Выбрать главу

« Nous captons quelque chose en provenance de devant, commandant, rapporta l’officier des trans. Un signal émis et répété sur une large bande de fréquence. »

Rione laissa échapper un rire empreint de soulagement. « Ils veulent nous parler.

— Peut-être uniquement pour nous annoncer qu’ils vont nous éliminer, marmonna Desjani. Seulement audio ou audio et vidéo ? demanda-t-elle à son officier.

— Indubitablement vidéo, commandant. Ça ressemble à un des anciens formats dont nous nous servions autrefois, de sorte que nous pourrons convertir le signal dès que le système aura pondu le protocole de conversion adéquat. L’image sautera peut-être un peu, mais elle sera claire et le son devrait être bon.

— Faites-nous voir ça dès que ce sera prêt, ordonna Desjani.

— Dans moins d’une minute, commandant. »

En réalité, des fenêtres virtuelles apparurent deux secondes plus tard devant tout le monde. L’image qu’elles montraient était très distincte. Geary resta bouche bée en la découvrant, puis se rendit graduellement compte que le silence régnait sur toute la passerelle.

« De quelle taille peut bien être ce machin ? finit par demander Desjani d’une voix étouffée. Lieutenant Yuon ?

— Impossible à dire, commandant, bafouilla l’interpellé. On ne peut le comparer à rien. »

Geary s’obligea à observer l’image de plus près. Si une énorme araignée s’était accouplée avec un loup, le produit de leur étreinte aurait sans doute ressemblé à ce qu’il avait sous les yeux. Aux moins six appendices qui pouvaient servir à la fois de bras ou de pattes, une peau brillante visiblement coriace mais parsemée de touffes de poils ou de fourrure, une tête équipée de six ocelles en son centre, d’une sorte de rabat qui les surplombait et devait servir à la respiration et, juste sous les ocelles, d’une énorme gueule béante, façon piège à ours à multiples mandibules. De chaque côté de la tête, une très fine membrane parcourue de veinules devait faire office d’organe auditif.

Un peu comme si l’on avait cherché à combiner en un seul être les plus horribles attributs de toutes les créatures vivantes.

« Au moins n’a-t-il pas de tentacules », fit remarquer Charban.

Geary arracha son regard à cette hideuse apparition pour se concentrer sur les vêtements qu’elle portait. Des bandes d’étoffe aux teintes vives, qui semblaient tissées directement sur le corps et formaient un motif compliqué dont les couleurs ne se heurtaient jamais lorsqu’elles s’entrelaçaient. Étrange, et pourtant beau à sa manière.

L’être émettait un son suraigu et vibrant, en même temps qu’il écartait quatre de ses membres, en pleine extension, de part et d’autre de son corps. Les griffes impressionnantes qui les terminaient étaient sorties. Il garda cette pose tout le long de son discours, sporadiquement émaillé de claquements de mandibules.

« Nos ancêtres nous préservent, murmura Desjani avant de déglutir puis de reprendre d’une voix plus normale : Est-ce qu’il nous menace ?

— Je n’en ai aucune idée, répondit Geary.

— Des vaisseaux et des formations aussi splendides de la part d’un monstre aussi affreux…

— Ouais. » Geary baissa les yeux et se contraignit à respirer profondément pour reprendre contenance. « Transmettez cette vidéo aux experts civils et voyons s’ils comprennent ce qu’il est en train de faire. »

Rione finit par intervenir d’une voix plus posée et proche de la normale que celle de la plupart des autres. « Il nous parle. Quels qu’ils soient, ils ont établi le contact les premiers. Les Énigmas ne l’ont fait qu’après s’être cachés pendant une longue période, et, même alors, avec une grande réticence. Les Vachours, eux, n’ont jamais communiqué avec nous.

— Peut-être nous demande-t-il simplement quel goût nous avons, marmonna Desjani avant d’éclater de rire. Je me demande comment on dit “on dirait du poulet” dans sa langue. »

Geary se surprit à rire à son tour. Après le choc qu’avait créé la vue de cette créature, un peu d’humour noir soulageait la tension.

« Commandant ? » L’officier des trans avait réussi à réprimer le fou rire hystérique déclenché par le mot de Desjani. « Il y a une pièce jointe à la communication. Une sorte de programme. »

Desjani jeta à Geary un regard acerbe. « Un cheval de Troie, un virus ou quelque chose du genre, non ?

— Ça ne ressemble à rien de tout cela. Ce n’est absolument pas dissimulé. Au contraire. C’est parfaitement apparent. Soit ces… euh… machins sont incroyablement nuls en matière de sécurité informatique, soit ils tenaient à s’assurer que nous trouverions ce programme.

— Soumettez-le à la sécurité, ordonna Desjani. Que nos experts en décryptage l’analysent et me donnent leur avis avant qu’on l’ouvre. Une petite minute ! Tous les vaisseaux de la flotte ont dû le capter, non ?

— Oui, commandant. »

Geary enfonça quelques touches de son panneau de com sans quitter la vidéo des yeux. « À toutes les unités. Interdiction d’enregistrer ou d’activer le logiciel joint au message des extraterrestres. Il ne devra être testé et ouvert que dans un environnement contrôlé et avec mon autorisation. »

Dans la fenêtre qui s’ouvrait devant lui, la créature arrivait au bout de son laïus. Elle replia d’abord contre son corps les quatre membres qu’elle avait dépliés, en les croisant devant elle, puis, juste avant la fin, en releva deux de part et d’autre de sa tête.

« Et maintenant ? s’enquit Desjani.

— Je n’en sais rien, fit Geary. Peut-être la décision est-elle plus facile à prendre quand ils refusent de nous parler.

— Nous avons toujours les Vachours aux trousses. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous tourner les pouces en attendant d’avoir deviné ce que veulent ces… lousaraignes.

— Vous devriez leur transmettre une réponse, suggéra Rione.

— Une réponse ? À quoi ? Je n’ai rien compris à ce que disait cette chose. » Envoyer un message à l’aveuglette lui aurait sans doute paru logique deux heures plus tôt, mais, après avoir visionné la transmission du Lousaraigne, l’abîme qui s’ouvrait entre les êtres qui occupaient ces magnifiques vaisseaux et lui-même lui paraissait plus vaste que les distances interstellaires. « Ils ne comprendront ni mes paroles ni le sens de mes gestes, et je dois leur paraître aussi monstrueux qu’eux le sont à mes yeux.

— Vous devriez répondre malgré tout, insista Rione. Faisons-leur comprendre que nous tenons à communiquer. Peut-être connaissent-ils l’existence des hommes. Ils sont pour ainsi dire des voisins des Énigmas. »

Geary lui jeta un regard de travers. « J’ai souri aux Vachours et, en leur montrant mes incisives, j’ai dû leur faire croire que je m’apprêtais à les dévorer.

— Ce n’est qu’une supposition, amiral, lui rappela-t-elle. Bien vue, je l’admets. Mais je vous ai entendu parler un peu plus tôt de lois de l’ingénierie, qui s’appliquent aussi aux êtres vivants. Une posture agressive diffère d’une posture défensive, n’est-ce pas ? »

Ce fut Charban qui lui répondit : « Tout dépend. Le même individu peut adopter de multiples postures de combat pour attaquer ou se défendre si besoin. Cela dit, celles-là sont passablement sophistiquées. » Il s’interrompit, le regard pensif. « Les hommes, eux, manifestent leur agressivité en se penchant en avant, les bras collés au corps et prêts à frapper. Leur attitude défensive n’est pas loin d’y ressembler. En revanche, pour faire comprendre que leurs intentions sont pacifiques, ils se tiennent droit, les bras en croix et les mains ouvertes, ce qui ne convient ni à l’attaque ni à la défense.