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— Celle où l’on prie pour qu’il opère, amiral. »

Quatre

Assis dans son fauteuil de commandement sur la passerelle de l’Indomptable, Geary regardait décroître rapidement sur son écran la distance le séparant de la plus proche forteresse ennemie. La flotte en était encore assez éloignée pour qu’elle ne donnât pas l’impression de grossir à un rythme appréciable à l’œil nu, mais il lui semblait que le croiseur de combat et tous les autres vaisseaux plongeaient droit sur elle. Étrange sensation engendrée par un instinct ancestral, transmis par des aïeux qui foulaient le sol d’une planète encore plus lointaine.

Dans la mesure où la flotte filait sur une trajectoire d’interception du point de saut gardé par la forteresse vachourse, sa course s’incurvait légèrement à la frange du système stellaire. La forteresse paraissait orbiter sur la gauche immédiate de Geary, à bâbord donc de la proue de ses vaisseaux, lesquels s’en trouvaient encore à quarante minutes-lumière. Il avait choisi de maintenir la vélocité de la flotte à 0,1 c, et ils ne l’atteindraient donc pas avant près de sept heures.

Sur un côté de l’écran, mais bien plus en arrière, presque à la moitié de son vaisseau, les silhouettes des bâtiments qui pourchassaient la flotte semblaient en suspension. Ils étaient encore invisibles, mais l’écran affichait leur situation précise à environ une heure-lumière. Leur position relative n’avait pas changé depuis des heures : l’armada était comme figée à côté de l’étoile. En revanche, la distance la séparant de la flotte diminuait régulièrement, puisqu’elle maintenait un cap lui permettant de l’intercepter dans huit heures environ.

Flotte, forteresse et armada formaient les pointes d’un triangle dont les côtés incurvés marquaient les trajectoires qu’elles adoptaient pour se rejoindre ; la longueur de ces côtés changeait constamment à mesure que vaisseaux humains et extraterrestres convergeaient vers la forteresse.

Geary reporta les yeux sur la représentation de la flotte humaine. La formation qu’il lui avait fait adopter n’avait pas manqué de méduser bon nombre de ses officiers. Au lieu de la fragmenter, comme il en avait l’habitude, en de multiples sous-formations manœuvrant indépendamment, il l’avait ramassée en une unique boîte aplatie. Les auxiliaires et transports d’assaut en occupaient le centre, tandis que cuirassés, croiseurs de combat, croiseurs et destroyers étaient disposés sur ses flancs et son fond.

« Qu’essayons-nous exactement de faire ? s’était enquis le capitaine Duellos.

— D’offrir à l’ennemi une cible à la fois distincte et compacte, avait répondu Geary.

— Vous cherchez d’ordinaire à l’éviter », avait fait remarquer Duellos.

C’était la stricte vérité. Mais, cette fois, il tenait à présenter aux Vachours une cible à laquelle ils ne pourraient résister.

Le plus gros écueil de son plan restait la synchronisation. Il lui fallait orchestrer chaque manœuvre avec la plus grande précision s’il voulait que les Vachours réagissent comme il l’escomptait. Geary patienta en s’efforçant de se relaxer, de se vider l’esprit dans l’attente du moment propice. « À toutes les unités. Virez de vingt degrés sur tribord et de cinq vers le haut à T 30. » Ça devrait faire l’affaire.

Il n’y a pas réellement de « haut » et de « bas » dans le vide, et les vaisseaux ne peuvent pas non plus y être orientés vers la gauche ou la droite, si bien que les hommes avaient imposé leurs propres règles à l’espace non balisé. Dès leur arrivée dans un système stellaire, les logiciels de la flotte traçaient un plan englobant les orbites de la plupart de ses planètes et décidaient de ce que seraient le haut et le bas de part et d’autre de ce plan, de manière à ce que chaque vaisseau sût de quoi on parlait, tout comme il savait que « tribord » désignait la direction de l’étoile et « bâbord » celle diamétralement opposée. Grossières, certes, mais simples, ces ordonnées arbitraires que s’était imposées l’humanité opéraient, de sorte qu’elles restaient inchangées depuis des siècles.

Desjani était assise dans son propre siège de commandement, juste à côté du sien. « Au moins, avec la flotte ainsi concentrée, tout le monde recevra-t-il rapidement vos messages.

— Un souci de moins », convint Geary.

Trente minutes plus tard, tous les vaisseaux pivotaient simultanément, sans affecter pour autant la forme de la boîte, tandis que sa trajectoire obliquait vers l’armada ennemie. Geary vit avec une certaine fierté la manœuvre se dérouler sans à-coups. « Bon sang, ils savent piloter.

— Nous avons toujours su manœuvrer un vaisseau, lui rappela Desjani. Vous nous avez seulement réappris à quel point il était important de le faire en synchronisation.

— Enfer, Tanya ! Endormie, vous piloteriez mieux un vaisseau que moi pleinement éveillé.

— Si vous le dites, c’est sûrement vrai. » Elle effectua quelques calculs. « Parfait ! L’armada vachourse se trouve à cinquante-neuf minutes et une poignée de secondes-lumière. Elle nous verra pivoter vers elle dans une heure. Puisque nous nous rapprochons désormais d’elle plus vite, nous devrions la voir réagir… cinquante-six minutes plus tard.

— Ils ne devraient pas mettre longtemps à réagir. Le lieutenant Iger et les experts civils s’accordent à dire, d’après les vidéos que nous avons interceptées, qu’ils forment effectivement un troupeau organisé. Le mâle dominant du troupeau est son chef, purement et simplement. Il ne consultera personne avant de prendre sa décision.

— Et le grand chef se trouve sur la planète, à cinq heures-lumière, si bien qu’il ne peut guère… euh… foncer tête baissée pour intervenir, ajouta Desjani. Que comptez-vous faire au cours des deux heures qui viennent ?

— Attendre.

— J’allais vous suggérer de vous reposer. Vous avez mangé quelque chose ? » Voyant qu’il secouait la tête, elle lui tendit une barre énergétique enveloppée dans un emballage particulièrement brillant. « Goûtez ça. »

Il prit la ration et fronça les sourcils en déchiffrant l’étiquette. « Ce n’est pas une barre énergétique mais un “rouleau de cuisine fusion”. Réservé aux V. I. P. » Geary la fixa en arquant un sourcil. « De combien de ces machins disposons-nous ?

— D’un bon paquet, répondit-elle en mâchant son propre rouleau d’un air appréciateur. L’équipage va enfin trouver une bonne surprise dans ses rations de combat.

— Je sais que je ne devrais pas poser la question, mais comment sont-ils arrivés à bord de l’Indomptable ? »

Desjani haussa les épaules. « Aucune idée.

— Parce que vous n’avez pas demandé non plus, j’imagine ?

— Maman n’a pas élevé une oie blanche, affirma-t-elle. Si vous tenez à demander directement au sergent-chef Gioninni comment il les a dénichés, ne vous gênez pas. Mais il vous répondra probablement qu’ils traînaient quelque part à portée de main et qu’il les a sauvés du rebut. Ou quelque chose comme ça. »

Geary en prit une bouchée. Les rouleaux étaient excellents. Bien meilleurs que les rations auxquelles la flotte était accoutumée. « Ah, l’ordinaire du V. I. P ! » Il surprit un regard amusé. « Non, je n’en suis pas un. Alors, comment se fait-il qu’ils ne réapparaissent que maintenant ?

— Ils étaient disponibles au mess des sous-offs depuis notre départ de Varandal. Je les ai…

—… réquisitionnés ?

— J’ai appris qu’on y trouvait ces rouleaux, poursuivit Desjani d’une voix parfaitement sérieuse. Et j’ai aussitôt ordonné au sergent-chef Gioninni de les entrer dans le système de contrôle de l’inventaire des vivres du vaisseau.