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« Pourquoi n’ont-ils pas esquivé ? » questionna à son tour Desjani. Geary s’aperçut qu’elle ne faisait pas allusion aux cuirassés de l’Alliance mais aux vaisseaux vachours. « Les Bofs ne devaient pas savoir ce dont étaient capables autant de projectiles cinétiques de cette masse…» La compréhension se fit lentement jour dans les yeux de Tanya : « Ils l’ignoraient. Ils n’ont pas de cailloux à bord de leurs bâtiments. Ils ne s’en servent tout bonnement pas, puisqu’ils ont sur leurs planètes un dispositif de défense adéquat. Et, les vaisseaux n’ayant normalement aucun mal à les esquiver, les leurs n’auraient aucune raison d’en embarquer.

— Le plus vieux piège du manuel, affirma Geary. Présumer que l’ennemi a les mêmes capacités, tactiques et intentions que vous. Remercions les vivantes étoiles de nous avoir donné cet atout. » Ils en auraient encore besoin, mais il doutait de pouvoir recourir de nouveau à cette tactique maintenant que les Bofs la connaissaient.

Les cinq croiseurs de combat reprirent leur position dans la sous-formation Gamma Un-Un, et l’Indomptable son statut de vaisseau pivot. Les Bofs avaient largement viré sur bâbord et vers le haut en s’efforçant d’intercepter la force de Badaya, mais la lenteur de leurs supercuirassés rescapés continuait de les handicaper. Badaya, pour sa part, grimpait toujours en accélérant, incapable de rompre le contact, ainsi embarrassé de bâtiments à la capacité de propulsion limitée mais réussissant malgré tout à prolonger le délai dont les Vachours auraient besoin pour le rattraper. La force de Tulev était légèrement remontée pour tenter d’intercepter les Bofs sur leur nouvelle trajectoire, tandis que les appareils lousaraignes grouillaient dans tous les coins, louvoyaient entre les formations humaines avec une folle désinvolture et réduisaient en pièces ceux des bâtiments vachours que leurs avaries avaient expulsés de l’armada.

Les huit cuirassés de la formation de Badaya remontaient et se retournaient pour essayer de la rejoindre. Le Fiable et le Conquérant formaient un bouclier à leurs homologues plus gravement endommagés, tandis qu’un tourbillon d’appareils lousaraignes tissait une sorte de barrière entre eux et l’armada vachourse. Qui a donné l’ordre de cette charge ? se demanda Geary. Badaya leur a-t-il ordonné d’exécuter cette manœuvre, ou bien Jane Geary l’a-t-elle entamée de sa propre initiative ? Quel que soit celui qui a pris cette décision, c’était la bonne. Et qui a bien pu avoir l’idée de balancer tous les projectiles cinétiques sur l’ennemi ?

Remettant à plus tard ces questions auxquelles il ne pouvait répondre pour l’instant, Geary ordonna à sa formation de foncer pratiquement droit devant elle, braquée sur une interception de l’armada vachourse qui, de son côté, s’était stabilisée sur sa trajectoire visant Badaya. Il y parviendrait quelques minutes seulement après que Tulev l’aurait frappée.

« Comment les Lousaraignes se sont-ils débrouillés pour tenir les Vachours en échec ? s’interrogea Desjani. À voir leurs tactiques et leur puissance de feu, jamais ils n’auraient pu leur interdire de parader dans ce système stellaire et d’emprunter un de ses points de saut.

— Bonne question. Il faudra la leur poser quand tout sera fini. » Geary voyait à présent affluer les rapports d’avaries et les décomptes des pertes de ses huit cuirassés, et, à mesure que les systèmes automatiques de la flotte les totalisaient, il sentait son cœur se serrer. Ils avaient chèrement payé leur victoire.

Çà et là sur son écran, de nouveaux voyants signalant des dommages s’allumaient à mesure que les systèmes frappés de vétusté et débordés flanchaient à bord des vaisseaux de l’Alliance. Mais la bourrasque des défaillances précédentes s’était calmée. Celles-là n’étaient sans doute pas de bon augure, mais au moins la flotte n’était-elle pas en train de se décomposer sous ses yeux.

La formation de Tulev passa en trombe sur un flanc de l’armada ennemie, pilonna les vaisseaux qui le composaient et en mit deux autres hors de combat. Mais c’est à peine si les supercuirassés s’en aperçurent et ils continuèrent de charger la force de Badaya, s’en rapprochant à un rythme effréné. Celle-ci accélérait toujours, mais les dommages subis par les propulsions du Titan et de l’Incroyable contraignaient Badaya à maintenir sa propre vélocité autour de 0,06 c.

Geary pointa sa formation sur le fond de la force vachourse. Les Bofs venant de lui décocher un lourd tir de barrage, l’Indomptable vibra de nouveau sous les frappes et les tirs manqués de peu. C’est à peine s’il entendit les rapports d’avarie qui parvenaient en masse à Desjani, parlant de boucliers pénétrés, de frappes au blindage léger du croiseur de combat et de diverses brèches mais ne rendant compte d’aucune perte des systèmes. Sur son écran affluaient des rapports identiques en provenance d’autres vaisseaux de sa formation. Aucun n’avait été durement touché, mais beaucoup avaient subi des dommages.

Un autre bâtiment vachours battait de l’aile, infichu de s’arracher à une spirale qui l’éloignait de sa formation et en faisait une proie facile pour l’essaim de vaisseaux lousaraignes. Plusieurs autres présentaient des avaries.

Mais cela ne suffisait à repousser l’ennemi.

Deux des croiseurs de combat de Badaya étaient encore en état de combattre avec efficacité, et l’Inspiré et le Formidable décrochèrent de sa formation pour revenir sur l’armada vachourse en virant sur l’aile.

Geary enregistra et soupesa toutes ces informations : Tulev décrivait un grand arc de cercle exigeant un long délai et de longues distances, tandis que sa propre sous-formation, pour revenir sur ses pas, entamait un virage vers le haut qui lui aussi exigerait trop de temps. Badaya altérait à présent sa trajectoire pour s’éloigner dans une direction diamétralement opposée à celle de l’ennemi en approche, tout en s’efforçant de gagner le plus de temps possible avant d’être rattrapé, tandis que, de l’autre côté de l’ennemi par rapport à Tulev et lui-même, les huit cuirassés tentaient poussivement de le rejoindre. Toute la bataille se déplaçait donc au-dessus du plan du système. Il ordonna à l’Indomptable de simuler hâtivement quelques manœuvres et eut droit à une réponse peut-être désespérée mais jouable. « Fiable, Conquérant, ici l’amiral Geary. Efforcez-vous d’intercepter l’ennemi à la plus haute vélocité possible. »

Distants de deux minutes-lumière, ces deux cuirassés allaient pivoter et accélérer en laissant derrière eux leurs camarades plus sévèrement endommagés. Cela distrairait peut-être les Vachours, mais Geary n’y comptait pas trop. L’essentiel, à présent, c’était de faire feu de tout bois sur cette armada. « Capitaine Tulev, je prends le contrôle des manœuvres de votre sous-formation. »

Pas le temps de procéder à une simulation ni d’établir les délais et distances avec précision. Il ne devait se fier qu’à ses propres capacités, à son expérience et à la faculté inégalée du cerveau humain à reconstituer de tels puzzles sur le tas. « Capitaine Badaya, faites décrocher vos escorteurs à T 17 et ordonnez-leur d’adopter une trajectoire d’interception de la formation ennemie et une vélocité de 0,15 c. »

Desjani avait enregistré ces modifications et fixait son écran en fronçant les sourcils. « Que fabriquez-vous ?