Выбрать главу

Elle dévoila ses dents en un sourire qui sans doute aurait exaspéré les Vachours s’ils avaient pu le voir. « Allons-y ! » aboya-t-elle à l’intention de ses officiers, avant de retourner le croiseur de combat dans un hurlement, puis d’accélérer pour effectuer un virage encore plus serré que le précédent, aussitôt imité par les quatre autres.

Geary vit s’allumer des lignes de clignotants rouges sur son écran quand Desjani poussa son bâtiment jusque dans une dangereuse zone de stress. Pourtant, les quatre autres croiseurs de combat réussirent à se maintenir de conserve quand leur petite formation fondit sur les vaisseaux ennemis.

Ils la traversèrent à une vitesse fulgurante, leurs unités de propulsion principales poussées au maximum. Un supercuirassé et une vingtaine de vaisseaux vachours moins imposants leur dépêchèrent tout ce qu’ils avaient dans le ventre, mais Desjani avait fait grimper la vélocité relative à près de 0,2 c, interdisant ainsi à l’ennemi de pointer efficacement. Les vaisseaux humains ripostèrent par des tirs de barrage aussi vifs que l’éclair, qui pilonnèrent deux des cuirassés vachours.

Au terme de cette passe de tirs, Geary reprit le contrôle de l’Indomptable et ramena les croiseurs de combat vers le reste de sa formation.

Un mur de vaisseaux lousaraignes venait de s’interposer entre la sous-formation de Badaya et les Vachours qui piquaient sur elle, mais ils ne purent provoquer que de légers dommages avant de s’éparpiller devant les supercuirassés.

Geary serra les dents, s’attendant à de sérieuses pertes ; il était conscient que Badaya avait joué de malheur, mais aussi qu’il avait aggravé sa situation en réagissant trop tardivement : il ne s’était pas suffisamment écarté ni non plus retourné assez vite. Rien n’interdisait plus aux Bofs d’infliger de lourds dégâts à ses vaisseaux, tant ces supercuirassés semblaient quasiment aussi invulnérables qu’incontournables.

Sans aucun avertissement, les cuirassés Intrépide et Orion décrochèrent de la formation de Badaya, suivis aussitôt par le Fiable et le Conquérant. Acharné, Représailles, Superbe et Splendide chargèrent derrière eux. Tous les cuirassés de la sous-formation de Badaya fondaient à présent, massifs, fermes et résolus, droit sur l’ennemi en approche.

Les paroles du capitaine Mosko lui revinrent : C’est ce que sont censés faire les cuirassés.

« Ils vont se faire déchiqueter », murmura-t-il. Ma petite-nièce. Allant à la mort sous mon commandement, exactement comme son frère. Puissent mes ancêtres me pardonner.

Desjani arborait un masque de tragique fierté. « Oui. Mais ils permettront peut-être au reste de leur sous-formation d’échapper au massacre. »

Les yeux de Geary fouillèrent l’écran en quête d’un miracle. La sous-formation de Tulev était encore bien trop loin, les Lousaraignes se contentaient de grignoter les franges de l’armada vachourse, et ses propres croiseurs de combat grimpaient vers le haut avant de se retourner pour rejoindre la leur, qui, de son côté, virait pour se porter à sa rencontre et fondre de nouveau sur l’arrière-garde des Bofs.

Nul miracle. Rien que des hommes et des femmes faisant de leur mieux, conscients que ça ne suffirait pas.

« Que fabriquent-ils… ? » éclata Desjani.

Le regard de Geary se reporta sur les huit cuirassés et leur charge suicidaire. Il mit un moment à comprendre ce qu’il avait sous les yeux : des centaines de projectiles jaillissaient des cuirassés. Leur trajectoire s’incurvait vers l’armada vachourse en approche, à moins d’une minute du contact. « Des projectiles cinétiques ? Dans un combat vaisseau contre vaisseau ? C’est…» Il saisit brusquement. « Brillant. »

Normalement, un vaisseau pouvait aisément esquiver ces stupides cailloux tirés de très loin, mais les cuirassés avaient largué tous les projectiles cinétiques dont ils disposaient ; une sorte de champ de mines mortel se précipitant sur l’ennemi. Ils avaient même lancé les plus gros, ceux que les spatiaux appelaient des BFR, qu’on utilisait rarement en raison des ravages qu’ils pouvaient provoquer sur le sol d’une planète, mais qui, pour l’heure, filaient sur une trajectoire les conduisant droit sur les supercuirassés. Seul un tel rassemblement de cuirassés humains aurait pu larguer avec une promptitude suffisante assez de projectiles cinétiques pour contraindre une armada de la taille de celle des Vachours à une manœuvre évasive.

Si les Bofs n’esquivaient pas, s’ils maintenaient le cap sur la formation de Badaya, ils plongeraient droit dans la gueule de loup et aucun, assurément, n’en…

Tandis que s’égrenaient les dernières secondes avant le contact, Geary continua d’observer ce spectacle avec une stupéfaction croissante : les cuirassés de l’Alliance larguaient à présent des missiles spectres aussi vite que ça leur était possible, tandis que les Bofs poursuivaient sur leur lancée en tirant leurs propres missiles. Aucun ne vacillerait, aucun ne quitterait sa position dans les rangs, aucun ne romprait ce mur de vaisseaux, exactement comme sur les vidéos vachourses qu’il avait visionnées.

Lorsque les deux forces et le bombardement cinétique s’interpénétrèrent, l’espace s’emplit d’un chaos trop intense pour permettre aux senseurs de la flotte de capter ce qu’il advenait. Geary ne put que fixer son écran, saisi d’effroi par l’ampleur de la dévastation.

Un des cuirassés humains émergea brusquement de la pagaille en rendant compte de dommages étendus, mais encore ingambe. L’Intrépide. L’Orion fit irruption dans son sillage, titubant mais résolu. Le Fiable et le Conquérant suivaient, tous deux, étonnamment, très légèrement touchés. Puis Acharné, Représailles, Superbe et Splendide en jaillirent en trombe à leur tour, leur blindage criblé et de nombreuses armes H. S. mais toujours opérationnels.

L’armada vachourse n’avait pas dévié de son cap, mais les explosions d’énergie en son centre avaient disloqué les autres vaisseaux, interrompant sa charge. Et Badaya avait finalement enclenché la bonne manœuvre en imprimant à sa formation une torsion la faisant grimper vers le haut, hors d’atteinte des vaisseaux ennemis rescapés qui la dépassaient inefficacement.

Geary comprit enfin ce qui s’était passé. Pas un miracle, certes, mais un événement inattendu. « Ils ont percé un trou à travers la formation ennemie. Ils n’ont réussi à la traverser au lieu de l’éviter que parce que tout ce qui se trouvait devant eux un instant plus tôt avait déjà été pulvérisé par ce tir de barrage. » Pourquoi les Vachours ne l’avaient-ils pas esquivé ? Cette nouvelle tactique avait-elle surpris leur commandant ? Avait-il tenté d’ordonner, mais trop tard, une manœuvre d’évitement, alors que chacun de ses vaisseaux maintenait sa position dans la formation ?

« Trois de leurs supercuirassés sont anéantis, ainsi qu’un bon nombre des escorteurs qui les accompagnaient. » La fierté de Desjani était désormais empreinte d’une joie mauvaise. « Puissent les vivantes étoiles se rappeler ce qui est arrivé ici.

— Ils ne sont pas encore défaits », la prévint Geary en voyant les Vachours se reformer. Ils s’étaient contentés de resserrer les rangs après chaque engagement et ils recommençaient à présent. Leur formation s’était sans doute beaucoup amenuisée, mais, manifestement, elle était toujours prête à se battre.

Geary entendait monter des acclamations dans tout l’Indomptable à mesure que le bruit se répandait de la prouesse des cuirassés. Les mêmes devaient à présent retentir à bord de tous les vaisseaux de la flotte. Pour l’instant du moins, le moral des troupes n’était plus un sujet d’inquiétude.