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En rentrant à la maison j'étais tellement abattu que ce n'est pas tout de suite que j'ai remarqué les deux valises posées sur la table avec des dessous féminins qui en débordaient. Françoise dansait autour avec un air d'anthropophage, que fais-tu ma chérie que je lui demande. Ça ne se voit pas mon molly? je divorce. Ah bon, fais-je sans trop réfléchir, bon débarras, ça me fera plus de place dans l'appartement. Que voulez-vous, j'étais K.-O. debout, je ne m'attendais pas à ce retournement, c'était vrai que l'on se disputait beaucoup ces derniers temps, mais quand même pas jusqu'au divorce, il y a là un Rubicon à franchir. Je prends note de ta sympathique réaction, qu'elle me fait, j'en attendais pas moins de ta part, c'est bien dans la lignée du personnage, qu'est-ce que j'ai pu être cruche de gâcher dix ans de ma vie pour toi. Soudain je comprends: elle est sincère, elle veut plus de moi, c'est la fin, le monde s'écroule, je me laisse tomber sur le divan, il me manquait plus qu'un divorce! elle veut ma mort ou quoi? comment ferais-je avec cette avalanche de paperasserie administrative qui accompagne un divorce, les convocations chez le juge, les publications au Journal officiel, les droits de timbre et que sais-je encore? Sans me regarder une seconde, sa garde-robe déménageait, les différentes Françoise que j'avais connues s'empilaient dans la valise, voici la jupette bleue du premier jour qui se fait écraser par les chaussures jetées en tas.

Pour la place dans l'appartement, dit-elle, je suis contente pour toi et je ne ferai pas d'ennuis devant le juge, mais pour nos papiers communs, j'en demande la garde vu que tu en es incapable, comment ça incapable? me révoltai-je, oui incapable et ça m'étonne que toi tu t'en rendes pas compte, non fais-je de mauvaise foi je ne vois pas, et là elle met mon nez dans le caca: quand on est pas capable de garder son Baccalauréat personnel, on est pas en position de réclamer la garde d'un papier même mineur, n'importe quel juge sera de mon avis. Je me pris la tête à deux mains dans un étau, elle avait raison la Françoise, j'étais anéanti. J'ai de l'affection pour toi, dis-je en pleurnichant, les sentiments étaient le seul argument qui me restait, et vous pensez que ça l'attendrit? que pouic, elle resta de glace, et le pire c'était que je la comprenais, elle avait raison de partir, on ne pouvait rester avec un tel boulet au pied, j'étais capable d'entraîner le meilleur nageur dans la grande fosse des Mariannes, alors pour la survie de l'espèce il valait mieux qu'elle parte, sauve-toi Françoise! je lui criais dans ma tête, Dieu sait ce que je suis capable de perdre si j'ai perdu mon Baccalauréat, tu ne seras en sécurité que loin de moi, sauvez-vous tous, les femmes et les enfants d'abord! Seulement elle ne se contentait pas de partir Françoise, non, elle remuait le couteau dans la plaie, tu m'as trompée sur la marchandise qu'elle disait et ses yeux m'exterminaient au lance-flammes, je croyais que l'on pouvait compter sur toi pour le souci du rangement, je te supposais un minimum de dignité, mais ce que tu disais n'était que poudre aux yeux, ah je me suis bien trompée sur ton compte, en fait t'es un faux cul de première, j'ai les yeux qui s'ouvrent maintenant, ta vraie nature s'est révélée au grand jour, t'es un ignoble individu, hypocrite comme pas deux. Quelle aveugle j'ai fait! J'avais des indices qui auraient dû m'inquiéter! Quand tu perdais tes formulaires de transport, ce n'était pas par bêtise innocente comme chez les gens ordinaires, je le comprends maintenant, je fermais les yeux sur les formulaires de transport et j'avais tort, c'étaient les gouttes d'eau qui annoncent la rupture du barrage, les rats qui quittent le navire, c'était prémonitoire que t'allais te surpasser dans l'horreur. Quand c'est arrivé, pauvre gourde j'y ai pas cru, naïvement je me suis dit: il va le retrouver, c'est une éclipse, il suffit d'attendre et tout redevient comme avant. Bernique!

On se revoit deux semaines plus tard chez le vieux juge, j'ai admis tous les torts, j'avais pas le choix vous vous en doutez. On m'a retiré la garde des papiers qu'on avait eus ensemble, le certificat de mariage, le livret de famille, les comptes joints, tout quoi, on m'a dépouillé pour ainsi dire, au néant on m'a laissé, et encore selon le juge j'avais de la chance que Françoise fût gentille, j'aurais pu être condamné à lui verser une pension compensatoire pour frais d'entretien.

Voyant que je ne contestais pas, Françoise n'a pas cherché à me faire boire la tasse, elle s'est contentée d'essuyer quelques larmes, on voyait qu'elle avait de la peine, alors le juge est venu lui caresser les cheveux, allons ma brave dame, ne vous en faites pas, vous en trouverez un autre de mari. À mon âge? sanglotait Françoise, j'ai vu pire dit le juge et en même temps il pelotait, tandis que j'admirais la propreté de son bureau. Chez lui aussi, le bureau était impeccable, il était comme manucure, il pointait son doigt vers moi son bureau et il m'accusait, regarde t'es le seul qui ait le rangement boiteux, là-dessus je ne pouvais qu'être d'accord, je suis la vermine de la planète je me disais.

Je ne voyais plus le juge, je ne voyais que ses mains sur les fesses de Françoise, il la serrait contre lui sur la banquette en cuir bon marché, elle était nue depuis longtemps et les mains poilues du juge se découpaient nettement sur sa peau blanche. Le juge parlait par saccades, les arguments juridiques et les articles de la loi se diluaient dans des bruits de ventouse, j'avais du mal à comprendre ce qu'il me disait, je ne voyais que le petit derrière de Françoise qui sautillait, le devant de Françoise avait l'air occupé par le membre du juge, il a la santé que je me disais pour quelqu'un qui n'est pas loin de la retraite. Le juge me parlait toujours par borborygmes, il insistait sur quelque chose en remuant ma Françoise, il devenait presque suppliant, alors je commençai à saisir, il avait de la classe le juge, il m'invitait à se joindre à lui, profite encore de ta femme qu'il avait l'air de dire, profite pendant qu'il est encore temps, dans dix minutes l'article untel s'interposera définitivement à votre jouissance sous peine d'annulation de la procédure, alors fais pas l'imbécile, vas-y t'es démarqué, aliène-la à titre gratuit, vas-y donc! et j'y suis allé mes frères et je ne l'ai pas regretté, oh non. Pour une fois la loi était de mon côté, la loi n'est pas forcément inique la loi, elle peut être suprêmement douce et vous faire du bien la loi, en ce moment elle me donnait le derrière de Françoise, j'avais l'autorisation légale, j'étais enthousiasmé comme vous pouvez le comprendre. Elle s'est mise à transpirer Françoise, coincée entre nous deux, nous étions tous ravis, le juge était devenu de très bonne humeur, il décida de nous faire une fleur, je limiterai la paperasserie au strict minimum disait le juge, vous suivrez la procédure allégée, et nous ne sûmes comment le remercier, ça nous facilitait la vie quelque chose de terrible, pourquoi ne peut-on divorcer tous les jours dans ces conditions?

In fine on a signé plusieurs documents, on a rendu le contrat de mariage et le juge l'a solennellement déchiré devant nous, Françoise a encore pleuré, puis on s'est séparé. Allez bonne chance, fit-elle sur les marches du Palais de Justice en m'évitant du regard comme quand on donne l'aumône à un clochard, son paletot me tourna le dos, elle disparut dans la circulation.

V

Personne, ni femme ni boulot, personne autour de moi, rien que l'appartement et ses boîtes de rangement éventrées, personne, plus de bruit, je descends la pente, les factures s'accumulent, j'ai perdu la raison de vivre, je n'existe pas, Françoise partie, le calme s'est installé dans l'appartement, un calme qui ne présage rien de bon, le calme du mort après l'agonie. Dans ce calme je m'en vais à la fenêtre, voir les autres bouger en bas dans la rue m'occupe une bonne partie de la matinée, puis je descends personnellement, je vais à la boulangerie pour ma demi-baguette et quand je reviens le calme m'envahit à nouveau, il est en dedans le calme, dans ma tête il squatte, j'en jouirais presque, l'indifférence dans laquelle je m'enfonce me régale, j'en ai marre de souffrir vous savez, j'ai un ras-le-bol général comme quand c'est la dernière journée au bureau avant les vacances.