J'enrageais ainsi contre la vitre, mes poings serrés, j'étais à deux doigts de me sentir communiste, quand j'aperçus le maniaque qui me faisait signe, un geste amical du genre coucou, il nous avait vus en plein érotisme avec Françoise et Marko, mince alors! je m'aperçois que j'avais oublié de tirer le rideau, il nous avait matés comme à la télé sauf qu'il lui manquait le son, il semblait apprécier le spectacle, il souriait, coucou! qu'il me faisait de sa main, je lui répondais coucou coucou, mais oui je te vois enfoiré, c'est ainsi qu'on a lié connaissance à vol d'oiseau. Le maniaque ne resta pas longtemps devant sa fenêtre, il avait du nettoyage à faire, je le voyais qui avait retroussé les manches de sa veste cinq boutons, il triait une énorme poubelle pleine à craquer, et je me disais qu'il avait bien de la chance d'avoir une occupation, il n'était pas aussi légume que moi, remarquez ce n'était pas difficile, j'avais fait très fort dans le genre légume, j'avais battu un record, dans toute cette ville que je regardais par la fenêtre il n'y avait aucun spécimen qui me valait, ils s'affairaient tous à ranger leurs diplômes, même les handicapés en étaient capables. T'es le seul de ton espèce que je me disais, t'es le seul sapiens capable d'une telle infamie, t'es un mutant en quelque sorte, t'es pire qu'une pourriture, tu n'avais que les apparences avec ton Institut et ton salaire de directeur adjoint, au fond de toi tu portais les germes de ta décrépitude, ce n'est pas par hasard que t'as égaré ce que t'avais de plus sacré, c'était prédestiné car t'es un microbe, une infection qu'aurait attrapée l'humanité, oui! la maladie du monde tu es! Quelle honte, ô camarades bacheliers, quel horrible dégoût de moi-même m'était venu ce jour-là devant la fenêtre!
C'était insupportable alors pour me distraire je fis une tentative un peu absurde je dois le reconnaître, je suis allé à l'Académie pour quémander une copie de mon diplôme, c'est ridicule je savais que j'avais aucune chance et j'y suis allé quand même. Comme un gangster qui sort à découvert et tire dans la foule, je me suis précipité dans une voie sans issue, j'ai osé les déranger en plein travail avec mon problème, j'ai fait la queue aux Renseignements, j'ai souri abondamment à la préposée dans le guichet, il y en avait partout de mon sourire nerveux, il inondait l'hygiaphone. Excusez-moi de vous déranger, voilà pourquoi je viens, globalement c'est une histoire un peu comique ha ha ha, vous ne devinerez jamais ce qui m'est arrivé l'autre jour, ma femme Françoise dans un accès de colère a brûlé mon diplôme, si si si véridique, on s'est disputés, elle a pris une allumette et hop elle y a mis le feu, juste pour se venger, vous comprenez elle est un peu mégère, c'est son hobby que de me torturer, j'ai un peu honte de l'avouer mais les faits sont là: j'ai besoin d'une confirmation, vous pouvez faire ça pour moi?
La préposée n'avait jamais entendu pareille histoire, elle fut très émue, mon pauvre citoyen qu'elle s'est mise à me plaindre, mon pauvre pauvre citoyen, vous auriez dû faire plus attention en vous mariant, tomber sur une folle c'est pas rigolo, remarquez vous ne pouviez pas savoir avant, eh oui c'est toujours comme ça on ne la voit jamais l'anguille sous roche, les femmes c'est cruel j'en sais quelque chose, bon allez citoyen ne vous faites pas du mauvais sang, je vais voir ce que je peux faire, en attendant entrez donc par la porte de service, mettez-vous là sur la chaise, je vous apporte un café. Elle s'est mise aux petits soins pour moi la préposée, elle m'a servi un long café crème, elle me demandait si j'avais pas trop chaud parce que dans ces satanés bureaux, je cite, on cuit comme dans une cocotte. J'ai dit que non, ça va pour moi, vous êtes un ange je lui ai dit, je l'ai un peu touchée à travers le jeans, elle s'est mise à gémir ma tourterelle, son buste s'est affaissé sur la table en zinc, sa main pleine de bagues à trois francs a défait mon paquet cadeau, le bruit de nos zips respectifs a stoppé le tic-tac de la montre, on perd la notion du temps dans ces occasions-là, c'est d'ailleurs le but de l'opération, cueillir cette contraction qui vous libère de l'emprise des secondes. C'est parce qu'ils ne copulaient pas assez que les dinos ont disparu, hypothèse personnelle, ils ont laissé le temps s'avancer, il a empiété sur leur vie de cons, il les a asphyxiés le temps, ils ne se sont pas défendus avec suffisamment d'orgasmes, ils n'avaient pas notre intuition à moi et à la préposée, les mammifères que nous sommes faisons barrage de nos sexes, le temps nous obéit mieux, encore que c'est loin d'être l'idéal car les autres dans la queue derrière moi s'impatientaient à nous voir gigoter derrière l'hygiaphone, c'est pas bientôt fini? qu'ils s'exclamaient, alors on est revenu à nos moutons, la préposée s'est plongée dans l'ordinateur, nom? prénom? nom de jeune fille? ah oui suis-je bête. Année de naissance? Vous avez une pièce d'identité? Ça y est, nous y sommes citoyen, voici votre fiche, attendez je la sors, voilà, vous avez effectivement votre Baccalauréat, vous l'avez passé à Paris il y a vingt-cinq ans et je vois que vous l'avez eu avec mention, bravo citoyen, moi je n'ai que mon brevet des collèges.
Formidable! que j' hurle, vous me sauvez mademoiselle! Faites-moi une copie dare-dare, je vais les remettre à leur place à l'Institut, je vais les saigner à blanc ces mollusques, je vais leur exploser la rate, on ira aux prud'hommes, ça va être un feu d'artifice! Merci mademoiselle! Dire que je pensais du mal de l'Académie, je me disais qu'elle refuserait de m'aider! Mais non, elles ne sont pas sans cœur nos institutions, il y a encore des humanistes qui y travaillent.
La préposée est toute contente, oui qu'elle me dit, l'Académie est là pour vous aider, citoyen je suis heureuse de vous voir en si bon état d'esprit, cependant nous ne délivrons pas de copies certifiées, ça nous est formellement interdit, nous n'avons pas le tampon idoine, je comprends que ça ne vous arrange pas, mais je ne peux rien faire pour vous, les gens sont responsables de protéger leurs diplômes, nous on ne fait que les délivrer, et croyez-moi ce n'est pas une mince affaire. J'ai eu comme un vent glacial sur l'échiné, attendez que je fais, mais puisque vous l'avez dans l'ordinateur avec mes nom prénoms date de naissance, ça ne doit pas être si compliqué d'avoir la même chose sur un bout de papier. Certes certes citoyen, des bouts de papiers je pourrais vous en produire autant que vous voulez, mais l'ordinateur il vous mettra pas le cachet officiel du Ministère et votre bout de papier on pourra s'en torcher. Ça ne fait rien, que je lui dis, si je montre ce papier à l'Institut, ils pourront venir vous voir et contrôler que j'ai bien mon Baccalauréat, stop! me coupe la préposée, je vous arrête avant que vous ne disiez une aberration, vous semblez ignorer que nos informations sont confidentielles, nous sommes couverts par le secret académique, personne d'autre que vous n'a le droit d'accéder à votre dossier. Imaginez que n'importe qui puisse venir et consulter n'importe quel dossier, vous voyez d'ici les atteintes à la vie privée? Elle disait ça en faisant de grands yeux affolés mais j'insistai avec arrogance, qu'à cela ne tienne je lui dis, je viendrai avec la chef du personnel et je lui montrerai ici même votre écran d'ordinateur. Vous êtes du genre obstiné qu'elle me fait alors, vous savez moi j'invente rien, c'est marqué dans le règlement, et que dit-il le règlement? voyons ensemble si vous le voulez bien, je lis paragraphe trois alinéa cinq: “L'information contenue dans un dossier ne peut être divulguée qu'à une personne à la fois”, c'est pas moi qui le dis, c'est le règlement, alors arrêtez vos barbarismes.
En somme vous ne servez à rien, que je fis un peu crûment, c'était le diable qui m'avait tiré par la langue, si j'avais réfléchi jamais je n'aurais été aussi direct car elle monta aussitôt sur son grand chevaclass="underline" comment osez-vous? après tous les efforts que j'ai faits pour vous parler gentiment! dites tout de suite que les fonctionnaires sont des parasites! et ça continuait sur le même ton jusqu'à la porte qui fit clac!
Ce n'est pas pimpant que je rentrai chez moi, oh non vous pouvez me croire, j'avais les larmes qui diluaient les lumières des voitures, mes pieds écorchaient l'asphalte et au fond de moi j'avais cette petite voix qui me disait: c'est bien fait pour ta pomme, tu n'as que ce que tu mérites. Et là je voudrais attirer l'attention du jeune lecteur, ce n'étaient pas les difficultés matérielles qui me chagrinaient, absolument pas, la perte de mon emploi à l'Institut était certes regrettable, j'avais le loyer qui me prenait à la gorge, mais ce n'étaient pas ces ennuis-là qui me minaient l'humeur. C'était l'hécatombe morale dans laquelle j'avais sombré, un gouffre terrifiant, comme si j'avais personnellement appuyé sur le bouton nucléaire qui aurait effacé la race humaine, c'était la Conscience qui me torturait. Les jeunes lecteurs qui ont peu vécu auront sans doute du mal à comprendre mon angoisse, ils ne verront que l'aspect matériel de ma tragédie, les jeunes ne pensent qu'à l'argent et c'est normal car ils n'en ont jamais, mais ceux qui se sont frottés aux aspérités de la vie, ceux qui ont accumulé un peu de sagesse, ceux-là savent ce que la Conscience peut faire quand elle se manifeste, et chez moi elle explosait la Conscience, elle se transcendait. Moi l'homme de science, moi le paléontologue adulte qui était passé maître dans l'art du rangement, eh bien j'avais commis l'irréparable, la faute grossière, j'avais perdu mon Baccalauréat, et il n'y a plus rien à ajouter, j'avais perdu mon Baccalauréat, si vous saviez comme ça me fait mal de l'écrire, j'avais perdu mon Baccalauréat, je me sens obligé de le répéter, j'avais perdu mon Baccalauréat, oh je suis prêt à le copier un milliard de fois si ça pouvait atténuer ma culpabilité! J'avais perdu mon Baccalauréat, point, lessivé je suis.