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— Oui, mais… » Desjani eut un geste trahissant une indécision qui ne lui ressemblait guère. « Ces vaisseaux sont ainsi conçus pour une bonne raison. Celle qui préside à leur destination. Quel emploi réserveriez-vous à un tel bâtiment ? »

Geary secoua la tête. Il se dépeignait un accrochage avec ce Léviathan. « Il entrerait dans la flotte comme dans du beurre. Nous ne pourrions pas l’arrêter. Est-ce dans ce but qu’ils sont conçus ? Pour charger au travers de n’importe quoi ? » Une sonnerie des trans carillonna. « Excusez-moi, capitaine Desjani. » L’image du médecin en chef de la flotte reparut devant lui.

Le docteur Nasr rayonnait de satisfaction. « Nous avons partiellement reconstitué une de ces créatures, amiral. Avec un niveau de confiance assez élevé quant à la précision de cette reconstitution.

— Comment avez-vous fait pour recoller les morceaux ? s’enquit Geary en espérant que la réponse n’allait pas lui soulever le cœur.

— Il y a diverses manières de… Oh, cette fois-ci, voulez-vous dire ? Nous n’avons pas encore eu le loisir de mettre la main sur les véritables débris pour les manipuler. Ils sont toujours en quarantaine. Mais nous disposions de copies virtuelles et nous avons pu jouer avec jusqu’à ce que nous ayons trouvé le moyen de les assembler correctement. » À l’entendre, le médecin semblait trouver passionnant le passe-temps qui consistait à articuler les morceaux d’un être vivant.

Une grande image s’afficha près du chirurgien.

Geary la fixa, momentanément privé de voix. S’étant enfin remis de sa surprise, il pressa une touche pour retransmettre l’image. « Voilà à quoi ils ressemblent, Tanya. »

Elle lui jeta un regard atone puis, avant de prendre la parole, scruta un instant l’image que Geary venait de lui envoyer. « Vous voulez rire ?

— Non.

— Des ours en peluche. » Elle désigna d’un geste l’être potelé et velu. « Nous avons été attaqués par des ours en peluche ? »

La créature, du moins dans sa reconstitution virtuelle, devait mesurer un mètre de haut et elle était couverte d’une courte fourrure bouclée. On ne voyait pas de sang ni d’organes internes exposés, mais une sorte de remplissage flou, parfois assez étendu, là où c’était nécessaire. Les yeux pétillants entre deux joues rondes, au-dessus d’un museau en spatule évoquant davantage celui d’une vache que d’un ours, la créature avait l’air… adorable.

« Ce sont des carnivores ? demanda Geary au toubib.

— Non. Des herbivores.

— Des herbivores ?

— Des vaches, traduisit Desjani d’une voix sourde. De jolies petites vaches. De mignons oursons vachards et homicides qui construisent des machines de guerre géantes. »

Geary examina encore l’image, tandis que, d’imagination, il attribuait aux adorables quinquets de l’ourson en peluche aux joues potelées un pétillement espiègle. « Transmettez ça à nos spécialistes des espèces extraterrestres intelligentes », ordonna-t-il au médecin. Les experts en question ne savaient rien des véritables espèces extraterrestres intelligentes avant que la flotte ne fût entrée, encore assez récemment, dans l’espace Énigma, mais Geary n’avait pas mieux sous la main à leur offrir. « Ainsi qu’au lieutenant Iger des renseignements, s’il vous plaît. »

Quand il vit le gros projectile cinétique largué par l’Indomptable atteindre la plus proche forteresse, la flotte s’en était encore éloignée de trois minutes-lumière. De sorte qu’il n’assista aux événements qu’au terme d’un délai de près de dix minutes après leur déroulement.

Le bloc de métal de cinq cents kilos, façonné à l’image d’une fusée au cas où ce profil aérodynamique lui serait nécessaire pour traverser l’atmosphère d’une planète ciblée, piqua sur la forteresse extraterrestre en décrivant un arc de cercle. Se déplaçant à des milliers de kilomètres par seconde, il accumulait une terrifiante énergie cinétique qui serait libérée lors de l’impact.

Mais, à plusieurs milliers de kilomètres de sa cible, la trajectoire du projectile commença bientôt de s’incurver, de sorte qu’il la dépassa en trombe sans lui causer de dommages, la manquant bel et bien.

« Comment ont-ils fait cela ? s’étonna Geary.

— Bonne question, répliqua Desjani. Espérons que les senseurs auront capté assez d’informations pour y répondre.

— Mouais.

— Et nous devrons aussi débattre avec différents interlocuteurs de ce qu’ils ont vu ou raté pour engranger plusieurs points de vue, ajouta-t-elle.

— Je vais devoir tenir une réunion stratégique, n’est-ce pas ?

— J’en ai peur. »

La principale armada extraterrestre ne verrait l’image de l’arrivée de la flotte humaine que dans deux heures, sans doute au moment même où elle recevrait un message de la forteresse orbitale la prévenant de la présence d’intrus dans le système stellaire. Les vaisseaux les plus proches l’auraient sûrement déjà repérée, mais l’image de leur réaction n’atteindrait pas ceux de Geary avant des heures.

Cela dit, il ne se faisait aucune illusion sur la manière dont ils réagiraient. Toutefois, la menace d’un engagement ultérieur avec ces extraterrestres resterait toujours aussi lointaine jusqu’au départ de la flotte. Il n’aurait jamais une meilleure occasion de partager ses projets avec ses commandants de vaisseaux et d’obtenir leur avis.

Geary fit une annonce générale, non sans regretter à demi de ne pouvoir plutôt combattre à nouveau les extraterrestres, et en redoutant plus ou moins aussi de voir toutes ses options suivantes tourner en eau de boudin.

Deux

La salle pouvait tout au plus contenir une douzaine de personnes, mais le logiciel de conférence permettait de l’« agrandir » afin d’héberger toutes les présences virtuelles assistant à la réunion. Geary porta le regard au bout de la table, laquelle donnait l’impression de s’être allongée pour permettre à tous les officiers de s’y installer. Les commandants de tous les vaisseaux de la flotte, ainsi que d’autres personnages tels que le lieutenant Iger, le docteur Nasr, les deux émissaires Charban et Rione et certains des experts en xénobiologie, lui retournèrent son regard.

Quelques personnes restaient hors de vue et de portée d’ouïe des participants, exception faite de Geary et Desjani. Choisies parmi les représentants des anciens prisonniers de guerre hébergés à bord du Mistral et du Typhon, celles-là étaient autorisées à observer et écouter. Si d’aventure leurs pairs d’un grade plus élevé et imbus de leur propre valeur venaient à l’apprendre, tous exigeraient sans doute de siéger eux aussi à la conférence et de donner de la voix, mais ça n’allait tout bonnement pas se produire.

Les réunions qui s’étaient tenues dans cette même salle et avaient pris une tournure dramatique depuis que Geary assumait le commandement de la flotte avaient déjà été par trop nombreuses à son goût. Au cours de son siècle de sommeil de survie, les conférences stratégiques de la flotte avaient dégénéré en meetings politiques en roue libre, durant lesquels chaque commandant cherchait à obtenir le soutien de ses subalternes. Quand on l’avait retrouvé et ranimé, le capitaine Geary était de loin le plus ancien officier de l’Alliance puisqu’il avait été promu près d’un siècle plus tôt. Peu lui importait à l’époque, mais, à la mort de l’amiral Bloch, il s’était retrouvé à la tête de la flotte de par son ancienneté. Telle avait été la dernière décision de Bloch. En outre, aux yeux de Geary, son devoir l’exigeait. Plusieurs des commandants de vaisseau de l’époque avaient été suffisamment déstabilisés par l’une ou l’autre de ces deux motivations pour voir sa promotion d’un mauvais œil. Tout le processus consistant à ne pas se contenter de solliciter l’opinion de ses subordonnés mais encore à cultiver leurs suffrages avait paru à Geary scandaleusement erroné. Il avait alors compris à quel point un siècle de guerre sanguinaire avait altéré la structure même de la flotte et corrompu le comportement de ses officiers.