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N’entendant pas Desjani, Smyth continuait de s’adresser à Geary. « J’appelle au sujet de l’Orion. Le Kupua a terminé les réparations de la principale unité de propulsion endommagée, et le système de la flotte vous informera que le bâtiment est de nouveau opérationnel à cent pour cent, mais le commandant Miskovic du Kupua vient de m’avouer qu’elle était inquiète.

— Inquiète ? » Elle, inquiète ? Qu’elle essaie donc de se demander si les coms vont fonctionner alors qu’on file droit sur une armada ennemie. « De quoi donc s’inquiète-t-elle ?

— Le test des systèmes est positif, poursuivit Smyth en cherchant ses mots. Mais Miskovic m’affirme qu’elle ne le sent pas.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— Que rien ne cloche pour l’instant dans la propulsion de l’Orion, du moins au niveau des chiffres, amiral, mais qu’un ingénieur expérimenté et talentueux a un mauvais pressentiment. » Smyth eut un geste dépité. « Je n’ai pas besoin de vous rappeler que l’Orion a subi de nombreux dommages l’année dernière, ainsi que de nombreuses réparations, parfois assez hâtives. Une telle accumulation peut parfois avoir des répercussions indéfinissables.

— Je ne comprends pas. »

Smyth parut un instant éberlué puis il reprit contenance. « Bien sûr. Vous n’avez pas passé toute votre carrière à combattre, du moins après la bataille de Grendel. Mille excuses, amiral, mais aujourd’hui les gens tendent à partir du principe que les officiers qu’ils connaissent ont combattu toute leur vie durant. Mais, en ce qui vous concerne, cela signifie que vous n’avez pas une expérience très étendue des systèmes ayant subi des dommages et des réparations répétées. Je serais probablement le premier à admettre que ça ne s’est pas produit aussi fréquemment que ça aurait dû, dans la mesure où tant de vaisseaux ont été définitivement perdus ou démantelés. Mais, avec le temps, ça finit par s’accumuler, tout comme le stress et la fatigue normaux des matériaux. »

Une nouvelle migraine poignait. Geary s’efforça de se décrisper. Laisser la tension l’affecter risquait de conduire à des erreurs et des impairs que ni lui ni la flotte ne pouvaient se permettre. « Qu’est-ce que ça signifie exactement, en l’occurrence ?

— Que, même si tous les tests des systèmes de propulsion de l’Orion prouvent qu’ils fonctionnent correctement, l’ingénieur qui a procédé à ces essais est d’avis qu’ils pourraient flancher sérieusement à tout moment, et ce sans avertissement ou bien peu. Je me suis dit que vous deviez en être informé.

— Est-ce que j’y peux quelque chose ? s’informa Geary.

— Rien, à moins de reconstruire et de remplacer complètement les systèmes de propulsion de l’Orion, répondit Smyth. Ce qui est prévu, bien que ce programme ne cesse d’être reporté. »

Geary opina en même temps qu’il digérait l’information. « Merci, capitaine Smyth. Au moins serai-je mentalement préparé à affronter le problème si les unités de propulsion de l’Orion tombaient brusquement en quenouille. » S’il vous plaît, ô mes ancêtres, demandez aux vivantes étoiles que ça ne se produise pas durant la bataille. « Le commandant Shen a-t-il été prévenu ?

— Oui, amiral. Il n’avait pas l’air heureux de l’apprendre, mais il faut dire aussi que le commandant Shen n’a jamais l’air heureux. »

Desjani se rapprocha de Geary. « C’était dans les processeurs principaux chargés de la coordination des communications. Plusieurs de leurs cartes mémoire ne retiennent plus les mises à jour. »

Cette fois, Smyth entendit Desjani et hocha la tête de satisfaction. « Et voilà ! Elles perdent leurs capacités de sauvegarde des données. De sorte que votre système de communication persiste à retomber dans ses réglages par défaut. Rien qu’on puisse remarquer d’emblée, mais les problèmes de sauvegarde vont continuer à se répercuter dans tous vos systèmes.

— Mes ingénieurs sont en train de les changer, affirma Desjani. Devraient-ils faire davantage ?

— Remplacer tout le système, répondit Smyth en soupirant. Les défaillances des cartes mémoire sont pour votre système de communication ce qu’était la mort du canari pour les mines de charbon. Ne vous fiez pas aux tests et autres autodiagnostics programmés du matériel. Regardez-le comme défectueux jusqu’à ce qu’on ait pu le remplacer entièrement.

— Capitaine Smyth, fit Geary en observant ce qu’il considérait comme une grande retenue, nous allons combattre. Seriez-vous en train de me dire que je ne peux pas me reposer sur le système des communications de l’Indomptable ? »

Il sentit se crisper Desjani. Elle s’était toujours enorgueillie du statut de vaisseau amiral de son bâtiment, ainsi que de sa propre réputation de commandant capable de garder son matériel et son personnel au top. Si l’amiral devait transférer ce statut à un autre vaisseau à la veille d’une bataille parce qu’il ne pouvait plus se fier au bon fonctionnement d’un équipement critique de l’Indomptable, tant Tanya que tout l’équipage en seraient humiliés.

Mais Smyth, lui, ne comprenait la question que du seul point de vue de l’ingénieur. « Il me faudrait une inspection complète du matériel, assortie d’un test, pour répondre à cette question, amiral. Mais, de toute évidence, l’Indomptable connaît déjà des problèmes. »

Desjani s’était encore assombrie, et elle semblait sur le point de vertement répliquer.

Geary devait-il laisser sa loyauté envers Tanya, sa propre familiarité avec l’Indomptable et son équipage prendre le dessus sur la responsabilité qui lui incombait de disposer d’un vaisseau amiral au système de communication fiable ? Permettre aux sentiments plutôt qu’à la froide logique de trancher pouvait avoir des conséquences extrêmement graves.

Mais il est dans la guerre d’autres facteurs qui échappent à la froide logique. Des impondérables qui peuvent décider du sort d’une bataille. Quel effet aurait sur la flotte sa résolution de transférer le statut de vaisseau amiral à un autre bâtiment que l’Indomptable, dans la mesure où celui-ci était apparemment intact ? Combien de rumeurs portant sur les motifs d’une telle décision courraient-elles aussitôt dans la flotte, et dans quelle mesure affecteraient-elles sa combativité et sa discipline ?

Inconscient de ce dilemme, le visage concentré et le regard fixe, Smyth continuait de parler en même temps qu’il réfléchissait à la question : « Manifestement, l’Indomptable a aussi identifié le problème et s’est attelé à sa résolution. Un autre bâtiment pourrait à tout moment présenter les mêmes défaillances. Mais nul ne saurait dire quel délai exigeraient des réparations, ni même si elles seraient exhaustives…

— Merci, capitaine Smyth », le coupa Geary, conscient de la tension, non seulement de Desjani, mais désormais de tous les officiers sur la passerelle. Pour le meilleur ou pour le pire, il allait devoir cette fois laisser la priorité aux impondérables. « L’Indomptable travaille déjà à la rectification de ces failles. Je me fie à son équipage pour résoudre ces problèmes. Il ne m’a jamais laissé tomber.

— Très bien, amiral. Oh, n’oubliez pas pour l’Orion.

— Faites-moi confiance, capitaine Smyth. Je m’en souviendrai. » Geary s’adossa à son siège et expulsa une bouffée d’air qu’il n’était pas conscient d’avoir retenue. Il se tourna vers Desjani, constata qu’elle parlait dans son unité de communications internes, sans doute en faisant preuve d’une brutale efficacité mais désormais plus détendue. Tout autour de lui, l’équipage œuvrait avec détermination et assurance. « De quoi ça a l’air ? » demanda-t-il à Desjani.