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Ne restait plus qu’une tâche urgente à remplir. Geary enfonça cette fois la touche de contrôle de ses communications internes. « Renseignement ? Le lieutenant Iger est-il là ?

— Ici, amiral. » Iger avait l’air harassé, mais il réussit à reprendre contenance. « Nous analysons tout ce que nous pouvons, amiral.

— Que pouvez-vous me dire des occupants de ce système ?

— Rien encore, amiral, avoua Iger. Beaucoup de vidéos sont émises, mais dans un format très étrange que nous n’avons pas encore réussi à craquer. Non pas cryptées comme celles des Énigmas, juste différentes de notre façon de procéder. Nous y parviendrons. Tout ce que je peux vous affirmer avec certitude, c’est qu’ils sont très nombreux dans ce système. »

Une autre fenêtre s’ouvrit près de celle de l’officier du renseignement ; elle montrait la principale planète habitée gravitant autour de cette étoile. L’image grossit sur un ordre d’Iger, révélant un décor étrangement rectiligne. « Ce sont des immeubles, amiral. Tous. Il y a des cultures et des plantations sur les toits, mais, autant qu’on puisse le dire, la quasi-totalité de la surface terrestre de cette planète est couverte de bâtiments et de routes. D’après quelques chantiers de construction ou de réparation que nous pouvons voir en entier, il appert que tous ces bâtiments s’enfoncent d’au moins plusieurs niveaux dans le sol et s’élèvent d’autant au-dessus. »

Geary s’efforça en vain d’évaluer la densité d’une telle population. « Où trouvent-ils leur nourriture ?

— Les immeubles, amiral. Certains d’entre eux ou quelques-uns de leurs étages sont des fermes verticales. On distingue des plantations sur presque tous les toits.

— Combien sont-ils, selon vous ? »

Iger faillit hausser les épaules puis se reprit. On ne hausse pas les épaules devant un amiral. « La planète est petite selon les normes terrestres, amiral, et les zones émergées sont moins étendues. Mais tout dépend de la taille des habitants. Individuelle, je veux dire. Si elle est peu ou prou comparable à celle des hommes… » Il consulta des chiffres sur un côté de l’écran. « De l’ordre de vingt milliards.

— Vingt milliards ? Sur une planète de cette dimension ?

— S’ils sont à peu près de notre taille, précisa Iger.

— Si vous obtenez d’autres informations, faites-le-moi savoir, ordonna Geary avant de se rasseoir en se massant le front. Qu’est-ce que j’oublie ? demanda-t-il à Desjani.

— La forteresse.

— Je n’ai pas oublié cette fichue forteresse. Elles sont sacrément impressionnantes, je vous l’accorde, mais elles n’en restent pas moins des cibles sur orbite fixe. Nous pouvons leur balancer des cailloux. » Geary s’interrompit en voyant Desjani secouer la tête. « Quoi ?

— Vous avez raison. Ce sont des cibles. Alors pourquoi les a-t-on construites ? Et pourquoi sont-elles encore là ? Comment se fait-il que personne ne les ait encore fait exploser ? Je déteste les Énigmas, mais je les sais assez futés pour arroser de cailloux des cibles de la taille d’une petite planète. Pourtant, ceux qui vivent ici se sont donné un mal fou pour bâtir ces forteresses. Avez-vous remarqué qu’il n’y avait pratiquement pas d’astéroïdes dans ce système stellaire ? Ils ont dû s’en servir pour les construire et, à moins d’être complètement cinglés, ils ne l’auraient pas fait s’il s’agissait seulement de cibles. »

Geary fixa l’écran montrant le système. « Ils disposeraient d’un moyen de défense contre les cailloux ?

— Nous serions bien avisés de le présumer, amiral.

— Tâchons de le découvrir. Quel est le plus gros caillou à bord de l’Indomptable ? »

Desjani sourit. « Nous avons un projectile cinétique d’un demi-tonneau.

— Pouvons-nous le balancer sur la plus proche forteresse sans endommager nos autres vaisseaux ? »

Elle effectua une simulation de la trajectoire puis hocha la tête. « Permission de tirer ?

— Lancez-le », ordonna Geary.

Le projectile cinétique n’était qu’un gros bloc de métal solide, assez lourd pour que l’Indomptable fasse une légère embardée quand il en fut expulsé, à une formidable vélocité, sur une trajectoire visant la plus proche forteresse ennemie, celle-là même qui avait déclenché une attaque contre la flotte. « Soixante-cinq minutes avant impact », rapporta une Desjani toujours souriante.

Au moins était-elle à nouveau de bonne humeur.

S’il avait pu regarder par un hublot ouvert dans le flanc du vaisseau – du moins si un tel hublot avait existé, au lieu de senseurs alimentant en données les écrans et autres fenêtres virtuelles de l’Indomptable, et si sa passerelle s’était trouvée plus proche de la coque au lieu d’être enfouie dans ses entrailles –, les étoiles ne lui auraient pas donné l’impression de bouger. Et, si Geary avait affiché une image de l’Indomptable vu depuis les autres vaisseaux de la flotte, le gros vaisseau humain lui aurait paru minuscule, ainsi suspendu dans le vide et apparemment immobile. Rien n’aurait indiqué que le croiseur de combat se déplaçait à une vélocité de 0,05 c, soit quinze mille kilomètres par seconde. Vitesse sans doute invraisemblablement rapide à la surface d’une planète, mais qui, compte tenu des énormes distances stellaires, semblait se réduire à une reptation entre les étoiles. Si les hommes avaient dû se contenter de ces vélocités, les voyages interstellaires auraient exigé des années et des décennies.

Et Geary ne se serait pas retrouvé coincé ici, si loin de l’espace contrôlé par l’humanité, à affronter une autre espèce extraterrestre qui ne semblait guère exaltée par la perspective de se retrouver nez à nez avec celle-ci.

Au moins l’Alliance ne pourrait-elle pas se plaindre qu’il n’avait pas obéi aux ordres. Il avait assurément découvert la frontière de l’espace Énigma, du moins dans cette direction.

Geary regardait la flotte reprendre sa formation autour de l’Indomptable en se servant du vaisseau amiral comme d’un pivot. Il puisait un certain réconfort dans la familiarité de cette manœuvre et la compétence dont faisaient montre ses vaisseaux.

« Pardonnez-moi, amiral », intervint soudain Desjani.

Arraché à cette impression d’un répit provisoire et se demandant toujours ce qu’il avait bien pu négliger, il s’efforça de ne pas tressaillir. « Quoi ?

— Les supercuirassés de ces extraterrestres… Il y a quelque chose en eux qui me chiffonne. Avez-vous noté que leur propulsion n’était pas proportionnelle à leur masse ? »

Geary lui jeta un regard. « Moins que chez les nôtres ?

— Oui. » Elle pointa son propre écran du doigt. « Nos systèmes évaluent leurs manœuvres comparativement à celles de nos cuirassés et de nos croiseurs de combat. Il leur faut bon moment pour accélérer et ils pivotent comme des gorets qui viennent de se goinfrer. »

Geary scruta le secteur de l’espace où les massifs vaisseaux extraterrestres orbitaient toujours, à des heures-lumière de là, apparemment oublieux de la flotte de l’Alliance mais certainement prêts à se retourner et accélérer pour l’intercepter dès que l’image de son irruption les atteindrait. Puis il observa chacun des points de saut qui lui permettraient de s’échapper de ce système stellaire où gravitait, évoquant un gardien de prison meurtrier, une forteresse monstrueuse de la taille d’une petite planète. « Nous pourrions les semer, mais nous n’avons nulle part où fuir.