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— Je ne crois pas qu’elle tenait à ce que nous venions ici, Tanya, déclara Geary. Mais qu’elle y était aussi contrainte que nous.

— Tu l’as déjà dit. Tu ne peux pas continuer à croire en tout ce que tu aimerais croire. Je la tiens à l’œil et je garde une arme à son intention. Note que je ne fais aucun commentaire sur la promptitude avec laquelle tu t’es remis à lui faire confiance, ni sur ta naïveté.

— Ma naïveté ?

— Ta confiance. J’ai dit confiance, pas naïveté.

— Quand tu ne faisais pas de commentaires, tu veux dire ? »

Desjani lui jeta un regard noir. « Quelqu’un doit bien surveiller vos arrières, amiral.

— Et je ne me fie à personne davantage qu’à toi. Mais elle aussi veut que la flotte rentre chez elle.

— De quand date ce brusque revirement ? » Desjani lui décocha un regard en biais sans ralentir le pas. « Ou bien tente-t-elle de te distraire quand tu devrais rester concentré sur notre actuel problème avec les Vachours ? »

Geary agita la main de dépit. « Je me concentrerai de nouveau sur cette question dès la fin de cette conversation. Elle a aussi dit quelque chose à propos de la découverte d’une nouvelle espèce extraterrestre. Ceux qui auraient aimé saboter cette mission ont peut-être mis la priorité sur l’étude d’une nouvelle menace potentielle. »

Desjani sourit. « Oh, tu viens de reconnaître que quelqu’un s’efforçait de la saboter, chéri !

— Je n’ai jamais nié cette éventualité. » Ou bien l’avait-il fait ? « Et surveillez votre langage, capitaine.

— Bien, amiral.

— Je crois que Rione s’inquiète pour son mari.

— Moi aussi. Je continue à croire qu’il se livrera à un sabotage un de ces jours. »

Geary eut le plus grand mal à ne pas fusiller Desjani du regard. Ce n’était pas à elle qu’il en voulait mais… au destin, peut-être ? À ce qui avait provoqué tout cela. « J’ai examiné les états de service de Paol Benan. Ils sont bons. Il était différent avant sa capture. Il est aujourd’hui impulsif. Furieux. Imprévisible.

— Bien normal, répliqua Desjani. Les Syndics l’ont torturé. Il existe des moyens de le faire sans laisser de souvenirs conscients ni de traces physiques, tu sais. »

Geary s’arrêta de marcher pour la fixer. Il venait enfin de comprendre ce que Rione avait seulement sous-entendu. « Le lieutenant Iger m’a affirmé que nous ne nous étions jamais abaissés à torturer, mais en avouant également que c’était par pur pragmatisme. La torture ne permet pas d’obtenir des renseignements fiables. Les Syndics aussi ont dû s’en apercevoir. »

Desjani se mâchonna pensivement la lèvre avant de répondre : « Ce dont vous ne tenez pas compte, le lieutenant Iger, les médecins de la flotte et toi, c’est que, pour certaines gens, la torture a un tout autre but que de recueillir des informations fiables. Elles s’y livrent par plaisir, ou parce qu’elles estiment que leur victime a mérité cette punition. » Elle avait dû lire sa réaction sur ses traits car elle poursuivit : « Je ne crois absolument pas que l’Alliance l’ait autorisée. Autant que je sache, nous avons toujours filtré très soigneusement notre personnel chargé des interrogatoires afin d’éliminer les tendances sadiques. Mais crois-tu sincèrement que les Syndics aient pris ce soin ? »

Geary avait rencontré des Syndics qui n’étaient que de très médiocres êtres humains. Quelques-uns, néanmoins, avaient fait montre de décence et d’un certain sens des responsabilités. Mais d’autres, le plus souvent parmi les dirigeants, semblaient dénués de tout scrupule. « Je vais demander aux médecins de travailler sur cette hypothèse et nous verrons bien ce qu’il en ressortira.

— Il est plus facile de briser quelqu’un que de lui rendre son intégrité, affirma Desjani d’une voix sourde. Officieusement, j’aimerais que ça ne lui soit pas arrivé. Ni à personne d’autre.

— Je n’en ai jamais douté. Je sais que le capitaine Benan est placé sous surveillance médicale. Des gens à toi le surveillent-ils aussi ?

— Vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. » Elle s’accorda une pause. « Ils ont l’ordre de l’arrêter s’il entreprend de faire une sottise. Je ne tiens pas à l’envoyer en cour martiale, seulement à éviter qu’il n’endommage mon vaisseau.

— Parfait. » Ils avaient atteint l’écoutille de la cabine de Geary. « J’ai de plus en plus l’impression qu’il va me falloir m’entretenir de nouveau avec lui.

— Ce serait une idée exécrable, amiral.

— Rien que lui et moi, ajouta Geary. Pour voir ce qu’il dit en tête à tête.

— Avec tout le respect que je vous dois, amiral, ce serait une très mauvaise idée, et parfaitement stupide, répéta Desjani sur un ton qui restait résolument égal.

— Je te le ferai savoir avant de tenter le coup, et pas avant que nous n’ayons trouvé le moyen de nous dépêtrer des Vachours.

— Voilà qui me rassure un peu. » Elle secoua la tête. « Les vivantes étoiles elles-mêmes doivent t’inspirer. Nul être humain au monde n’envisagerait raisonnablement un tête-à-tête avec l’époux déséquilibré d’une femme avec qui il a couché. »

Desjani parlait rarement de façon aussi directe de ce qui s’était passé entre Rione et Geary avant qu’ils n’apprennent que Benan était toujours en vie et que Desjani et lui ne prennent enfin conscience de ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Qu’elle y fît allusion à présent montrait à quel point elle était retournée. « Je te promets d’en discuter avec toi avant d’avoir un entretien privé avec le capitaine Benan. Bon, je vais maintenant mettre cette question de côté pour chercher un moyen de nous arracher à ce système stellaire.

— Merci. » Elle lui adressa un sourire ironique. « Une crise à la fois, hein ?

— Ce serait chouette, non ? » Le mot même dont il s’était servi pour répondre à Rione lui semblait à présent tout aussi adapté, mais il valait mieux que Tanya ignorât qu’il le répétait.

Il resta un moment planté derrière l’écoutille quand elle se fut refermée : seul dans la cabine qui avait naguère appartenu à l’amiral Bloch, avant que les Syndics ne l’éliminent à la faveur de prétendues « négociations », et qui, depuis, avait été son seul foyer. Que serait-il advenu de Tanya si elle avait été capturée par les Syndics alors que la guerre faisait encore rage ? Et que lui arriverait-il si elle l’était maintenant par les lambeaux, épars et brisés, de ce qui avait été naguère l’autorité centrale des Mondes syndiqués, et cela dans la plus grande partie de l’espace syndic ? Que ferait-on subir à la personne la plus proche du grand Black Jack Geary pour lui soutirer des informations, faire pression sur lui ou tout bonnement se venger de lui ?

Il mura cette pensée. Admettre la vraisemblance d’une telle hypothèse, d’un tel dénouement, risquait de le paralyser.

Alors que Geary observait la flotte en train de freiner au maximum de ses capacités par-delà la masse menaçante de la forteresse vachourse, la vague des centaines d’appareils ou missiles extraterrestres qu’elle avait lancés frappa la tête de la formation. De massives explosions la parcoururent sur toute sa longueur, les kamikazes piquant droit sur les dizaines de vaisseaux et d’auxiliaires.

Il annula la simulation avec un grognement écœuré. J’ai essayé tous les angles d’approche possibles, toutes les variantes en matière de vélocité et de trajectoire, et pas moyen d’échapper au fait que cette forteresse est bel et bien là, qu’il me faut conduire la flotte au point de saut tout proche et qu’elle ne doit pas dépasser 0,1 c en l’abordant.