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Je ne sais pas comment on aurait survécu si un jour Marko n'avait pas téléphoné. Je te demande pas si ça va, qu'il fait au téléphone, je sais que non, alors je vais passer te voir ce week-end, te fais pas de bile en attendant, on trouvera bien une solution, va. J'ai raccroché et je me suis dit que c'était une illusion, ça me paraissait tellement extraordinaire que quelqu'un veuille bien s'intéresser à mon sort, vous ne pouvez pas savoir à quel point ça m'a touché qu'il m'appelle spontanément, je me suis dit bordel, les vrais amis ça existe alors, ce ne sont pas que des mythes, j'en ai eu des larmes aux yeux.

Il est toujours optimiste Marko, le bien que ça vous fait les personnes optimistes, surtout quand on est englué comme moi je l'étais, il est venu comme promis le week-end, comment ça va à l'Institut que je lui ai demandé, je ne leur manque pas? Apparemment pas trop, qu'il répondit, en tout cas la chef du personnel est rayonnante depuis que tu n'y es plus, la saloperie pensai-je, faut pas lui en vouloir qu'il la défendait, elle est obsédée par le rangement, on peut dire que c'est son flux vital, et voilà que tu lui perds un papier, tu crois qu'elle a apprécié? C'était comme si tu lui avais dit: Votre profession c'est de la merde”, elle l'a pris comme une insulte. Bon, je fais, je comprends, je n'ai pas de rancœur, je suis le seul à blâmer dans cette histoire, mais quand même elle aurait pu être plus compréhensive, quand un malheur comme le mien frappe une personne la moindre des politesses est de montrer un peu de pitié. On continue avec l'Institut et là il m'apprend une bien bonne, devine qui se tape tes iguanodons, qu'il fait mine de rien, et à la façon dont il avait posé la question je devine tout de suite la réponse: c'était lui évidemment qui se les tapait, ils l'avaient désigné d'office pour prendre mes iguanodons en plus de ses ichtyosaures, pour le coup il était loin de chanter Hosanna, apparemment j'étais la seule guimauve qui voulait s'occuper des iguanodons, alors il avait du vague à l'âme le Marko, les iguanodons n'ont jamais été sa tasse de thé, il se perdait dans mes classements, il n'avait plus le temps de perfectionner son rangement, la vie n'était pas rose pour lui non plus, rien à voir avec mon calvaire mais suffisamment pénible pour qu'il rouspète.

Françoise nous a servi le thé dans sa jolie jupe courte à fleurs, nous étions bien, l'après-midi s'écoulait doucement on aurait dit un robinet qui gouttait, tandis que Marko me remontait le moral, non, disait-il, il ne faut pas se laisser abattre, pense à ceux qui n'ont rien, aucun papier, aucun Baccalauréat, les petits enfants hindous sont plus à plaindre que toi, vous parlez d'une consolation. Oui, ce qui t'arrive est atroce, miaulait-il, c'est un peu comme si t'avais attrapé la lèpre, et je dois reconnaître que tu l'as bien cherché en n'étant pas suffisamment rigoureux, si si on peut le dire, attends je ne cherche pas à t'enfoncer mais ton vase de Soissons est cassé ou je me goure? il n'y a aucun moyen de récrire l'histoire n'est-il pas? alors maintenant tu dois te battre, allons creuse-toi la tête, tu n'as pas pu le perdre, je n'y crois pas, il ne doit pas être si loin que ça. J'ai déjà cherché partout que je lui réponds pour la centième fois, je suis las de cette histoire comme Jésus est las sur la croix, je ne peux tout de même pas le créer à partir du néant, lâche-moi la vie, je n'ai pas la moindre idée où il peut être, je crois même que je m'en fiche au point où j'en suis, je te demande rien. Il en fallait davantage pour décourager Marko, il avait le sermon coriace, les difficultés c'est le meilleur médicament contre l'ennui, disait-il, allons ressaisis-toi. T’es marrant tu crois que c'est facile? donne-moi des idées, je dis, toi qui es si intelligent, je suis prêt à tenter l'impossible, allez je t'écoute. J'avais dit ça un peu sur le ton de la provocation, style t'es qu'un beau parleur Marko mais j'aimerais t'y voir à ma place, ça m'énervait qu'on me fasse la leçon. Lui il restait calme, des idées je vais faire le maximum pour t'en apporter, pour l'instant je n'ai pas grand-chose, je n'ai jamais connu de cas semblable alors ne m'en veux pas si je reste à sec, mais d'ici quelque temps je te promets je la trouverai ta rustine, ensemble on y arrivera, c'est une question de jours. La seule chose dont je suis certain, continuait-il en me fixant solennellement comme quand on dit des choses désagréables, c'est que tu as le potentiel pour y arriver, tu vois je crois en toi, la situation est certes critique mais tu as plus de caractère que la plupart d'entre nous à l'Institut, t'es solide comme le Pont-Neuf. Ça me faisait un pansement qu'il me parle aussi gentiment, c'était mieux que d'entendre Françoise et ses reproches déguisés, pas de doute là-dessus, et quand il m'a dit qu'il me prêtait de quoi payer le loyer, je crus que j'allais m'envoler d'allégresse, vous en connaissez beaucoup qui auraient le portefeuille aussi facile?

J'échangerais pas un million contre un ami de la qualité de Marko, la plupart des soi-disant amis fréquentent par intérêt, ils tiennent à vous parce que vous êtes riche, c'est classique, ou que vous êtes médiocre et ça les valorise de s'afficher avec vous, mais quand vous n'avez rien de tout cela, quand vous êtes dans la zone et que la société vous a mis au ban, c'est là qu'ils se révèlent les amis comme Marko, c'est ça que j'appelle de l'amitié, c'est quand on prend des risques, et il en prenait des risques Marko en me fréquentant, l'opinion aime bien les rapprochements faciles, par osmose on l'aurait mis dans le même sac, tu es complice Marko on aurait dit. Remarquez, il venait peut-être pour Françoise, ça ne serait pas idiot, après tout elle est son genre, l'idée m'a effleuré plus d'une fois j'avoue, ils ont toujours eu des affinités l'un pour l'autre Françoise et Marko, mais je pense que c'était purement sexuel et qu'il n'y avait pas de sentiment là-dessous. La preuve, vous la lisez dans l'expression de Marko quand il la chevauche, une expression d'indifférence, ça ne lui fait ni chaud ni froid de la posséder, il a envie parce qu'il a sous la main ces courbures qui l'enveloppent, mais s'il fallait monter plusieurs étages à pied pour les avoir je ne suis pas certain du résultat.

Au fond ça m'était agréable de les voir se bécoter sur le canapé, la théière renversée sur les gâteaux secs, regardez-moi ce gâchis! Ils étaient très plastiques, on aurait dit du ballet, Marko embrassait dans la nuque comme s'il buvait avec une paille, il avait noué ses mains autour du buste, Françoise donnait le rythme avec ses hanches, la garce a toujours eu la musique dans la peau, elle avait jeté sa jupe sans faire attention et maintenant il y avait une tache de thé en plein milieu des fleurs, je peux vous dire qu'elle sera déçue quand elle s'en apercevra. Objectivement parlant j'aurais pu me joindre à eux, à force de les regarder j'avais comme une tension au bas-ventre, la bouche de Françoise semblait m'inviter, mais je n'avais pas le moral à m'amuser ce jour-là, je ressentais un étrange mélange de faim et d'écœurement. Les conseils de Marko étaient encore tout frais dans ma tête, ça m'avait redonné un coup de fouet qu'il croie encore en moi, je me creusais pour trouver une solution à mon problème, alors les signaux de l'entrejambe sont un peu passés au second plan, je n'ai fait que caresser Françoise par-devant, c'était ma seule concession à leur débauche, j'avais d'autres soucis vous comprenez, mais là aussi j'ai dû commettre un impair car quand ils eurent fini Françoise me piqua de son air courroucé, je m'étais conduit comme un pète-sec, ah vraiment j'étais devenu sinistre, plus moyen de rigoler avec moi, et en plus j'avais pas fait attention à sa jupe. Ça sentait la scène de ménage alors Marko s'éclipsa, tchao mon pote, n'oublie pas ce que je t'ai dit, tu dois remonter la pente, je compte sur toi, je vais pas tenir longtemps avec tes iguanodons, et sur le palier il a l'air joyeux mais je sens qu'il se force un peu, c'est l'attitude que l'on doit avoir quand on parle à un grand malade, et quand son air faussement optimiste s'éloigne je me retrouve comme abandonné.

Marko parti, on se dispute avec Françoise comme prévu, elle me dit un tas d'insultes sur mon tempérament, comme quoi je suis trop mou, que je manque de virilité, en somme je ne pensais qu'à mes petites affaires, mon égoïsme était prodigieux, pour une fois qu'elle passait du bon temps je n'ai pas jugé bon de participer, je serais une sorte de gâcheur universel, alors je craque, je lui rends la monnaie, ça commence à devenir impossible que je lui dis, tu m'es d'aucun soutien, pire tu me sapes le moral comme une tronçonneuse, j'en peux plus de tes reproches, ça me tue mieux que les vexations de l'Institut, si t'es pas contente tu devrais te chercher un autre mari, que je fais, vous savez comme on s'emporte facilement parfois, je ne le pensais pas je vous jure, car qui j'aurais eu d'autre si elle avait décidé de partir? On avait commencé par se crier dessus, on finit par plus se parler, elle boude avec un journal de mode, et moi je me colle à la fenêtre histoire de voir autre chose que mon appartement pourri. Quelle vie de chien, je me dis. Si au moins j'avais l'armoire chromée du type en face, elle aurait été plus fluide la vie, jamais je n'aurais égaré ce fichu Baccalauréat, quelle injustice au fond, pourquoi peut-on savoir certains naissent tout équipés d'armoires, la vie leur vient facilement à ceux-là, alors que d'autres suivez mon regard se hissent à la sueur, ils sont toujours en équilibre au-dessus du précipice ces pauvres bougres, un petit coup de vent de rien du tout suffit à les faire trébucher, expliquez-moi ce phénomène, je voudrais bien comprendre, il doit bien y avoir une raison pour tant d'inégalité, et qu'on me parle pas de petits Hindous, comme quoi ils sont plus dans la merde que moi, ça n'explique rien sur le fond les petits Hindous, j'en ai déjà soupé avec Marko des petits Hindous.