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Sur l’écran, la formation humaine en triangles entrelacés s’effrita finalement, chaque vaisseau adoptant momentanément une trajectoire différente, avant de se recomposer graduellement en trois sous-formations de taille sensiblement équivalente mais adoptant toutes un vecteur distinct. « Nous présentions jusque-là une cible unique aux Vachours. Ils vont maintenant devoir choisir et, quelle que soit la sous-formation qu’ils décideront de charger, les deux autres pourront les frapper pendant qu’elle les esquivera.

— Ou bien, lâcha Duellos en étudiant l’écran, si ces Lousaraignes sont réellement les ennemis des Vachours, nous pourrons décrocher dans toutes les directions et les Bofs continueront alors de charger droit sur eux. À la place des Lousaraignes, je ne suis pas sûr que ça me plairait. »

Geary s’accorda une nouvelle pause. Il n’avait pas réfléchi à cela, persuadé que les Vachours persisteraient à pourchasser obstinément la flotte humaine. Mais, si les Lousaraignes se présentaient devant eux, les Bofs risquaient d’opter pour une autre cible.

Il baissa les yeux et jeta un regard à Desjani, qui l’avait aidé à échafauder ce plan et s’efforçait vainement d’avoir l’air surprise par l’objection de Duellos. Tanya, tu avais de toute évidence prévu cette éventualité et tu t’es bien gardée de m’en parler. On va devoir avoir une petite conversation.

Badaya réfléchissait, le front plissé. « Si cela se produisait, si les Bofs piquaient droit sur les Lousaraignes, je veux dire, nous disposerions alors d’une excellente occasion de vérifier si ces deux espèces sont réellement ennemies et de voir comment les seconds engageront le combat avec les premiers. C’est une approche très astucieuse, amiral.

— Merci, répondit Geary sans regarder Desjani. Nous verrons bien ce qu’il adviendra, mais nous pourrons réagir efficacement quoi que fassent les Vachours, tout en restant hors de portée de la formation lousaraigne, au cas où ils ne seraient pas aussi amicaux qu’ils le prétendent. »

Le capitaine Neeson se pencha. « Mes officiers de la sécurité des systèmes m’ont informé du programme lousaraigne que nous avons reçu. Nos experts en informatique y travaillent.

— J’ai cru comprendre qu’il disposait de fonctionnalités supérieures à celles des logiciels humains, avança Geary.

— Toute leur technologie est-elle aussi supérieure à la nôtre ? Mes ingénieurs sont restés sidérés par ce qu’ils ont observé de leurs vaisseaux. »

Geary n’avait qu’une seule réponse à fournir. « Nous verrons bien. Pour l’instant, tant que la flottille lousaraigne ne change pas de vecteur, nous ne pouvons rien dire de ses capacités en matière de manœuvres. La puissance de ses boucliers semble à peu près identique à celle des nôtres, mais nous ignorons si elle marche à plein régime ou s’il est réduit parce que ses vaisseaux restent encore inactifs. »

Le capitaine Smyth intervint : « Mes experts ont analysé ce qu’on pouvait entrevoir du matériel lousaraigne sur les vidéos qu’ils nous ont transmises. La seule conclusion à laquelle ils sont parvenus, c’est que la passerelle a l’air disposée de manière tridimensionnelle.

— Tridimensionnelle ? interrogea Tulev.

— Ça ne ressemble pas à un pont, expliqua Smyth. À une surface sur laquelle tout serait posé. Au lieu de cela, la répartition de l’équipement semble ne présenter ni haut ni bas. Tout se trouve là où ça cadre le mieux.

— Leur espèce ne pourrait pas avoir évolué en gravité nulle, protesta une voix.

— Non, mais, quelle qu’ait été leur évolution, ils ne semblent pas raisonner en termes de haut et de bas.

— Avez-vous transmis cette analyse aux experts civils ? lui demanda Geary.

— Euh…

— Faites-le dès la fin de cette réunion, je vous prie. » Geary s’accorda le temps de réfléchir à ce qu’il aurait pu oublier. « Nous savons depuis notre accrochage à Pandora que les supercuirassés vachours sont extrêmement résistants. Au lieu de concentrer leurs tirs sur eux, nos systèmes de combat devront le faire sur les vaisseaux plus petits qui les escortent. Nous devrons éliminer ces escorteurs, les détruire tous si besoin, et, une fois les cuirassés privés de leur soutien, nous attaquer à eux un par un.

— Et s’ils fuient ? s’enquit Jane Geary.

— Alors il faudra leur souhaiter bon vent et les regarder emprunter le point de saut. »

Il ne savait pas trop comment on prendrait sa réponse dans une flotte qui était retombée pendant si longtemps dans le travers de privilégier la charge bille en tête au lieu de recourir aux anciennes tactiques expérimentées, oubliées, balayées décennie après décennie par des pertes sanglantes.

« S’ils fuient, alors nous aurons gagné. Chercher à remporter une victoire plus décisive nous coûterait assurément davantage de pertes, et il me semble que nous avons déjà perdu bien assez des nôtres aux mains de ces Vachours.

— Nous devons donner une bonne leçon aux Bofs, insista Jane Geary. C’est l’occasion ou jamais.

— Nous devons surtout rentrer chez nous, grommela le capitaine Hiyen. Les vaisseaux de la République de Callas ne font partie de cette flotte que pour défendre nos planètes natales. Que les Bofs rebroussent chemin la queue entre les jambes, incapables désormais de nous poursuivre et dans l’ignorance de leur position, suffira largement.

— La flotte de l’Alliance ne tourne pas le dos au combat et ne se satisfait que d’une victoire totale… intervint le commandant du croiseur lourd Bardé.

— Parlez pour vous, le coupa le commandant du Saphir. Il s’agit de Black Jack, n’oubliez pas. S’il affirme qu’une telle victoire satisfait à l’honneur, je ne le contredirai pas. Comment l’un de nous le pourrait-il ?

— Black Jack n’était lui-même qu’un homme », affirma Jane Geary sur un ton laissant entendre qu’elle avait déjà tenu maintes fois ces propos. À ce qu’en savait Geary, sa petite-nièce avait vécu toute sa vie dans le mépris de la légende de Black Jack, légende qui les avait contraints, son frère Michael et elle, à s’engager dans la flotte sur les brisées d’un grand-oncle mythique. « Nous ne faisons honneur ni à notre commandant ni à nous-mêmes en ne posant pas les bonnes questions…

— Ceci n’est pas un débat. » Geary ne se rendit compte qu’il s’était exprimé d’une voix assez tranchante pour couper court à la discussion que lorsque tous les visages se tournèrent vers lui. « Je suis aux commandes. Tel est le plan que nous suivrons. D’autres questions ? »

Il n’y en eut pas. Alors que tous les officiers disparaissaient autour de lui, le laissant seul avec Tanya Desjani, il s’efforça de maîtriser sa colère.

« J’ai tenté de lui parler un peu plus tôt, laissa tomber Desjani. Elle s’est montrée relativement polie mais sans plus. J’ai lâché une plaisanterie, comme quoi je faisais maintenant partie de la famille, et la température m’a fait soudain l’impression de tomber au-dessous du zéro absolu.

— Je ne comprends pas, déclara Geary.

— Je crois que je commence à comprendre, moi. » Tanya se leva, les lèvres crispées. « Elle a toujours détesté être une Geary et devoir vivre dans ton ombre…

— Ça n’a jamais été mon ombre.

— D’accord. Celle de Black Jack. Le hic, c’est qu’elle détestait peut-être ça mais que c’était bel et bien ce qu’elle était. Une Geary. Tout le monde voyait en elle une Geary, même si ça ne lui plaisait pas. Maintenant…» Tanya haussa les épaules. « Maintenant, tu es de retour. Tu es Black Jack en personne, et ne te donne même pas la peine de m’interrompre pour le nier. Ta seule présence lui pompe son oxygène. Elle n’est plus que Jane. Et moi ta partenaire. Celle qui a choisi de vivre avec toi. Que lui reste-t-il ? »