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Les drones qu’on avait dépêchés vers les épaves ennemies pour découvrir des traces de leur équipage avaient aussi rapporté des débris de ces carcasses. Le rapport du capitaine Smyth résumait peu ou prou ce qu’on en avait tiré jusque-là et qui, malheureusement, se résumait à pas grand-chose : un mélange attendu d’alliages et de composites… l’analyse structurelle des alliages montre par certains signes une technique de fonte inhabituelle… les composites tendent à révéler la présence de davantage de silice que de carbone, suggérant une relative abondance de ce dernier élément sur leur planète natale… les fragments d’équipement récupérés ne sont pas assez gros pour fournir des informations essentielles sur leur destination ni sur leur conception.

Le capitaine Tulev avait pondu un rapport sur tout ce qu’on avait récupéré sur le site du combat. Au moins n’aurait-on pas à s’inquiéter de voir les extraterrestres analyser des débris ou fragments humains. Ce qu’ils retrouveraient après son nettoyage leur fournirait beaucoup moins d’indices sur les hommes que ceux-ci n’en retireraient de l’analyse des épaves ennemies.

L’œil de Geary s’attarda sur le résumé des mesures disciplinaires prises sur le Dragon. Un de ses sous-officiers avait synthétisé des drogues à partir de fournitures médicales volées. Six cas d’insubordination et trois rixes, dont une impliquant plusieurs matelots. Le capitaine Bradamont avait-il du mal à contrôler son équipage ?

Il ordonna au système de collecter tous les rapports disciplinaires et d’établir une moyenne pour chaque bâtiment. Le Dragon faisait un peu mieux que la moyenne, constata-t-il. L’Indomptable lui-même avait eu sa part d’incidents surnuméraires.

Geary fixait les chiffres, conscient de leur signification. Rixes. Insubordination. Manquements aux ordres. Autant de signes de troubles, et ça ne faisait qu’empirer. Les matelots étaient mécontents mais ne pouvaient déverser leur bile sur rien de précis, de sorte qu’ils se retournaient contre leurs pairs, en permettant à de légers incidents de dégénérer là où l’on aurait dû entreprendre une action disciplinaire. Tout cela restait relativement anodin. La situation n’était pas encore critique, mais il devait s’efforcer d’éviter qu’elle ne le devînt.

En rentrant à la maison, par exemple.

Il finit par s’endormir deux heures dans son fauteuil, avant de se réveiller en sursaut : un message résumant les progrès accomplis par les jeunes gradés de la flotte dans leurs qualifications trônait encore sur son écran. Pas étonnant qu’il ait sombré.

Un bref regard à l’écran des étoiles lui apprit que rien n’avait beaucoup changé dans le système stellaire. La flotte humaine et l’armada extraterrestre s’étaient légèrement rapprochées, convergeant lentement l’une vers l’autre, tandis que les vaisseaux de Geary étaient également moins loin de la forteresse qui gardait le point de saut, mais c’était à peu près tout.

Il éteignit l’écran, vérifia sa tenue, envisagea un instant d’apparaître sur la passerelle comme s’il venait de sortir d’une nuit de débauche, songea à la réaction de Tanya puis prit le temps de faire sa toilette et de revêtir un uniforme propre.

Desjani était sur la passerelle, impeccable dans son propre uniforme, encore que son visage trahît certains signes de fatigue. Elle bâilla tout en montrant à Geary son siège de commandement. « Bien reposé, amiral ?

— Plus ou moins.

— Tant mieux. En contrepartie de votre propre étalage de perspicacité, j’ai quelque chose à vous montrer. »

Il s’assit sans la quitter des yeux. « Un plan opérationnel ?

— Opérationnel ? Non, amiral. Grandiose. » Elle entra des instructions et l’écran de Geary s’activa.

Il observa les manœuvres, laissa la simulation défiler jusqu’au bout puis poussa un grand soupir. « Ça marche.

— Ça pourrait marcher, corrigea-t-elle. Si les Vachours font bien ce qu’on attend d’eux. Sinon, nous pourrons toujours rompre le contact et tenter autre chose. » Elle fixa son propre écran en fronçant les sourcils. « On devrait sans doute y arriver.

— Sans doute ?

— J’en ai la quasi-certitude, amiral. » Tanya bâilla de nouveau. « Ça n’opérerait sans doute pas contre les Syndics, mais j’ai transmis quelques idées au lieutenant Iger et à ses barbouzes, et elles correspondent à ce qu’ils ont vu sur les vidéos que nous avons captées. Cela dit, il ne laisse pas beaucoup de place à l’erreur. C’est un plan grandiose mais terrifiant. »

Geary s’interdit de se rembrunir. « Terrifiant ?

— Oui, amiral. Ce plan comporte pas mal d’hypothèses, et il échouera si l’ennemi ne réagit comme nous nous y attendons. Auquel cas nous nous retrouverions dans un sacré merdier. »

Il fronçait carrément les sourcils à présent, oscillant entre colère et déception. Il espérait qu’on avait trouvé une solution et les premières paroles de Tanya avaient encore conforté cet espoir. Mais, si elle-même trouvait son plan à ce point médiocre… « Nous devons donc trouver autre chose.

— Non. » Elle secoua la tête, se rejeta en arrière et poussa un soupir de satisfaction. « D’abord parce que j’ai déjà beaucoup travaillé là-dessus et, ensuite, parce que, même si ce n’est pas un plan formidable, il reste supérieur à toutes les idées qu’on a avancées jusque-là. Vous n’accorderiez même pas un regard à ceux que les systèmes de combat ont échafaudés dans leurs petits cerveaux artificiels.

— Ils sont si mauvais que cela ? s’enquit Geary, un peu moins abattu.

— Essayez de vous représenter cinquante pour cent de pertes. » Elle secoua la tête derechef, cette fois d’un air écœuré. « J’ai du mal à croire qu’on ait pu parler d’intelligence artificielle à propos de ces cochonneries. Ils sont plus bornés qu’un pont de vaisseau.

— Sans eux, nous ne pourrions même pas viser, fit remarquer Geary. Du moins pas dans une enveloppe de tir mesurée en millièmes de seconde. Et, sans les systèmes de pilotage automatique assisté, je ne me risquerais pas à manœuvrer à ces vélocités.

— Ouais, mais ça reste du pur matériel ! Nous pouvons le modéliser après l’avoir établi. Mais pour ce qui est de réfléchir ? De pondre quelque chose de nouveau ? Bah ! Rapide et stupide, ça reste stupide. Ils le deviennent seulement plus tôt que les hommes livrés à eux-mêmes. Ce qui reste une prouesse, je dois le reconnaître, ajouta-t-elle. Parce que nous sommes plutôt doués pour la stupidité.

— De quoi pavoiser, convint Geary.

— On s’enorgueillit de ce qu’on peut. » Elle agita la main. « Quoi qu’il en soit, votre plan est loin de l’être autant que les alternatives qu’on nous a proposées. Félicitations. »

Geary étudia de nouveau l’écran et ne tarda pas à prendre conscience de toutes les incertitudes et présomptions que Desjani avait été contrainte d’y inclure. Si, si et si. Il lui revenait à présent de décider s’il fallait l’appliquer en dépit de toutes ces supputations. Mais, même s’ils passaient encore plusieurs mois dans ce système à esquiver l’armada extraterrestre, ils n’obtiendraient toujours pas toutes les réponses. Son instinct lui soufflait de décamper au plus vite, avant que les stocks de la flotte ne se tarissent, que le moral soit au plus bas et que les Vachours, grâce à leurs ressources et leur monstrueuse supériorité numérique, ne déploient des forces encore plus importantes. « On fonce. »

Desjani hocha la tête, les yeux mi-clos l’espace d’une seconde. « Oh, vous avez oublié une phase essentielle du plan, amiral.

— Laquelle ?