirma Geary. Et vous deviendrez alors, tous autant que vous êtes, le problème du seul gouvernement.

— Pas moi. Ramenez-moi chez moi et je me trouverai un gentil boulot peinard sur ma planète natale. » Lagemann s’interrompit de nouveau pour réfléchir. « Qui me permettra de travailler de nuit à l’intérieur. J’ai vu assez d’étoiles pour le restant de mes jours. »

Geary laissant Rione seule dans le compartiment, Desjani s’écarta d’une bourrade de la cloison à laquelle elle s’adossait pour l’attendre et marcha à ses côtés. « Vous avez gentiment bavardé, amiral ?

— Oui, Tanya. » Ils progressèrent un instant sans mot dire. « Elle affirme qu’elle va m’aider à ramener la flotte chez elle.

— Oh, merveilleux ! répondit Desjani d’une voix parfaitement plate. Cette sorcière cherche encore à te manipuler à ses fins. “Ne le fais pas parce que je te le demande mais parce que le grand héros Black Jack s’est tellement sacrifié pour toi.”